Le président d'Optosécurité, Éric Bergeron, s'est fait dire 240 fois non avant d'entendre un oui. Dix-huit mois de travail sans salaire, 70 heures par semaine, avant d'obtenir en 2005 un premier financement de 2 millions de dollars provenant à parts égales de la Banque de développement du Canada (BDC) et d'anges financiers de la région de Québec.
«Quand la première ronde de financement s'est concrétisée, j'étais à un mois de la faillite. En fait, ma banque m'a laissé un mois de plus parce que j'avais gagné une bourse de 3 000 dollars dans un concours d'entrepreneurs et que j'ai ainsi pu payer mon loyer. Je me tenais par les ongles au bord de la falaise», raconte Éric Bergeron, qui a épuisé toutes ses économies pour faire vivre sa famille avant de convaincre des investisseurs.
L'entrepreneur dit n'avoir trouvé personne d'aussi «fou» que lui pour l'accompagner sans salaire dans l'épreuve du démarrage. Mais il savait d'entrée de jeu qu'il devait trouver du capital de risque et diviser l'actionnariat de l'entreprise pour qu'elle survive et grandisse. «Entre une technologie et un produit, il y a un immense chemin à parcourir. C'est comme réussir à faire un PC à partir d'une puce Intel ; il y a un monde», dit celui dont la technologie, issue de l'Institut national d'optique, est devenue un logiciel de détection capable de repérer armes et liquides explosifs.
Long chemin vers la réussite
Ce premier produit, l'OptoScreener, semblait promis à un grand succès, alors que la sécurité devenait un enjeu prioritaire pour les aéroports dans un monde marqué par les attentats du 11 septembre 2001. Mais les aéroports n'ont finalement investi que dans les pays où ils ont été légalement obligés de le faire.
Le deuxième produit d'Optosécurité, l'eVelocity, en quelque sorte une version améliorée de l'OptoScreener, se révèle plus convaincant. Ce logiciel de contrôle de sûreté intégré a valu à la PME de Québec ses plus importants contrats. En juin 2014, l'équipementier britannique Smiths Detection a annoncé qu'il allait l'intégrer dans ses appareils de détection, et le mois suivant, l'aéroport de Bruxelles a fait savoir qu'il serait le premier aéroport dans le monde à utiliser l'eVelocity. Le logiciel permettra un contrôle à distance centralisé des bagages à main à partir des différents points de fouille. Autrement dit, plus besoin de nombreux employés pour examiner les bagages un à un ; les images radioscopiques des valises seront acheminées en temps réel à un centre de contrôle informatisé.
«Notre produit permet aux aéroports de gagner de la place, de réduire les délais d'attente et le nombre d'employés, tout en augmentant la sécurité et les revenus dans les boutiques hors taxes, où les passagers passent désormais plus de temps. On est les seuls au monde à faire ça», dit Éric Bergeron.
Smiths Detection possède 80 % du marché européen et 60 % du marché mondial. Grâce à la récente entente, Optosécurité dispose donc d'une force de vente et d'installation dans le monde entier.
«Nous comptons doubler nos ventes chaque année pendant les trois prochaines années, et ça fait déjà trois ans qu'on croît à ce rythme», affirme le président d'Optosécurité. Son chiffre d'affaires est confidentiel, mais l'entreprise de 45 employés (donc dans l'antichambre de notre classement) s'approche enfin de la rentabilité, dit-il.
Accepter une forte dilution
Pour arriver à la réussite commerciale, il a fallu encore diluer l'actionnariat au fil des ans, bien après le démarrage. Au total, Éric Bergeron est allé chercher 36 millions de dollars en capital de risque et 15 millions de dollars en crédits d'impôt pour la recherche et le développement.
«Je suis aujourd'hui un actionnaire très minoritaire [pourcentage confidentiel], mais je préférais avoir peu de quelque chose de grand que beaucoup de quelque chose de petit. J'ai accepté de ne plus être le seul maître à bord et d'avoir un conseil d'administration», explique Éric Bergeron, ajoutant avoir beaucoup appris des membres du CA, tous très expérimentés.
Rassuré par la force de l'équipe, Éric Bergeron, qui a aujourd'hui 47 ans, a même poussé l'audace jusqu'à investir tout son REER dans Optosécurité en 2012. «Je n'ai pas le choix : il faut que ce soit un succès, sinon je vais travailler jusqu'à 143 ans ! Ça prend une foi aveugle, un peu de naïveté et un optimisme à tout défoncer pour faire ça. Mais ce qui fait la réussite, ce sont les gens. Ce ne sont pas les technologies et l'argent ; ce sont la combativité et la créativité.»
Son conseil pour le choix des investisseurs :
«Au début, on prend les investisseurs qui veulent bien croire en nous. Mais on choisit tout de même ceux à qui on présente notre projet. Il faut choisir du smart money. Même si les termes financiers sont parfois plus durs, il faut s'allier avec des gens qui ont de l'expérience en affaires, qui ont été au combat avant. Certains investisseurs ne mettent que de l'argent, et ensuite ne font rien d'autre que critiquer. Il faut des gens qui ont des réseaux dans le domaine, qui sont prêts à ouvrir des portes et à aider à embaucher des personnes clés ; des gens qui apportent une valeur ajoutée.»