REER 2013. Ah ! les vacances... Vous les achevez tout juste et vous réalisez combien la vie au chalet ou au bord de la mer, passée à lire, à jardiner, vous sied bien.
Jusque-là, rien de bien nouveau. Si ce n'est que, cette fois, le sentiment est plus profond que par les années passées. Au point d'envisager sérieusement de ne plus jamais remettre les pieds au bureau...
Si telle est votre ambition, chassez-la immédiatement ! Il vaudrait mieux prendre le temps de respirer - quitte à repartir en vacances - plutôt que de devancer ainsi votre retraite de 15, 10 ou même 5 ans, conseillent tous les spécialistes, planificateurs financiers et actuaires, à qui nous avons parlé.
Car si le rêve de "Liberté 55" demeure bien ancré dans l'esprit des Québécois, sa réalisation, elle, relève carrément de l'"utopie", tranche Hélène Gagné, associée et gestionnaire de portefeuille chez PWL Capital, de Montréal.
"Les gens doivent comprendre que deux ou trois semaines de vacances, c'est une pause professionnelle. Mais la prise de retraite, c'est toute autre chose ; ce n'est pas une pause, mais un changement complet de mode de vie qui ne peut s'improviser."
Et encore davantage si vous décidez de cesser de travailler prématurément, ajoute Gaetan Ruest, vice-président adjoint, stratégie de portefeuille pour le Groupe Investor. "En résumé, dit-il, moins longtemps vous travaillerez, moins grandes seront vos chances d'espérer profiter d'une retraite dorée."
Cela était vrai hier. Et cela risque de l'être encore davantage dans l'avenir, même pour qui n'aspire pas à une "retraite dorée" et se laisse séduire par la simplicité volontaire.
Espérance de vie en hausse
La croissance de l'espérance de vie devrait suffire à elle seule à convaincre la plupart des travailleurs des dangers d'un départ hâtif pour la retraite, soutient Nathalie Bachand, actuaire et planificatrice financière chez Bachand Lafleur Preston, Groupe conseil.
Au début du 20e siècle, peu de Québécois vivaient au-delà de 55 ans. Aujourd'hui, un homme qui prend sa retraite à 55 ans vivra en moyenne 26 ans de plus, tandis qu'une femme devrait vivre encore 30 ans... À 60 ans, les femmes ont une chance sur quatre de dépasser 95 ans !
Cette croissance de l'espérance de vie entraîne une pression énorme sur les gouvernements, mais aussi sur les particuliers qui doivent arriver à subvenir à leurs besoins sur une aussi longue période.
Vouloir cesser de travailler à 50 ans, commente Nathalie Bachand, actuaire, planificatrice financière et coauteure du livre Tomber à la retraite, c'est faire le pari que 25 ou 30 ans de vie active parviendront à soutenir une personne 35 ou même 40 ans de plus. "Il vient un moment où, même avec un salaire élevé et toutes les bonnes intentions, un départ hâtif devient déraisonnable, voire mathématiquement impossible."
Des rendements anémiques
C'est que les rendements sur les placements n'ont plus rien à voir avec ceux dont les investisseurs ont pu profiter entre les années 1980 et 1990, une décennie de "croissance exceptionnelle", explique Mme Gagné, planificatrice financière et auteure du livre Ma retraite crie au secours.
"Aujourd'hui, les taux offerts par les obligations sont si faibles, soutient-elle, qu'une fois l'inflation calculée, l'investisseur se retrouve avec un rendement négatif."
Ajoutez à cela le fait que moins du tiers des contribuables cotisent, bon an mal an, à un régime enregistré d'épargne-retraite (REER) selon Statistique Canada. Ainsi, le quart des retraités s'inquiètent de ne pas avoir suffisamment d'argent pour réaliser leur rêve de retraite et 14 % d'entre eux craignent même que leurs épargnes ne s'épuisent complètement avant leur décès, selon TD Waterhouse.
Il ne serait plus rare, affirme Mme Gagné, de voir des retraités de 70 ans forcés de prendre en charge leurs propres parents de plus 90 ans qui n'auraient jamais cru vivre aussi longtemps ! Ou encore, de voir des retraités de 90 ans retourner voir leur planificateur afin de parvenir à subvenir à leurs besoins jusqu'à l'âge de 100 ans...
