Grâce à l'embellie boursière de 2013 et à la prudence des entreprises, la situation des régimes de retraite dans les entreprises s'est bien améliorée. Mais échaudées par des années de crise, les compagnies fuient le risque quitte à minimiser leur intervention dans l'épargne-retraite de leurs employés. Conséquence : les travailleurs du secteur privé ne cotisent pas assez pour leur retraite, mettent en garde les experts.
Cliquez ici pour consulter le dossier Régimes de retraite
En moyenne, Jean-Grégoire Morand, associé du cabinet Normandin Beaudry, estime que les cotisations s'élèvent à 8 % du revenu annuel, alors que, «si on veut atteindre les 70 % des revenus à la retraite, il faudrait plutôt que les cotisations soient de 13 % du revenu annuel». D'autres, comme Benoit Hudon, associé chez Mercer, sont plus pessimistes et croient que les cotisations dépassent rarement les 5 à 6 %, voire moins si l'employeur ne cotise pas (1 à 3 %).
Le manque d'épargne des employés du secteur privé est «alarmant, martèle Jean-Grégoire Morand, car, si rien ne change, les gens ne pourront pas prendre leur retraite au moment choisi et resteront dans l'entreprise pour de mauvaises raisons. Cette situation va causer du stress, ce qui, outre des considérations humaines, est source d'improductivité dans les entreprises».
De plus, une enquête de Manuvie sur la prospérité et la santé montre comment l'insécurité financière des employés peut avoir des conséquences sur la bonne marche de l'entreprise. Elle indique notamment que les personnes en bonne santé financière sont jusqu'à 22 % plus engagées dans leur travail que les personnes en mauvaise santé financière, et 16 % plus susceptibles de se dire productives.
Même si 60 % des dirigeants de PME considéraient en 2009 que la responsabilité principale de la préparation financière de la retraite incombe aux employés, l'enquête de Manuvie causera peut-être un début de réflexion.
Cliquez ici pour consulter le dossier Régimes de retraite
Des déficits trop importants
De 40,6 milliards de dollars en 2012, les déficits de solvabilité accumulés des régimes de retraite privés à prestations déterminées ont diminué pour atteindre 22,5 G$ en 2013, une année boursière record. Rien que pour le secteur privé (hors régimes des villes de Québec et de Montréal et du secteur de la construction), ils étaient de 17,4 G$.
Les raisons expliquant ces déficits sont nombreuses et diverses : mauvais rendements des placements, baisse radicale des taux d'intérêt, départ à la retraite de nombreux baby-boomers, allongement de l'espérance de vie... Il y a aussi de mauvaises décisions de gestion, car certains comités-conseils accordent des congés de paiement à l'employeur ou aux employés dans les bonnes années ou profitent de surplus pour bonifier les prestations au lieu de mettre de l'argent de côté pour les temps plus difficiles.
Les entreprises ne veulent plus connaître des déficits importants à combler dans leurs régimes de retraite. L'année dernière, Pierre Beaudoin, président et chef de la direction de Bombardier, avait rappelé qu'un «recul d'un quart de point de taux d'intérêt crée un déficit de 400 millions de dollars dans la caisse du régime».
De nombreuses entreprises dans tous les domaines d'activité, mais encore plus fortement dans les secteurs touchés de plein fouet par la crise économique, comme les pâtes et papiers, ont eu de graves déficits à combler. Certaines, dont Produits forestiers Resolu ou Papiers White Birch, en ont même été ébranlées : les sommes à injecter pour combler le déficit conjuguées à une mauvaise passe économique ont eu raison de leur équilibre déjà précaire. «Des restructurations importantes ont été causées par des problèmes de déficit des régimes de retraite», confirme André Picard, président du Conseil régional du Québec de l'Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux (ICRA).
Cliquez ici pour consulter le dossier Régimes de retraite
Vers des solutions moins risquées
Souvent, le problème est réglé en changeant de type de régime pour s'orienter vers des solutions moins risquées, telles que le régime d'épargne-retraite à cotisations déterminées ou le REER collectif.
Les régimes à prestations déterminées (RPD) ne bénéficient qu'à un peu moins de 35 % de l'ensemble des travailleurs du Québec. Ils sont peu fréquents dans les domaines primaire (agriculture) et tertiaire (services) et atteignent 20,9 % dans le secteur manufacturier. Les RPD sont plutôt l'apanage de secteurs prospères comme la finance. «Les grandes organisations peuvent réaliser des économies d'échelle et faire face au risque. D'ailleurs, un employé sur cinq au Canada qui est couvert par un régime à prestations déterminées travaille dans le secteur financier», indique Benoit Hudon.
En 2009, seulement 45 % des régimes offerts par les grandes entreprises étaient à prestations déterminées. Ce chiffre pourrait encore diminuer. «L'embellie connue sur les marchés ces deux dernières années risque d'entraîner la fin de plusieurs régimes de retraite à prestations déterminées, car de nombreuses entreprises attendaient que les déficits se résorbent pour les fermer», croit André Picard. Si la tendance boursière des dernières semaines se maintient, l'échéance pourrait néanmoins être reportée.
Cliquez ici pour consulter le dossier Régimes de retraite
Du côté des PME, la donne est différente. «Dans le secteur privé, en ce qui a trait aux régimes de retraite, il faut distinguer les grandes entreprises des PME», prévient André Picard. Dans la grande entreprise, «quatre firmes sur cinq s'imposent la responsabilité de prévoir des sommes en vue de la retraite de leurs employés», note la Régie des rentes du Québec (RRQ) à partir d'un sondage du Conseil du patronat du Québec.
Les entreprises syndiquées sont également plus nombreuses à offrir un régime de retraite à leurs employés : en 2005, selon la RRQ, 60 % des entreprises syndiquées participaient à un REER collectif, à un régime complémentaire de retraite de l'employeur ou aux deux, comparativement à 12 % dans les entreprises québécoises non syndiquées.
2,1 M: Près de 2,1 millions de travailleurs participent à une forme d’épargne collective.
53 %: Le pourcentage de travailleurs québécois couverts par des régimes collectifs, soit 49 % de la population. Sources : RRQ, Institut de la statistique du Québec, Statistique Canada et Rapport D’Amours