Mines, génie électrique, aéronautique, génie civil : les ingénieurs québécois sont de plus en plus appelés à travailler sur des chantiers à l'international. Parmi leurs destinations favorites : les États-Unis, mais aussi la France, la Suisse, le Royaume-Uni et les Émirats Arabes Unis. Un moyen d'appréhender de nouvelles façons de faire et de donner un coup d'accélérateur à leur carrière. À quels défis font-ils face et comment adaptent-ils leur façon de travailler pour coller aux réalités de chaque pays ?
AFRIQUE
Après avoir travaillé pour des minières québécoises, Mathieu Leblanc a décidé de se lancer à son compte pour proposer son expertise dans l'implantation de logiciels de systèmes de gestion. En 2010, ce diplômé de Polytechnique en génie mécanique a décroché un contrat en Afrique avec une minière par l'entremise de son agence, Spix Optimisation. Ses destinations : le Niger et le Burkina Faso.
Mathieu Leblanc s'était préparé à éprouver un choc culturel et s'attendait à découvrir une extrême pauvreté en Afrique. «En réalité, j'ai vu que certains nationaux s'en sortent très bien et font partie de castes plus aisées. Dans le milieu de travail, cela peut vite devenir compliqué lorsqu'un employé d'une ethnie moins prestigieuse devient le patron d'une ethnie plus cotée... Il faut donc savoir marcher sur des oeufs et ne pas se laisser embarquer là-dedans», résume-t-il.
Si la langue n'a pas été un obstacle, puisque l'usage du français était l'un des critères d'embauche, le principal défi était de superviser le personnel national. «Au-delà de la langue, il existe toujours des barrières culturelles et des façons très différentes de communiquer. Il ne faut pas avoir peur d'essayer différentes approches», dit-il.
Très vite, Mathieu Leblanc comprend justement que son échéancier de trois mois pour remplir son mandat est beaucoup trop optimiste et se fixe un an. «Au Québec, on est habitué à tout faire vite, mais là-bas, il faut respecter un rythme plus lent. Les gens apprennent beaucoup sur le terrain, car les formations à l'école ne sont pas aussi pointues. Il faut donc adapter la vitesse et les tâches à accomplir.»
Ouverts au changement
Au final, les employés nationaux se sont montrés plus ouverts au changement que les Nord-Américains. «Ils avaient envie d'apprendre et avaient conscience qu'ils ne savaient pas tout», explique Mathieu Leblanc.
En dehors de la mine, les défis étaient d'un autre ordre, puisque Mathieu Leblanc se trouvait au Niger lors de l'enlèvement du personnel d'Areva. «Nous étions constamment escortés par une dizaine de militaires durant nos déplacements, mais je ne me sentais pas menacé, car il n'y avait pas d'agressivité dans les rues.»
À la mine, Mathieu Leblanc a aussi dû s'adapter à des périodes de travail deux fois plus longues qu'au Québec : 36 jours travaillés et 28 jours de congé, pour des journées de 10 heures de travail.
Si ses principales tâches étaient les mêmes qu'au Québec, l'ingénieur a pu goûter à une autonomie plus grande. «Au lieu d'avoir un intervenant à mes côtés, je pouvais faire les choses et le tenir informé par courriel tous les deux jours.»
Il remarque d'ailleurs que les minières ont tendance à offrir des postes comportant plus de responsabilités pour attirer les expatriés : «Un mécanicien au Québec pourrait être contremaître là-bas, un contremaître pourrait être directeur et ainsi de suite», précise-t-il.
Aujourd'hui rentré au Québec, Mathieu Leblanc ne souhaite pas s'établir définitivement en Afrique, en raison de l'éloignement. «Par contre, je suis prêt à refaire des missions de ce genre», affirme-t-il.
EUROPE
Le M. Packaging de L'Oréal
Karl Trépanier a travaillé pour le groupe ABS avant d'entrer au siège montréalais de L'Oréal. Ingénieur en packaging, le diplômé en génie mécanique à Polytechnique accepte une première mutation aux États-Unis en 2007. Trois ans plus tard, il est propulsé au siège français du groupe pour prendre la tête d'un service consacré à la réduction des coûts dans le domaine du packaging.
Optimiser les techniques d'emballage et mener des études comparatives pour partager les meilleures pratiques d'approvisionnement dans le monde : telle est la nouvelle mission de Karl Trépanier pour L'Oréal à Clichy, en région parisienne. «Je travaille aujourd'hui en partenariat avec les fournisseurs afin de mettre en place de meilleurs procédés de fabrication des emballages plastiques», explique-t-il. Une mission qui l'amène à voyager au moins une ou deux fois par mois au Mexique, aux États-Unis ou en Europe...
À son arrivée en France, accompagné de sa famille, cet ingénieur de 37 ans travaillait déjà depuis 10 ans pour L'Oréal, mais il avoue qu'il ne connaissait pas bien le pays : «On a mis environ un an à s'adapter, notamment aux heures d'ouverture des commerces. Nous avons été surpris de découvrir, quand nos enfants étaient malades, que les pharmacies n'étaient pas ouvertes le soir... Ce sont de petites choses qui ont un vrai impact sur votre vie personnelle !» souligne-t-il.
38 jours de congé par an
Sur son lieu de travail, Karl Trépanier a appris à composer avec de nouvelles pratiques. «Je me suis aperçu que le réseau informel a beaucoup d'importance en France. Il peut se passer une chose durant la préparation d'une réunion, une autre pendant la réunion, et encore une autre à l'issue de la rencontre. Il faut être capable de s'adapter et de se sentir à l'aise malgré une impression de flou», résume-t-il.
