Difficile de prendre le pouls des PME québécoises sans ausculter le point de vue de la relève. Impensable même. Et cette relève, c'est la génération Y (les 15 à 35 ans) qui en porte le flambeau. Afin de mieux comprendre la vision de cette génération montante, Les Affaires a discuté avec quatre jeunes professionnels de 23 à 29 ans qui occupent des postes clés au sein de PME d'ici. Pour obtenir la vérité, rien que la vérité sur ce qu'ils pensent vraiment de l'entreprise dans laquelle ils travaillent, nous leur avons promis l'anonymat. Résultat : munis de prénoms fictifs, ces «Y masqués» nous livrent un jugement parfois caustique, parfois approbateur, mais toujours franc sur leur entreprise.
Page 1- Catherine: «Je pousse ma luck un peu»
Page 2- Charles: «J'ai mis cartes sur table»
Page 3- Félix: «On a l'impression de changer les choses»
Page 4- Léa: «Tu dis ce que tu fais et tu fais ce que tu dis»
Catherine*
Région : Montréal
Secteur d'activité : Génie
Poste : Ingénieure
Dire que Catherine n'a pas la langue dans sa poche, c'est un euphémisme. Avec elle, pas de surprises ni de gants blancs. «Je "pousse ma luck un peu", dit-elle, sourire en coin. Mais bon, je suis faite comme ça. Je suis très consciente du fait que je suis très critique.»
Relations entre collègues
La transition entre l'université et le marché du travail s'est plutôt bien passée pour la jeune ingénieure. «J'ai fait quatre stages pendant mes études. J'avais déjà eu des contacts avec le milieu.» Son premier grand choc est survenu lors de son premier stage. «J'ai fait une blague un peu déplacée à un collègue, et c'est monté jusqu'aux ressources humaines ! J'ai vraiment eu l'impression d'être dans une garderie, pas dans un bureau d'adultes.»
Dans son poste actuel, au sein d'une firme montréalaise de génie qui compte quelques dizaines d'employés, elle déplore le manque de chaleur entre collègues. «On se connaît tous, mais on garde notre vie privée, privée. Ça me déçoit un peu. J'aimerais ça qu'on sorte plus. Je trouve qu'on est un peu "plates"...»
L'affrontement des générations
«Je trouve que dans notre génération [les Y], nous sommes des idéalistes. Ça crée un clash assez violent avec les X [les 35 à 55 ans], qui sont très désillusionnés. Ils l'ont eu plus difficile en entrant sur le marché du travail, et ça fait peut-être en sorte qu'ils sont très business, qu'ils travaillent de longues heures. Moi, en sortant de l'école, on me courait après. Je pouvais être difficile, et choisir mon employeur.» Toutefois, quand elle regarde ce qui s'est produit chez SNC-Lavalin, elle se désole du traitement qu'a subi sa génération : «Ce sont encore les jeunes qui ont payé pour les erreurs des autres», laisse-t-elle tomber.
Autre différence générationnelle, selon Catherine : le respect et l'intérêt pour la multidisciplinarité. «Les ingénieurs sont souvent convaincus qu'ils en savent plus que les autres. Je pense que les plus jeunes sont plus respectueux envers les autres professions, et plus curieux aussi.»
Liste de souhaits
Loin de penser que son entreprise fait du surplace, c'est plutôt la culture du risque qui inquiète la jeune femme. «On prend un peu trop de risques à mon goût.»
Les marchés se suivent, mais ne se ressemblent pas, rappelle-t-elle. «On se lance souvent dans de nouveaux projets sans être suffisamment préparé.»
Sur sa liste de souhaits, Catherine voudrait plus de rétroaction. «Mais on n'a jamais le temps», déplore-t-elle. Elle souhaiterait aussi moins d'économies de bout de chandelle. «Franchement, installer un support à vélo, ce n'est pas la mer à boire.»
Cependant, loin de démolir son employeur, elle souligne que ses patrons ne ratent aucune occasion de relever ses bons coups et qu'ils n'hésitent jamais à payer des formations. «Je suis là pour le challenge. Je suis heureuse dans mon travail, c'est valorisant. Si j'étais là pour remplir des documents Excel, je m'en irais.»
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Charles*
Région : Estrie
Secteur d'activité : Transport et logistique
Poste : Copropriétaire et gestionnaire
Pendant ses études de gestion à l'université, Charles savait déjà qu'il voulait se lancer en affaires, voler de ses propres ailes. Depuis plusieurs générations, ses proches se succèdent à la tête de l'entreprise familiale. Mais la perspective de répéter ce scénario ne l'intéressait pas. «J'avais d'autres projets, et je trouvais que je pensais différemment», nous raconte-t-il. Quelques années plus tard, à la fin de la vingtaine, c'est pourtant exactement là qu'il se retrouve.
