De mémoire de Nord-Côtier, l'année 2014 a été marquée par la pire crise qu'ait traversée la région depuis celle de 1980, qui avait emporté les villes de Schefferville et de Gagnon. Les fermetures de l'usine de Pointe-Noire (mars 2013), de Wabush Mines (février 2014) puis de la mine de lac Bloom (novembre 2014) par le géant américain Cliffs Natural Resources ont amputé un millier d'emplois directs dans la Fosse du Labrador, dont 600 du côté du Québec. «Si l'on compte des pertes indirectes, c'est un peu comme si Montréal perdait 40 000 emplois en moins de deux ans», illustre Russel Tremblay, directeur adjoint à Développement économique Sept-Îles.
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L'année 2015 ne s'annonce guère mieux : plusieurs mines de fer dans le monde s'avèrent plus coriaces et concurrentielles que prévu, notamment en raison de la faiblesse des devises locales et de la baisse combinée du prix des carburants et des frais de transport, ce qui leur offre un sursis.
Côté demande, nombre d'aciéries chinoises se retrouvent, inversement, sur la touche, alors que planent les rumeurs d'inspections environnementales et de fermetures. Résultat : le prix de la tonne de fer avoisine les 50 $ US et s'approche dangereusement des coûts de production moyens des mines Mont-Wright d'ArcelorMittal et Carol Lake de Rio Tinto IOC, qui font vivre directement plus de 5 000 personnes au Labrabor et sur la Côte-Nord. Alors que la Deutsche Bank évoque déjà une chute du prix en deçà de 40 $ US, il est clair que le psychodrame n'est pas encore terminé pour les Nord-Côtiers.
Mine Arnaud, un ballon d'oxygène
Pourtant, voilà plus de 30 ans qu'on entonne le même refrain : la Côte-Nord doit diversifier ses filières minérales si elle souhaite s'affranchir de sa dépendance au fer. On n'ose à peine imaginer ce que serait devenue Sept-Îles si Aluminerie Alouette, qui y emploie quelque 1 000 personnes, n'avait pas ouvert ses portes en 1992.
«La crise actuelle est plus grave que celle de 1980, mais étant donné qu'à l'époque, on n'avait que le fer, ça a été beaucoup plus pénible, juge Russel Tremblay. Aujourd'hui, nous avons Aluminerie Alouette, qui peut tempérer les effets négatifs dans la collectivité.»
Mais Alouette seule ne peut compenser la chute vertigineuse des investissements miniers, qui sont passés de plus de 2 milliards de dollars en 2013 à 750 millions de dollars en 2014, selon des données provisoires. C'est justement dans l'espoir d'épaissir leur «coussin de sécurité» que plusieurs Septiliens ont soutenu le projet d'apatite Mine Arnaud - quitte à ravaler les nombreuses critiques formulées par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). La construction de ce projet de 850 M$, approuvé en mars par le gouvernement, doit débuter au printemps 2016 et créera de l'emploi pour 1 000 personnes.
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Cap sur la transformation
L'année 2014 a brusquement remis à l'ordre du jour la nécessité de diversifier l'industrie minérale au Québec. C'est d'ailleurs la principale conclusion des consultations qu'a menées, de septembre à mars, le ministre délégué aux Mines, Luc Blanchette. Chargé de mettre au point une «vision stratégique du développement minier», M. Blanchette a rencontré tant les sociétés minières et les fournisseurs que les municipalités, les collectivités touchées et les groupes sociaux et environnementaux. L'exercice n'est pas anodin : cette vision stratégique constitue l'une des pièces maîtresses de la stratégie du Plan Nord. «Il faut s'ouvrir à de nouvelles filières», dit le ministre.
«Il y a des minéraux qui n'étaient pas là il y a 10 ans et qui se sont ajoutés : les terres rares, le lithium, l'apatite, le vanadium, précise le ministre. Au lieu de les exporter, on pourrait faire une première ou une deuxième transformation, notamment dans des usines de séparation. On ne peut plus juste faire de l'exploration et de l'exploitation. C'est un peu ce que la vision stratégique va nous donner.»
M. Blanchette compte notamment mettre à profit les «études d'opportunité économique et de marché pour la transformation», qui avaient été intégrées à la Loi sur les mines en décembre 2013, pour repérer les filières ayant un potentiel de transformation locale.
«Mon rêve, ce serait de développer une filière hydrométallurgique, avec des emplois techniques et scientifiques bien rémunérés», dit-il.
Il en appelle également aux 372 fournisseurs et équipementiers spécialisés dans la filière minérale, qui pourraient, selon lui, faire le pont entre les régions ressources et Montréal ou la Montérégie.
