Des 24 000 emplois qu'il y avait au sein des firmes québécoises de génie-conseil avant l'éclatement du scandale de la corruption dans le milieu de la construction, il n'en reste que 18 000. Environ 6 000 postes ont été supprimés au cours des deux ou trois dernières années, selon les estimations de l'Association des firmes de génie-conseil. Pour les ingénieurs victimes des compressions et les nouveaux diplômés, le ralentissement de l'activité dans certains secteurs, conjugué à ces scandales, a rendu la recherche d'emploi plus ardue.
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Emmanuel Paluku, 30 ans, travaillait comme ingénieur junior chez BBA dans le secteur minier quand, en 2013, les projets se sont faits plus rares dans son secteur en raison de la baisse du prix des matières premières. Comme des milliers de confrères, il a perdu son emploi, faute d'un nombre suffisant de projets. Il lui a fallu plusieurs mois de recherche avant de retrouver un travail à la mesure de son expérience. Finalement, il a dû quitter Montréal et changer de domaine.
«Je devais rebondir pour acquérir une expérience qui me rendrait attractif sur le marché. Or, à ce moment-là, c'est le secteur de la construction qui fonctionnait bien», se souvient Emmanuel Paluku. Après avoir travaillé deux ans comme gestionnaire de projet pour Daystar, une entreprise de construction résidentielle située à Toronto, l'ingénieur a décidé de se lancer à son compte dans ce secteur. Avec trois partenaires externes, il agit désormais dans l'ingénierie d'exécution et collabore à des projets tels que l'agrandissement de l'hôpital St. Michael's à Toronto et la réhabilitation d'un complexe de trois immeubles au pied de la tour du CN. Parti en 2013 à Toronto «par nécessité», il se plaît aujourd'hui dans la Ville reine et se félicite du «pari» qu'il a osé faire.
Être mobile et bilingue
Mais tous n'acceptent pas d'être aussi mobiles qu'Emmanuel Paluku. Les firmes de génie-conseil qui, à la suite de la crise, se repositionnent dans les autres provinces canadiennes ou à l'étranger pour trouver de nouveaux marchés affrontent un défi de taille.
Ainsi, Roche a choisi de développer son activité à l'international. La firme a perdu 50 % de son activité depuis deux ans sur les marchés publics au Québec, et son chiffre d'affaires «est en baisse constante depuis 2013», selon Alex Brisson, président et chef de la direction. L'international représente aujourd'hui 25 % de son activité, par rapport à 10 % il y a trois ans.
Le hic, selon M. Brisson, c'est que la main-d'oeuvre québécoise n'est pas suffisamment mobile. «De plus, avoir des ressources bilingues est devenu indispensable pour notre développement. Or, nous avons de la difficulté à en trouver», dit-il.
Les ingénieurs qui n'ont pas quitté le Québec ont dû se replacer dans un marché au ralenti en raison de la diminution des contrats de travaux publics. À la suite du scandale de corruption, le gouvernement a resserré les règles d'octroi des contrats publics. Les donneurs d'ordres ont mis un frein aux appels d'offres en attendant que la situation soit éclaircie. De plus, les investissements du gouvernement provincial sont à la baisse : ils seront réduits de 1,4 milliard de dollars en trois ans dans les infrastructures publiques d'ici 2017-2018. Par ailleurs, la baisse du prix des matières premières a nettement ralenti l'activité minière : en 2014, les investissements miniers ont accusé une baisse de 30,1 % par rapport à 2013, selon l'Institut de la statistique du Québec.
La situation était d'autant plus complexe que de nombreux ingénieurs se sont retrouvés sur le marché de l'emploi en même temps. Cela suivait une longue période de plein emploi pendant laquelle seulement 3 % des membres de l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) étaient au chômage.
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De l'embauche malgré tout
Cette main-d'oeuvre soudainement abondante représente une aubaine pour certaines entreprises. Cima+, qui a retranché 600 postes au Québec ces dernières années, accentue son développement à l'extérieur de la province. Elle n'a pas de mal à recruter pour accompagner sa croissance. «En raison des coupes, il y a beaucoup de main-d'oeuvre disponible», souligne François Plourde, président et chef de la direction de la firme.