Tensions familiales
L'entreprise familiale de Charles est en pleine croissance, et s'il n'avait pas prévu de le faire, il s'y engage de plus en plus. «J'y travaillais ponctuellement depuis que j'ai 15 ans», précise le jeune homme de l'Estrie. Il avait un pied dans la porte, il finit par y entrer complètement. «Mais j'ai mis cartes sur table, précise-t-il. Je me suis assis avec mes parents et je leur ai expliqué que si j'étais pour m'y investir, c'était pour devenir propriétaire un jour. Oui, j'avais mes preuves à faire, mais je voulais qu'ils comprennent d'emblée où je voulais m'en aller. Et je crois qu'ils voyaient que j'avais du potentiel. Je pense que se dire "les vraies affaires", c'est la clé du succès.»
Reste que des flammèches, il y en a eu. «Quand tu parles à ton père, disons que tu te gênes moins. Ça fait des discussions animées. J'étais très fougueux, plus que maintenant, et je ne comprenais pas toujours le point de vue de mes parents. Aujourd'hui, je me rends compte que j'avais parfois raison, mais que j'avais aussi des torts. En fait, il fallait s'adapter, trouver le juste milieu. On a fini par trouver le moyen de travailler ensemble.»
Le passage à la réalité
Outre la distance intergénérationnelle, il y a aussi un monde de différence entre la théorie apprise à l'université et la réalité sur le terrain. «C'est drôle à quel point c'est un choc quand tu entres sur le marché du travail. Je n'étais pas groundé dans la réalité, même si, quand j'étudiais, je voyais mon père faire des centaines d'heures, ne pas déléguer et faire un one man show. Ce que j'apprenais, c'était tout le contraire.»
C'est justement une critique qu'il émet sur son parcours scolaire. «Les PME, ils n'en parlent pas à l'université. Ils parlent des structures et des meilleures pratiques dans les grandes entreprises. Ce n'est pas nécessairement transférable dans de plus petits environnements. C'est bien beau de vouloir un service RH, par exemple, mais il faut toujours bien pouvoir se le payer.»
Virage vers la modernité
Son entrée dans l'entreprise familiale aura parfois été marquée par des confrontations plus ou moins importantes, mais elle aura permis à la PME de prendre un virage important, «plus participatif», indique Charles. «Ça n'a pas été évident, mais on a dû mettre des gens à pied. Des personnes qui ne s'intégraient pas dans la nouvelle culture.»
Dans ce nouvel environnement, ce n'est plus le nombre d'heures travaillées qui est valorisé, mais bien la qualité du travail. Et pour recruter et retenir les meilleurs employés, il a fallu réviser en profondeur la culture des vacances. «On nous demandait de quatre à six semaines, et nous, on répondait : "Ici, c'est deux semaines". C'est fou comme notre vision a changé avec le temps.»
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Félix*
Région : Montréal
Secteur d'activité : Publicité
Poste : Stratège média
Il vend du rêve, et pourtant, il pose un regard réaliste et lucide sur l'industrie de la publicité. «C'est beaucoup moins glamour qu'on pense», lance Félix d'entrée de jeu. Il vit néanmoins à 100 à l'heure, et entre deux journées de fou parsemées de quelques événements mondains, c'est un professionnel somme toute satisfait de son sort que Les Affaires a rencontré.
Une industrie de jeunes
Le monde de la pub est moins prestigieux que ne l'aurait espéré Félix. «On commence pas mal plus notre carrière en remplissant des fichiers Excel qu'en faisant des pitchs pour décrocher de gros contrats. Mais il faut apprendre la base, je pense, et franchement, j'ai pu profiter d'un encadrement hors pair.»
Ce soutien est nécessaire, explique Félix, puisque les jeunes débarquent avec très peu d'expérience dans cet univers très stressant. «Et nos clients sont souvent très old school, des vieux de la vieille qui veulent des structures hiérarchiques. J'ai l'impression que chez nos clients, les jeunes n'ont pas la place que nous avons», dit Félix.
Injecter un peu de jeunesse dans cette industrie qui s'abreuve des nouvelles tendances paraît incontournable aux yeux de Félix. «Nous devons être des early adopters, toujours à l'avant-garde. Nous sommes responsables de l'image de marque de clients pour qui la perception fait une énorme différence.»
Un trait distinctif des professionnels Y, souligne le jeune publicitaire, c'est leur énorme besoin de rétroaction. «Nous sommes de la génération où nos parents nous félicitaient tout le temps. "Bravo ! Beau travail mon grand ! Quel beau dessin..." Mais pour les employeurs, pour les gestionnaires, ça dévore beaucoup de temps et d'énergie de faire des évaluations constamment.»
À l'instar des autres Y masqués, Félix souligne l'importance d'être suffisamment mis au défi, d'éviter à tout prix de tomber dans la routine. «Pour nous, le travail d'équipe est primordial. Et on travaille fort. J'ai des employés qui sont rentrés dimanche dernier, et ils ne gagnent pas 30 000 $. On veut vraiment réussir. Surtout parce qu'on a l'impression de vraiment changer les choses. Nous avons de la difficulté à lâcher prise, mais ça s'apprend.»
