Ils témoignent du même goût pour l'adrénaline, les projets complexes et les grandes réalisations. Nous vous présentons des ingénieurs et leurs défis. Pour commencer : trois chantiers d'envergure qui sont en cours dans diverses régions du Québec.
OLIVIER TURCOTTE
Route 73/175 entre Québec et Saguenay
Élargissement à quatre voies de l'axe routier 73/175 entre Québec et Saguenay sur 174 km.
Commencés en 2002, les travaux doivent se terminer en 2013. Sur près de 160 km, ils ont déjà été effectués.
Coût : 500 M$
Principal défi : traverser une réserve faunique.
Olivier Turcotte voulait concilier vie personnelle à proximité de la nature et carrière professionnelle palpitante. Il a réussi son pari en venant s'installer à Chicoutimi, il y a près de dix ans, pour exercer au sein du cabinet d'ingénieurs-conseils Roche. Il travaille depuis 2004 sur le colossal chantier de l'élargissement de la route 73/175 entre Québec et Saguenay, qui traverse la réserve faunique des Laurentides. Un «vrai laboratoire sur le plan environnemental», selon le jeune ingénieur.
Prévoir des passages protégés pour les orignaux, recréer des cours d'eau... Olivier Turcotte le savait : «Avec ce chantier, on est vraiment dans le bois !» Si bien que cet amoureux de la nature a été servi. «Au début, j'ai trouvé que la bulle était vraiment grosse. Je me suis demandé comment faire pour arrimer les contraintes environnementales à celles liées à la route. Mais au final, ça s'est très bien passé.»
Travailler avec des biologistes
Au fil de la réalisation de deux contrats de respectivement 25 M$ et 40 M$ pour la construction de portions de la route dans la partie nord du tracé ainsi que d'autres pour la réhabilitation de la chaussée à certains endroits, Olivier Turcotte a appris à concilier la préservation de la faune et de la flore et l'élargissement à quatre voies de la route traversant la réserve. «Une étude d'impact a fixé les exigences, et nous, les ingénieurs, nous avons trouvé les solutions pour la réalisation, explique Olivier Turcotte. Nous avons travaillé avec des biologistes. Pêches et Océans Canada venait visiter les chantiers pour vérifier au jour le jour la façon dont se déroulaient les travaux.»
Des ponts plus larges pour les orignaux
C'est ainsi que l'ingénieur de 34 ans et son équipe ont conçu «des ponts plus larges au-dessus des cours d'eau afin que les orignaux aient des passages protégés», ont veillé à ce qu'il n'y ait pas «d'effet de tunnel, pour ne pas les effrayer», et ont prévu des plantations pour reconstituer le bord des cours d'eau. «Nous avons aussi recréé des environnements naturels, notamment dans les ponceaux, pour que les poissons puissent vivre et frayer», poursuit Olivier Turcotte. Pour ce chantier, la règle était : « Compenser 1 m2 remblayé pour la construction de la route par un aménagement spécial», afin de préserver l'écosystème. Et les environnementalistes veillaient au grain.
Le défi était immense pour préserver, mais aussi pour ne pas polluer. «On travaille avec de la grande machinerie, alors le risque est toujours là», reconnaît l'ingénieur, qui a dû avoir recours à divers moyens, comme des barrières géotextiles et des bassins de sédimentation, pour contrer l'effet du ruissellement et l'apport de sédiments dans les cours d'eau en cas de fortes pluies.
Jacques Morency
CHUM Montréal
Le CHUM comprendra un hôpital, un centre de recherche et des bâtiments adjacents, dont un immeuble administratif, un amphithéâtre et une bibliothèque. Leur livraison s'étalera de 2013 à 2019. L'ouverture de l'hôpital (phase 2) est prévue en mai 2016.
Coût : 2,5 G$
Principal défi : réaliser ce chantier en plein centre-ville de Montréal tout en maintenant l'activité de l'Hôpital Saint-Luc.
Il aura fallu 12 ans de patience à Jacques Morency, ingénieur en génie civil, pour piloter le projet de sa vie : celui du centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), qui devrait ouvrir ses portes en mai 2016.
Quand il a été embauché par le CHUM en 1999 comme ingénieur aux services techniques, Jacques Morency, de même que son employeur, avait déjà en tête le nouveau CHUM, en projet depuis de nombreuses années. Le jeune ingénieur, quadragénaire à l'époque, voyait cette perspective avec enthousiasme.
Mais ce n'est que plus d'une décennie et de nombreux atermoiements plus tard que le chantier tant espéré est devenu réalité. Et c'est alors tout naturellement qu'il y a un an, Jacques Morency, 57 ans, a été nommé directeur associé construction et ingénierie du nouvel hôpital du CHUM. «Ça a été un long pèlerinage pour arriver jusque-là. J'ai passé ces années [d'attente] à m'acharner : je ne voulais pas laisser tomber et passer à côté d'un projet comme celui-là.»