Autre changement ? Les 38 jours de congé par an, qui modifient grandement le rythme de travail. «Certains sujets peuvent traîner pendant des mois, mais dès qu'on approche des vacances, c'est le branle-bas de combat pour que les dossiers soient bouclés. Cela demande de savoir gérer les poussées de stress», estime M. Trépanier.
Grâce à cette expatriation, Karl Trépanier a obtenu un poste plus «corporate» et davantage orienté vers l'international. «C'est très stimulant. Je participe au développement de la société sur les marchés émergents, au Brésil et en Inde. C'est une mission où il faut faire preuve d'ouverture pour s'adapter à différentes cultures et être capable d'exercer son influence», résume-t-il. M.L.
ASIE
Dépasser ses limites en Chine
Francis Gervais a toujours été attiré par l'international. Après deux expériences comme ingénieur de production dans la transformation de granit puis dans la fabrication d'explosifs au Québec, ce diplômé en génie industriel s'est expatrié en Chine pour travailler dans l'entreprise Komaspec, fondée par un ami de Polytechnique.
«Quand il m'a proposé de rejoindre cette entreprise spécialisée dans les assemblages métalliques et plastiques sur mesure, j'ai accepté tout de suite !» affirme cet ingénieur de 32 ans, aujourd'hui responsable des opérations de la PME de 50 employés. Il débarque à Guangzhou en 2008, sans parler un mot de mandarin... «J'ai pris des cours pendant les premiers mois afin de me débrouiller. Mais dans l'entreprise, la majorité des employés parlaient anglais. Nos clients aussi, puisque ce sont des entreprises internationales», précise-t-il.
Question de décalage
Une chance, car Francis n'a plus vraiment le temps de suivre des cours du soir : «Je travaille à l'usine de 8 h à 18 h environ, et je contacte ensuite les clients internationaux jusqu'à 20 h en raison du décalage horaire. Le 8 à 5 n'est plus vraiment la norme...», précise-t-il.
Son poste l'amène à se déplacer aux quatre coins du globe pour rencontrer de nouveaux clients : Israël, Corée, Angleterre... «En Chine, on peut évoluer plus rapidement qu'au Québec. Il n'existe pas de limites si on veut se dépasser. Au Québec, j'ai beaucoup d'amis ingénieurs qui doivent se borner à effectuer des tâches plus restreintes.»
Après avoir lui-même occupé des postes liés à la production au Québec, il a vu son champ s'élargir considérablement : «Je m'occupe de la production, des finances, du développement de projets, des fournisseurs et des nouveaux clients... Des opportunités que je n'aurais pas eues au pays avant mes 45 ans !» pense-t-il. M.L.
EUROPE
Sur les rails du Transilien, en France
Après avoir travaillé une vingtaine d'années au Québec dans la construction navale et l'aéronautique, Christian Dubé a mis les voiles jusque de l'autre côté de l'Atlantique en 2009, pour occuper un poste au siège français de Bombardier, à Crespin.
Pour cet ingénieur diplômé en génie physique de l'Université Laval, l'expatriation s'est faite assez naturellement. Et pour cause : sa spécialisation, qu'il a entreprise très tôt, dans les domaines de l'électronique et de l'électromagnétique l'a mené à voyager en Europe et en Asie pour faire de la gestion de projets chez Bombardier.
Aujourd'hui à la tête du centre de compétences en compatibilité électromagnétique de Bombardier et responsable du projet du futur Transilien, le réseau de trains de banlieue de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), cet ingénieur de 59 ans s'est rapidement habitué à son nouveau milieu de travail. Le principal défi ? S'adapter à une culture plus axée sur le détail : «Lorsqu'on rencontre un problème au Québec, on a tendance à établir un diagnostic de terrain et à demander une réaction immédiate. En France, on vous demande de développer des analyses plus complètes avant de réaliser une correction sur un produit.»
Normes plus sévères
Selon lui, le contexte normatif pose un autre défi, puisqu'il faut tenir compte des normes européennes, des normes françaises et des normes des exploitants, comme Réseau Ferré de France, normes qui sont plus sévères qu'ailleurs. «Cela facilite ensuite l'homologation du matériel roulant, car les critères d'acceptation sont clairs», ajoute-t-il.
Autre différence : la façon d'organiser la prise de décision au sein des entreprises. «Les Français utilisent beaucoup la communication verbale. Comparativement aux Québécois, ils organisent beaucoup plus de réunions, qui durent plus longtemps. Il faut prévoir plus de temps pour négocier», dit-il.
Sans compter que les salariés restent très respectueux de la hiérarchie : «Dès que vous dépassez un certain échelon, les secrétaires ou les adjointes vous vouvoient, et il est plutôt mal vu d'aller frapper à la porte du président comme on le ferait au Québec !» résume ce directeur. L'avantage ? Les expatriés qui ont vécu une telle expérience sont très recherchés par les grands groupes pour assumer des fonctions de haute direction, car ils ont l'habitude de comprendre différents modes de pensée.
Christian Dubé cite le cas d'un ami ingénieur qui a passé quelques mois en France avant de revenir au Québec pour occuper un poste de vice-président. «Grâce à mes nouvelles fonctions, je suis moi aussi en bonne position pour revenir au pays. Cela m'a donné l'occasion de faire plus de management qu'au Québec, où j'étais plutôt étiqueté comme spécialiste de l'électromagnétique», analyse-t-il. Après quatre ans passés en France, son retour est prévu pour la fin de l'année. M.L.