La multiplication des allégations de corruption dans l'attribution des contrats par les municipalités et dans le secteur de la construction a entaché l'image des ingénieurs.
Rien d'étonnant donc au fait que l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) ait demandé au juge à la retraite John H. Gomery de donner une conférence sur le sujet au dernier congrès de l'Ordre en juin.
M. Gomery n'y va pas par quatre chemins : " Il ne suffit pas d'attendre que les erreurs liées à l'incompétence ou que les pratiques répréhensibles soient mises au jour par d'autres acteurs, comme les corps policiers ou les commissions d'enquête. La solution au problème d'image des ingénieurs se trouve dans leur code de déontologie, qui exige qu'un ingénieur qui est au courant de pratiques inacceptables les dénonce à l'officier disciplinaire de la profession, c'est-à-dire le syndic. "
Il n'est guère facile de dénoncer un collègue ou son patron, admet l'ancien président la Commission d'enquête sur le programme des commandites. " Personne n'aime être délateur. Cependant, c'est la solution. Par ailleurs, l'obligation de transparence est un enjeu important dans une démocratie comme la nôtre. "
L'Ordre des ingénieurs veut renverser la vapeur
L'OIQ a mis en place une série de mesures pour renverser la vapeur. " Un des objectifs prioritaires de la Planification stratégique 2010-2015 consiste à favoriser chez nos membres le développement d'une pratique intégrant davantage les dimensions éthique et déontologique liées aux obligations professionnelles ", explique la présidente de l'Ordre, Maud Cohen.
La transformation du Bureau du syndic témoigne de cette volonté. " Les demandes d'enquête sont en hausse; elles sont passées de 80 à 400 l'année dernière. Elles proviennent en partie du public et des membres. À la suite de délations de la part de nos membres, nous avons aussi été amenés à faire enquête sur le comportement de certains ingénieurs ", dit Mme Cohen.Le Bureau du syndic doit accroître sa capacité d'intervention, ce qui nécessitera l'augmentation des effectifs et une révision des procédures d'enquête. L'embauche d'une douzaine de personnes est prévue, dont des avocats, des syndics adjoints, des analystes et des secrétaires juridiques, précise-t-elle.
Par ailleurs, l'Ordre est sur le point de mettre en place une ligne téléphonique qui permettra aux membres qui sont confrontés à des choix éthiques difficiles d'obtenir, de façon confidentielle, les conseils d'un avocat.
" La transformation du Bureau du syndic et la mise en place de cette ligne nous permettront d'accroître notre pouvoir d'enquête, mais aussi de prévenir les actes répréhensibles ", dit Mme Cohen.
Un défi mondial
La question de l'éthique dans la profession d'ingénieur n'est pas propre au Québec. " C'est un enjeu discuté partout dans le monde ", précise Steeve Fiset, président et chef de la direction de BBA, une firme de génie-conseil de Mont-Saint-Hilaire.
En septembre 2009, lors du congrès de la Fédération internationale des ingénieurs-conseils, qui a eu lieu à Londres, l'éthique était au coeur des discussions. La Fédération a établi dès le début des années 2000 des lignes directrices en matière d'intégrité (Business Integrity Management Systems), tant pour les firmes d'ingénieurs que pour leurs clients.
L'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ) s'est inspirée de ces normes internationales pour établir ses propres lignes directrices en matière d'éthique. " Notre réflexion était amorcée bien avant la crise. La réputation de notre industrie représente un actif précieux à long terme ", précise Johanne Desrochers, pdg de l'AICQ.Mme Desrochers souhaite que toutes les entreprises aient leur code d'éthique. " Les plus grandes en ont déjà un. C'est le temps de le revoir et de le mettre à jour au besoin. Les autres firmes en ont certainement un, mais moins structuré. "
La firme BBA s'appuie sur le code d'éthique des ingénieurs et se réfère aux lignes directrices de l'AICQ. " Un code d'éthique, c'est bien, mais la base, c'est le comportement de chaque personne ", souligne M. Fiset.
Délation obligatoire
Par ailleurs, M. Gomery rappelle que chaque ordre professionnel doit respecter des normes de conduite qui sont beaucoup plus sévères que les lois. "Il n'y a pas d'obligation de la part d'un citoyen ordinaire de dénoncer un crime. Cependant, un ingénieur qui s'aperçoit qu'un collègue commet une fraude a l'obligation déontologique de dénoncer cette pratique", explique M. Gomery.
Un sondage mené sur Internet par le Réseau des ingénieurs du Québec en décembre 2009 a révélé que 73 % des ingénieurs ont été témoins ou ont entendu parler de cas de favoritisme dans le domaine de la construction. Près de 2 400 ingénieurs ont participé à l'enquête.
" J'interprète les résultats de ce sondage comme une sorte d'aveu de la part des ingénieurs, qui ont de la difficulté à dénoncer les actes répréhensibles", dit M. Gomery.