Pour tromper l'attente, il s'est occupé pendant toutes ces années de la rénovation des trois sites existants (Hôtel Dieu, Notre-Dame et Saint-Luc) : construction de salles d'opération, installation de matériel médical spécialisé, agrandissement du service de radio- oncologie à Notre-Dame. Ces tâches lui ont permis d'acquérir une connaissance approfondie des lieux et des gens. Un atout considérable dans ses nouvelles fonctions.
Apprendre à gérer un PPP
Cela fait donc un an que Jacques Morency s'est installé dans son bureau, qui donne directement sur le chantier colossal du nouveau CHUM. Son rôle : conception, suivi de l'exécution des travaux et coordination des équipes d'architectes, d'ingénieurs, de construction proprement dite et même des avocats. Les défis sont maintenant d'un autre ordre et... d'une autre dimension. Cet ingénieur qui a choisi une carrière dans la construction hospitalière, car il aime les valeurs de service public, loin de la recherche du profit, doit maintenant apprendre à gérer le partenariat public-privé (PPP), choisi par l'État pour la construction du nouveau CHUM, avec le consortium Collectif Santé Montréal, qui a obtenu le contrat. «On doit convaincre, on ne peut pas obliger», résume-t-il. Si les relations sont bonnes et que le chantier se déroule bien, Jacques Morency a tout de même l'impression de ne pas «avoir la mainmise complète sur le projet».
L'autre mission - de taille - de Jacques Morency, c'est de mener ce chantier gigantesque alors que l'activité de l'Hôpital Saint-Luc, situé à proximité, est maintenue. C'est là que prennent tout leur sens ses diverses compétences en génie civil, mais aussi son sens des relations humaines et sa connaissance tant du milieu que du personnel de l'hôpital, dont il arpente les couloirs depuis plus de 12 ans.
Francis Gauvin
Échangeur Robert-Bourassa/Charest à Québec
Réaménagement de l'échangeur des autoroutes Charest et Robert-Bourassa (reconstruction des deux autoroutes et de toutes les bretelles, réfection des systèmes de drainage ; remplacement des systèmes d'éclairage ; modernisation de la signalisation ; installation de caméras).
Les travaux ont commencé en 2009 et devraient être terminés fin 2012.
Coût : 250 M$
Principal défi : un chantier sur des voies empruntées par 70 000 véhicules par jour
En 25 ans, Francis Gauvin en a mené des projets pour le ministère des Transports du Québec (MTQ) ! Mais celui du réaménagement de l'échangeur entre les autoroutes Charest et Robert-Bourassa, réalisé en partenariat avec EBC, est un défi majeur. Et c'est lui, à 50 ans, ingénieur coordonnateur au service des projets de la direction Capitale-Nationale, qui est chargé du bon déroulement des opérations.
Francis Gauvin est branché en permanence. «De mon bureau, j'ai accès aux caméras de circulation. Je peux surveiller les travaux et leurs effets sur la circulation pendant que je suis au téléphone», explique-t-il. Difficile de décrocher quand on est responsable d'un tel chantier en pleine ville.
Le chantier consiste à reconstruire deux structures vieillissantes et à éliminer des zones à risque qui font de l'endroit «la zone la plus accidentogène de la région», selon le MTQ. De 65 à 70 000 voitures passent chaque jour sur ces axes qui desservent «les grands pôles d'attraction que sont l'Université Laval et le Boulevard Laurier», explique Francis Gauvin. Il faut aussi composer avec une dizaine de ponts viaducs, 15 bretelles et, au total, 68 liens différents !
«Un grand casse-tête, reconnaît l'ingénieur. Quand on ferme un endroit, il faut prévoir un point de détour tout en conciliant nos contraintes avec celles des autres travaux en cours. Il faut bien penser à tout avant de poser une pièce du puzzle.»
Francis Gauvin reste néanmoins serein. «Ça ne m'empêche pas de dormir la nuit.» Du moins, c'est ce qu'il dit, les yeux toujours rivés sur les caméras... «Ce qui me fait le plus peur, c'est quand le téléphone sonne le soir. Je crains qu'on m'annonce que quelqu'un s'est trompé en prenant une déviation et a eu un accident.» Car des risques, il y en a forcément. Quand, par exemple, un pont est coupé en deux sur toute sa longueur et que les voitures circulent d'un côté sur la partie neuve et de l'autre sur la partie ancienne. Ou quand, l'hiver arrivant, il faut arrêter le chantier et prévoir la circulation pendant toute la saison hivernale.