Une limite translucide
Difficile aussi d'apprendre le détachement «quand on peut être rejoint de cinq façons différentes en tout temps, illustre Félix. La frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle est devenue très mince. Les limites entre collègue et ami s'étiolent également. On travaille tellement souvent ensemble, à devoir souper au bureau par exemple, que des amitiés se forment, poursuit-il. Chaque soir, quelqu'un passe dans le couloir et demande "qu'est-ce qu'on mange ce soir ?" Dans les périodes de blitz, en soirée, on se retrouve une bonne douzaine à manger des sushis autour de la table de conférence.»
Mais au-delà des amitiés qui naissent au bureau, «j'aimerais ça, instaurer une politique du "sans courriels" après les heures ouvrables», dit le jeune publicitaire, jaloux de préserver sa vie personnelle, à laquelle il a déjà si peu de temps à consacrer.
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Léa*
Région : Chaudière-Appalaches
Secteur d’activité : Manufacturier
Poste : Communications
C’est une jeune gestionnaire déterminée, résolue et énergique qui se confie à nous. Elle a pourtant la voix et le discours d’une femme d’un âge beaucoup plus mûr, de celle qui a vu neiger.
La vingtaine à peine entamée, elle occupe un poste de cadre dans une importante PME manufacturière. « Mais non, ce n’est pas trop rapide, assure Léa en éclatant de rire. J’ai vécu des choses pas mal plus rock’n’roll quand j’ai lancé mon entreprise. »
Atterrissage par vents de travers
Dès son entrée en fonction chez son employeur actuel, Léa est responsable de deux employées. L’une est issue de la génération X, l’autre est un baby-boomer.
« Je n’avais personne à “tasser”, explique-t-elle. Je voulais les mettre de mon bord, les mobiliser, les motiver. Je ne voulais pas “casser la baraque”, surtout que l’équipe avait déjà été échaudée par mon prédécesseur. Je mise plutôt sur la constance : tu dis ce que tu fais et tu fais ce que tu dis. Il faut responsabiliser son équipe, lui expliquer de quelle latitude elle dispose. Et surtout, ne pas s’attribuer tout le mérite. Il vaut mieux valoriser l’individu et essuyer le blâme en tant que dirigeant. »
Mais peu à peu, quelques mois après son entrée en fonction, la situation se dégrade avec l’une de ses subordonnées. Après de multiples avertissements et rencontres, Léa la congédie et la remplace par quelqu’un de plus âgé.
Chez les boomers, elle remarque un peu d’essoufflement. « Ils ont encore du cœur à l’ouvrage, mais je les trouve moins motivés. Et pas juste dans mon service. »
Grand terrain de jeu
Pas tous les boomers sont fatigués précise-t-elle toutefois : « Mon patron est un boomer, et il me laisse beaucoup de place. Mon point de vue est écouté, et lorsque l’une de mes idées est rejetée, on m’explique la raison du refus. Issue de la génération “pourquoi ?”, si je n’ai pas assez de rétroaction, j’en demande ! » Et bien que la jeune gestionnaire travaille dans une industrie traditionnellement masculine, les jeunes Y ont leur place, du moins dans son entreprise. « Les dirigeants apprécient notre dynamisme, croit Léa. Ils sélectionnent des gens qui ont “le couteau entre les dents”. »
Même si elle considère que le secteur manufacturier est un peu vieux jeu, Léa est persuadée que l’avenir de son industrie est plutôt rose. « Nous connaissons même une reprise », juge-t-elle. Et puisque sa PME a pris le virage numérique et qu’elle a simplifié son offre de produits au cours des dernières années, elle croit que son équipe est prête à affronter les défis à venir.
Plus grand que soi
« C’est important pour moi de travailler pour une entreprise inspirante », conclut Léa. Une entreprise qui donne l’impression de changer les choses, « quitte à ce que les conditions de rémunération ne soient pas “tops”. Mon père m’a toujours dit de trouver un travail où je n’aurais pas l’impression de travailler, où c’est challengeant, où les journées ne se ressemblent pas. Je veux vraiment être valorisée par mon travail. Être heureux, c’est s’accomplir », dit-elle d’un ton convaincu.
*Prénoms et illustrations fictifs
1. Les 300 c'est...
2. Agrandir pour attirer plus de clients
3. Implanter de nouveaux systèmes informatiques
4. Rendre sa production encore plus efficace
5. Des stratégies payantes
6. Mille milliards... d'actif !
7. L'artiste devenue entrepreneure
8. Vaillancourt continue d'ouvrir ses horizons
9. Se relever et se diversifier
10. Faire sa place parmi les grands
11. Mini révolution dans le monde de la consultation
12. L'ADN d'un top recruteur
13. Des Y parlent à coeur ouvert
14. Durer à l'international