La filière des batteries
Il est vrai que, sans transformation, la seule exploitation de la plupart des nouveaux métaux industriels pourrait se révéler décevante pour les régions ressources, tant son impact resterait marginal. C'est le cas du lithium, longtemps vanté comme «le nouvel or blanc», mais qui n'a jamais réellement profité aux pays qui se contentaient de le produire.
«Le lithium peut jouer un rôle dans la diversification minérale, mais pas très grand parce qu'on ne parle pas des mêmes volumes», précise Guy Bourassa, président et chef de direction de Nemaska Lithium. La société établie à Québec souhaite extraire du spodumène à sa mine de Whabouchi, à la baie James, pour en faire de l'hydroxyde de lithium à son usine chimique de Valleyfield. «En tenant compte de l'extraction, de la concentration, de la transformation et du transport, on en arrive à un maximum de 300 emplois», dit M. Bourassa.
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Il n'y a pas non plus de quoi sabler le champagne pour ce qui est de la construction : la totalité du projet représente des dépenses initiales en capitaux de 520 M$. «Sur la Côte-Nord, il n'y a pas un projet de fer qui commence en bas de 2 G$.»
Par contre, l'usine d'hydroxyde de lithium de Valleyfield pourrait bien attirer d'autres acteurs dans la filière des batteries. Cette dernière ne compte actuellement que deux usines au Québec : celle de Phostech à Candiac, qui fabrique des cathodes pour les producteurs de batteries ; et celle de Bathium Canada, une filiale du Groupe Bolloré établie à Boucherville, qui produit des batteries.
L'usine Phostech a d'ailleurs changé de mains en octobre, lorsque la société britannique Johnson Matthey a racheté Clariant EG - une bonne nouvelle, selon M. Bourassa.
Autre point positif : l'usine de batteries que le constructeur de voitures électriques Tesla souhaite ouvrir dès 2017 au Nevada nécessitera justement de l'hydroxyde de lithium, plutôt que du carbonate. «La seule usine de Tesla requerra annuellement 28 000 tonnes d'hydroxyde de qualité adéquate pour des batteries, soit plus que la production mondiale actuelle», évoque M. Bourassa.
Miser sur des produits à contre-cycle
Le constat est tout aussi valable pour le projet de Minéraux rares Quest, qui a bénéficié en février d'une contribution gouvernementale de 600 000 $ en souscriptions au capital-actions. Ce projet de 1,6 G$ prévoit la construction à Bécancour de la première usine de séparation des éléments en Amérique du Nord : une occasion rêvée, selon M. Blanchette, de prendre les devants dans la filière hydrométallurgique.
Un enthousiasme que partage Nochane Rousseau, associé et leader du secteur minier pour le Québec à PricewaterhouseCoopers. «Étant donné que tout se fait en Chine, on a une belle occasion de se positionner dans la transformation, contrairement à d'autres filières qui ont déjà une capacité de transformation excédentaire dans le monde», dit-il. Quest souhaite commencer la production dès 2019.
D'autres filières pourraient se développer et permettre aux Nord-Côtiers de souffler un peu lorsque le cours du fer dégringole : la région compte deux projets de mise en valeur de graphite (Lac Knife et Lac Guéret), sans compter l'usine de silicium métal que FerroAtlántica souhaite ouvrir à Port-Cartier dès la fin 2016.
Mais tout cela prendra du temps et de la persévérance. «On veut se diversifier, mais il y aura beaucoup d'embûches, dit M. Rousseau. On ne peut pas tout miser sur les métaux de haute technologie.» Luc Séguin, vice-président du développement des affaires à Ressources Québec, est du même avis. «C'est sûr qu'on aimerait pouvoir compter sur des produits à contre-cycle quand le fer ou l'or vont mal», souligne-t-il.
«Mine Arnaud, ça va en être un. Mais dans les terres rares, le lithium, le graphite, on commence à peine à explorer. Le cycle de développement est d'environ 15 ans. Ce n'est pas demain la veille qu'on va avoir des projets d'exploitation.»
2014, une année mi-figue, mi-raisin
- 32 %: Investissements miniers totaux au Québec: 2,87 G$, en baisse de 32 %
- 63 %: Investissements miniers sur la Côte-Nord : 750 M$, en baisse de 63 % par rapport à 2013
7,5 %: Valeur totale des expéditions minérales pour le Québec: 8,7 G$, en hausse de 7,5 %
Source : Données provisoires 2014, Institut de la statistique du Québec
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