Gens d'affaires du Sud, prenez note. La façon de brasser des affaires avec les Cris est en train de changer. Une nouvelle génération d'entrepreneurs réclament plus de rigueur et de performance de la part des entreprises cries, et des partenariats plus porteurs.
« Il ne faut plus que les Blancs débarquent chez nous en Mercedes avec leur palette de cash et donnent ça aux chefs des conseils de bande », lance Jonathan Saganash, directeur des communications du holding d'entreprises CREECO. « Qu'on laisse le développement économique aux gens d'affaires et aux sociétés de développement économique ! » plaide-t-il, dénonçant la « forte politisation » des contrats dans les communautés cries.
David Bull, 39 ans, en est un autre qui brasse la cage dans sa communauté. Récemment promu directeur de l'exploitation chez Tawich Development Corporation - une entreprise appartenant au Conseil de bande de la Nation de Wemindji - il a forcé sa propre filiale à revoir sa soumission d'un contrat, parce qu'après être allé voir ailleurs, il a découvert qu'elle n'était pas assez concurrentielle.
Normalement, le contrat serait automatiquement allé à VCC Massenor, coentreprise formée avec une compagnie abitibienne et dirigée par l'ancien chef du conseil de bande. C'est ce qui s'était passé pour bien d'autres contrats, dont celui de construction de maisons, accordé sans appel d'offres.
Mais David Bull a tapé du poing sur la table : « Je veux choisir un soumissionnaire parce qu'il me donne le meilleur prix, pas parce qu'il appartient au conseil de bande », dit ce natif de Wemindji qui a étudié à Ottawa.
À l'époque des contrats avec Hydro-Québec, le protectionnisme se justifiait par le désir de s'affirmer sur le plan économique. Mais dix ans plus tard, alors qu'une masse critique de gens d'affaires a émergé, de jeunes leaders comme Jonathan Saganash et David Bull encouragent les remises en question. Ainsi, les conseils de bande doivent-ils favoriser les chevaux sur lesquels ils ont misé ou choisir les meilleurs ? Les entreprises cries peuvent-elles devenir plus performantes si elles ne sont pas toutes sur un pied d'égalité ?
Clients d'envergure
Clients d'envergure
C'est que les temps changent aussi pour les Cris : les nouvelles occasions d'affaires ne concernent plus simplement des projets d'infrastructures locales ou des travaux de base pour Hydro-Québec. Elles touchent maintenant des projets d'envergure mondiale, notamment dans le secteur minier.
David Bull cherchait des soumissionnaires pour deux contrats majeurs : dans un cas, il s'agissait d'une buanderie industrielle pour la minière Goldcorp. « Avec un client comme ça, je n'ai pas le droit à l'erreur », explique-t-il. Dans le deuxième, il est question de s'unir au géant de l'alimentation Loblaws, qui prend pied pour la première fois à la Baie-James, détrônant la chaîne Northern, jugée colonialiste. « Je dois réussir ces projets », insiste David Bull. Des projets pour lesquels il a emprunté dans une banque conventionnelle - la TD - au lieu de se tourner vers un fonds cri, précise-t-il.
Le chef de Wemindji, Rodney Mark, se montre lui aussi disposé à des changements dans la culture d'affaires : « Nous allons passer en revue nos coentreprises afin de mesurer leurs forces et faiblesses », signale-t-il. Car sa tête à lui aussi est sur le billot avec le mégaprojet de la mine d'or Éléonore. Sa grande préoccupation : s'assurer d'avoir une main-d'oeuvre assez nombreuse, bien formée et prête à faire ses preuves auprès d'entreprises mondiales. C'est par la compétence et la concurrence que les Cris deviendront prospères, et leurs leaders le savent.
Or, lors de notre tournée, plusieurs gens d'affaires cris ont exprimé des critiques face aux entreprises du Sud qui, dans le passé, se sont alliées avec des intérêts cris mais sans faire suffisamment d'efforts concernant le transfert de compétences et la formation. Ils ont également négligé de faire en sorte que les clients - en l'occurrence la population crie - en aient pour leur argent, au bout du compte.
Une autre tendance se dessine : l'entrepreneuriat privé. Alors que les Cris ont beaucoup d'entreprises publiques, les intérêts privés en détiennent peu. Jusqu'à maintenant, le système économique cri n'a pas encouragé leur démarrage. Et peu de Cris ont développé la fibre entrepreneuriale. Cela aussi est en train de changer. Selon Ted Moses, l'ancien chef du Grand Conseil des Cris, « c'est le prochain défi ».