La mine de diamant de Stornoway, qui fait partie des minières ayant résisté à la mauvaise passe, compte parmi ses employés des ingénieurs qui étaient auparavant chez Cima+ et SNC-Lavalin. Les nombreuses petites firmes qui ont vu le jour ces dernières années - comme Induktion Groupe conseil, de Montréal, Quadrivium, de Gatineau, et HBGC Ingénieurs, de Montréal - n'ont eu que l'embarras du choix pour recruter leur personnel.
Plusieurs ingénieurs, sentant le marché prêt à les accueillir, se sont par ailleurs lancés dans l'aventure de l'entrepreneuriat, seuls ou avec des associés. «Après un mouvement de consolidation du marché depuis six ou sept ans, la création de petites firmes connaît une recrudescence depuis 2012», constate Beaudoin Bergeron, pdg de RHR Expert, un cabinet de recrutement spécialisé dans le génie, et président de HBGC Ingénieurs.
Si les petites firmes ont absorbé une partie des ingénieurs disponibles, les municipalités et les gouvernements en ont embauché une autre partie. Après l'éclatement des scandales de corruption dans les firmes de génie, les pouvoirs publics ont reconnu qu'ils avaient trop imparti leurs projets d'ingénierie et le contrôle des chantiers. «Il y a un renforcement de l'expertise en génie en interne au Ministère depuis 2012 qui s'est concrétisé par une hausse des embauches : nous comptions 578 ingénieurs en interne en 2011-2012, par rapport à 840 en 2014-2015», indique Martin Girard, porte-parole du ministère du Transport du Québec.
Des stages plus rares
Même si aucun chiffre officiel ne l'atteste, il semble que la plupart des 6000 ingénieurs licenciés au Québec a réussi à retrouver un emploi. Le nombre de membres de l'OIQ se déclarant au chômage lors du renouvellement annuel de leur adhésion est en effet resté stable en 2014 (3%). Statistique Canada situait pour sa part le taux de chômage des ingénieurs au Québec à 7,7 % l'année dernière, proche de la moyenne des 8 % enregistrée bon an mal an depuis 2005.
Le ralentissement de l'activité se fait sentir également chez les étudiants en génie. «Les jeunes ont de la difficulté à trouver des stages et un premier emploi, car les projets ont ralenti et les firmes se concentrent sur la recherche de personnes ayant de l'expérience», affirme Beaudoin Bergeron.
Maxime Gagné, 24 ans, ancien étudiant de l'École de technologie supérieure (ÉTS), confie avoir craint de ne pas trouver de stage en raison de la crise. «D'habitude, des firmes comme SNC-Lavalin ou Pomerleau pouvaient afficher cinq ou six offres de stage, alors que maintenant, c'est plus souvent une ou deux. Et parfois, certaines offres sont annulées», dit-il.
«Pour trouver mon dernier stage, j'ai dû chercher intensément pendant deux mois et envoyer une vingtaine de CV, à la suite de quoi je n'ai eu qu'une ou deux entrevues», témoigne le jeune homme qui travaille aujourd'hui chez HBCG Ingénieurs.
«On assiste à une baisse de l'offre de stages dans le génie de la construction depuis trois ans», confirme Pierre Rivet, directeur du Service des relations avec l'industrie à l'ÉTS. Dans le génie-conseil, les offres de stages proviennent désormais davantage des petites firmes que des grands donneurs d'ordres habituels, note-t-il, ainsi que des entrepreneurs généraux et des entreprises manufacturières.
Les perspectives d'emploi en génie sont toutefois bonnes, selon une récente enquête d'Ingénieurs Canada sur le marché du travail dans le génie, qui prévoit une diminution du taux de chômage au pays à 6 % à l'horizon 2020, notamment grâce aux nombreux départs à la retraite prévus dans certaines provinces canadiennes.
Pour le génie civil, le nombre récent de diplômés dépasse le nombre d'emplois potentiels au Québec et en Ontario. Toutefois, leur nombre est inférieur aux besoins du marché en Colombie-Britannique, en Alberta et au Manitoba. La mobilité et le bilinguisme devraient donc être encore des atouts forts pour travailler en génie.
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