Des régimes publics en faillite
Il y a 25 ans, les planificateurs financiers n'étaient pas aux prises avec ce genre de situation, ni avec un système public aussi peu certain de pouvoir respecter ses promesses. Car il faut bien comprendre que la pérennité du filet social dont se sont dotés le Québec et le Canada est loin d'être assurée, et ce, malgré toutes les qualités de ce dernier.
Les régimes de pension publics, qu'il s'agisse du Régime des rentes du Québec (RRQ) ou du Régime de pensions du Canada, ne sont pas assurés à long terme. Si les retraités y ont droit maintenant, rien ne dit qu'ils pourront, eux comme vous, en profiter plus tard. Du moins, pas selon la même proportion.
De manière générale, les gens ont tort de continuer de se fier autant à l'aide de l'État, estime Mme Bachand. Il suffit pour comprendre le problème de prendre conscience qu'en 1990, chaque bénéficiaire du RRQ était appuyé par 5,7 travailleurs cotisants. En 2020, soit dans moins de neuf ans, le Québec ne comptera plus que deux cotisants pour chaque bénéficiaire.
Diverses options sont envisagées pour pallier la situation, dont un nouvel accroissement du taux de cotisations des travailleurs, une réduction de la pension de l'État, ou un relèvement de l'âge normal de la retraite. De 65 ans actuellement, il pourrait bien être relevé à 67 ans ou même plus, comme cela a déjà été convenu aux États-Unis et dans plusieurs pays d'Europe.
Vivre à Boston ou mourir au Québec
Et que dire du régime de santé universel, lequel est mis à rude épreuve, au même rythme que la population vieillit ?
L'économiste Pierre Fortin, de l'UQAM, a calculé que les dépenses de santé sont trois fois plus élevées entre 65 et 74 ans et cinq fois plus entre 75 et 84 ans qu'elles ne le sont entre 45 et 64 ans.
"La santé gratuite pour tout le monde est déjà une illusion. Imaginez dans vingt ans lorsque tous les baby-boomers seront à la retraite", observe Marc Beaudoin, président de Beaudoin, Rigolt et Associés.
Ce dernier conseille à ses clients de se préparer financièrement (et mentalement) à devoir un jour choisir entre accepter de puiser 100 000 $ de leur poche pour se faire soigner à Boston ou mourir dans une file d'attente d'un hôpital du Québec ! "Ne pas s'y préparer, dit-il, c'est se mettre la tête dans le sable."
L'heure des choix
Dans ces conditions, un départ hâtif pour la retraite vous tente-t-il toujours ? Comme le chantait l'éphémère Plastic Bertrand dans les années 1980, vous vous arrêtez ou vous continuez ?
Le choix est le vôtre, mais la réalité se présente comme suit : moins vous travaillerez longtemps, moins vous aurez de temps pour amasser les économies requises, moins vous bénéficierez du rendement de ces placements et plus vos économies devront être réparties sur une longue période une fois à la retraite.
Peu se rendent compte que, pour chaque tranche de 20 000 $ de revenus de placement avant impôt à la retraite, résultat d'un rendement de 5 %, il leur faut avoir accumulé une somme de 400 000 $, prévient Gaetan Ruest, du Groupe Investor. "Ainsi, poursuit-il, si vous estimez pouvoir vous contenter de 40 000 $ avant impôt annuellement à la retraite, il vous faudra avoir accumulé 800 000 $ de placements". Sans compter l'impact de l'inflation qui réduira chaque année le pouvoir d'achat de vos économies.
Ce qui fait dire à Hélène Gagné qu'au lieu de se casser la tête à essayer de travailler moins longtemps, les Québécois devraient plutôt chercher le moyen d'aimer leur travail suffisamment pour avoir envie de l'exercer, à temps plein ou à temps partiel, le plus longtemps possible...
Alors ? Stop ou encore ?
+ 5,8 % Augmentation annuelle du prix moyen d'une maison, de 1975 à 2009. Celui-ci est passé de 33 000 $ à 228 000 $. En comparaison, le revenu moyen a augmenté de 4,2 % par an pendant cette période.
Sources : Question Retraite et Autorité des marchés financiers
(Texte d'origine 27 août 2011)