Quand on lui demande ce qu'il fait dans la vie, Julien Rouette répond à la blague qu'il est «vendeur de balayeuses». Ça l'amuse de voir le visage des gens changer à cette réponse, qui, à ses yeux, n'est pas très «sexy»...
Cet ingénieur de 37 ans, diplômé de Polytechnique, conçoit des systèmes industriels d'aspiration de poussière, de fumée et de brouillard d'huile.
Il réalise plus d'une cinquantaine de projets par année pour le compte de l'entreprise familiale Capt-air, dont il est le directeur technique.
De la Buanderie centrale de Montréal aux sociétés pharmaceutiques et minières, les clients qui ont recours à ses services sont aussi variés que leurs besoins. En ce moment, l'ingénieur travaille à la mise au point d'un système pour Bombardier à son usine de Dorval.
«Un avion requiert des milliers de perçages durant son assemblage et énormément de sablage au cours de la peinture. Les poussières qui résultent de ces travaux sont volatiles et toxiques. Mon rôle est de créer un système qui permettra d'extraire la poussière à la source. Il faut brancher un tuyau d'aspirateur directement sur les outils pour éviter que les particules ne se retrouvent dans l'air», explique Julien Rouette.
Patience et diplomatie
Bien qu'il s'agisse de son cinquième contrat avec la multinationale - il a déjà réalisé des projets similaires dans les usines de l'entreprise à Mirabel, à Toronto et au Mexique -, le défi que doit relever l'ingénieur est toujours aussi grand.
En plus de devoir être conforme aux normes industrielles relatives à la santé et à la sécurité, le système doit convenir aux employés. «Le travail de finition représente 75 % de l'importance du projet. Le système doit être ergonomique et plaire aux utilisateurs, et il ne doit pas les gêner. Sans quoi, ils ne l'utiliseront pas, et le produit ne servira à rien.» Pour éviter cela, Julien Rouette rencontre tous les employés qui seront amenés à utiliser l'aspirateur.
Une dizaine de prototypes
Dans le cas du projet avec Bombardier, cela veut dire aussi de tenir compte des commentaires d'environ 60 personnes.
«Il y a environ une dizaine d'outils sur lesquels on doit installer le système d'aspiration. Chacun à sa particularité. Et qui est mieux placé pour en parler que les employés eux-mêmes ? Ils sont au centre du projet. À force de discuter avec eux, on finit par obtenir un consensus et on travaille à partir de cela.» Avant de recevoir l'aval des utilisateurs, Julien Rouette leur aura présenté au moins une dizaine de prototypes.
Une fois le système approuvé, il reste encore à l'installer. Une autre étape délicate qui demande de la diplomatie et de la patience.
Au sein même des ateliers, Julien Rouette et son équipe doivent installer des kilomètres de tuyaux, sans nuire à la production et en dérangeant le moins possible les employés.
«Il faut trouver des trous dans l'emploi du temps du personnel, or, ils sont rares dans une usine. Certains employés n'apprécient pas vraiment notre présence, parce qu'on fait du bruit et qu'on occupe de l'espace. C'est pourquoi je laisse en tout en temps un ingénieur sur place pour gérer les réactions du personnel.»
Des résultats positifs
Une fois que le projet sera réalisé, Julien estime qu'un baril de poussière sera récupéré chaque jour. Autant de poussière qui ne flottera plus dans l'air. Un plus, aussi bien pour les employés que pour les équipements de l'usine.
«Au départ, ma mission était d'améliorer la santé et la sécurité des employés, une grande préoccupation pour Bombardier. À cet égard, le système est une réussite. En plus, il permet d'améliorer la visibilité dans les ateliers, qui sont souvent envahis par un nuage de poussière. Le projet va même au-delà de cet objectif, puisque l'aspiration de la poussière permet de nettoyer l'avion au fur et à mesure. Les lavages nécessaires sont donc moins nombreux. Par ailleurs, les particules ne se déposent plus sur les éléments de la structure et sur les équipements, ce qui augmente la durée de vie de ces derniers.»
Une entreprise unique
Des aspirateurs... pas très «sexy», peut-être, mais très utiles. «J'adore ce que je fais», affirme Julien Rouette, qui baigne dans cet univers depuis l'enfance. Son père, lui aussi ingénieur, a acquis la Maison de l'aspirateur et Capt-air, situés à Montréal, en 1985.
Par la suite, Julien Rouette a passé bien des étés à réparer des aspirateurs, puis il a travaillé pour d'autres entreprises pendant plusieurs années avant de revenir à ses premières amours.
«Mon parcours professionnel est comparable à celui d'un boomerang. Quand j'ai fait mes études à Polytechnique, je n'avais pas en tête de reprendre l'entreprise familiale. Après avoir oeuvré dans des sociétés qui comptaient des milliers d'employés, je me suis dit que j'aimerais bien être à mon compte un jour. Aujourd'hui, je le suis, et en plus dans un domaine assez unique. J'en suis très heureux.»