Le Grand Conseil des Cris vient de se doter d'un bras financier lui permettant d'investir, avec Québec ou des partenaires privés, dans des entreprises non cries.
L'opération consistera à remplacer le Bureau d'indemnité cri et la Société Eeyou de la Baie-James par un nouvel outil appelé la Société de développement crie. Elle sera dotée d'un budget d'au moins 250 millions de dollars, auquel pourront s'ajouter des fonds gouvernementaux et privés jusqu'à un montant équivalent.
Le but est de centraliser les ressources des deux organisations pour créer un bras financier moderne, capable d'investir dans des projets situés sur le territoire du Plan Nord. Objectif : apporter à la nation crie une nouvelle vague de développement fondée sur la compétitivité et la profitabilité.
« Je comparerais notre nouvelle société à votre Caisse de dépôt et placement », a déclaré en entrevue le directeur général du Grand Conseil des Cris, Bill Namagoose.
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Le Bureau d'indemnité cri perçoit, administre, investit et distribue les indemnités reçues dans le cadre de la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec. Il détient le holding d'entreprises CREECO. La Société Eeyou de la Baie-James constitue quant à elle un fonds alimenté par Hydro-Québec dans le cadre de la mise en place du complexe La Grande.
Selon M. Namagoose, les structures et la gouvernance de ces organismes ont fait rater aux Cris plusieurs occasions d'affaires. « Ce sont des reliques des années 1970 », explique-t-il. Il donne deux exemples : le BIC ne pouvait pas prêter à des compagnies détenues par des individus. De plus, il n'a pas investi dans des entreprises blanches prometteuses comme Mines Virginia, la société d'exploration qui a découvert la future mine Éléonore de Goldcorp.
Finalement, la centralisation permettrait de réaliser des économies de gestion et des synergies. « A-t-on vraiment besoin de dépenser 4 M$ pour les six réunions annuelles des 20 administrateurs du BIC ? » plaide M. Namagoose.
Mais le Bureau d'indemnité cri voit les choses autrement. On craint de faire l'objet de pressions politiques au sein de la SDC. « Or, actuellement, nous sommes indépendants et redevables à la population crie », fait valoir Jack Blacksmith, son président. De plus, il estime que le fait d'introduire des gestionnaires québécois au sein de la SDC représente « un recul ». Mais pour Bill Namagoose, la SDC, dont la création a été inscrite dans l'accord de la Paix des Braves en 2002, sera bientôt un fait accompli. Il indique toutefois que la participation de Québec « est un engagement, mais elle n'a pas été confirmée ».
Si Robert Bourassa revenait à la Baie-James...
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Il n'en reviendrait pas. L'ex-premier ministre ne reconnaîtrait pas les villages avec lesquels il a négocié la Convention de la Baie-James de 1975. Les anciens regroupements de tipis ressemblent maintenant à des banlieues peuplées d'unifamiliales à 300000 $ où roulent des pick-up de l'année. Les neuf communautés cries sont maintenant dotées d'imposants palais de justice, d'écoles bien équipées et de complexes sportifs modernes.
À Chisasibi, on finalise les plans d'un hôpital de près de 100millions de dollars qui fait pâlir d'envie les Blancs de Radisson. À Oujé-Bougoumou, on a construit au coût de 14M$ un splendide musée signé Douglas Cardinal, concepteur du Musée canadien des civilisations. À Nemaska, siège québécois du Grand Conseil des Cris, l'hôtel trois étoiles situé en bordure du lac est muni du Wi-Fi dans toutes les chambres.
« Ce développement fulgurant s'est effectué à un rythme inégalé dans le monde », observe John Hurley, avocat en droit autochtone chez Gowlings qui conseille le Grand Conseil des Cris.
Tout cela, on le doit à l'accord de la Paix des Braves, signé en 2002, qui octroie aux Cris de la Baie-James 3,6 milliards de dollars de la part de Québec sur 50 ans et 1,2 G$ de celle d'Ottawa sur 20 ans, en guise de dédommagement pour l'extinction de leurs droits sur des terres ancestrales riches en ressources naturelles. Grâce à cette entente, chacune des communautés cries d'Eeyou Istchee (Baie-James, en cri) a sa propre société de développement économique locale et ses propres entreprises.
Quant au grand holding d'entreprises CREECO, propriété du gouvernement national cri, il enregistrait en 2010 un chiffre d'affaires de 200 M$.
Si Robert Bourassa se rendait aujourd'hui à la Baie-James, il rencontrerait les Mark, MacLeod, Blacksmith, Happyjack, Moses et Cheechoo qui brassent de grosses affaires. Que dirait-il de la récente entente de gouvernance qui donne au nouveau gouvernement de la nation crie des pouvoirs municipaux et régionaux sur le cinquième de la superficie de la province ? Après avoir participé à l'érection de barrages hydroélectriques, les Cris s'attellent à bâtir les futures mines du Plan Nord. « Les Cris peuvent maintenant se regarder dans le miroir et se reconnaître comme des participants, et non comme des spectateurs impuissants, souligne Ted Moses, ancien chef et père de la Paix des Braves. C'est cela que Robert Bourassa n'avait pas vu en 1975. » S.D.