Le Plan Nord que s'apprête à annoncer le gouvernement Charest représente un véritable casse-tête. Non seulement Québec devra-t-il concilier les intérêts divergents entre industriels, environnementalistes, autochtones et représentants de l'industrie touristique, mais il devra décider rapidement quelles infrastructures il privilégiera s'il veut que sa vision se réalise.
Les attentes en matière d'infrastructures sont élevées, ne serait-ce qu'en raison des nombreux projets miniers au nord du 49e parallèle, exposés lors du dernier congrès de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (PDAC), au début du mois à Toronto. Le Québec aura-t-il les moyens de ses ambitions minières ? Et saura-t-il établir un ordre des priorités ?
Le premier et le seul projet d'infrastructure annoncé depuis la naissance du concept du Plan Nord est le prolongement de la route 167 à partir du lac Albanel : 260 kilomètres (km) vers le nord, pour 260 millions de dollars (M$), dont l'État s'est engagé à payer la moitié.
Les travaux n'ont pas encore débuté, ce qui inquiète les dirigeants de Stornoway, propriétaires du gisement de diamant Renard, près des monts Otish, où la route doit se rendre.
" Si les travaux ne commencent pas cet été, on est dans le trouble ", indique Ghislain Poirier, vice-président de Stornoway. La minière canadienne a prévu un plan B - une route saisonnière partant du nord du site - mais la 167 ouvre la voie à trois projets miniers pour d'autres entreprises.
Les investisseurs exigent des incitatifs
Stornoway a également besoin d'un aéroport au sud du projet, de même qu'une ligne de transmission d'électricité de 161 kilovolts (kV) sur 150 km. (Elle remplacerait l'alimentation au diésel, plus polluante, ce qui réduirait les coûts d'énergie.)
Le grand projet de mine de fer Taconite de New Millenium et Tata Steel prévoit aussi une ligne électrique de 315 kV sur 250 km (en plus d'un pipeline ou, à défaut, d'une prolongation du chemin de fer). Avec un niveau de tension aussi élevé, le coût risque d'atteindre plusieurs centaines de millions de dollars.
Les coûts de construction d'infrastructures sont normalement assumés par les minières, mais ces dernières, apercevant le Plan Nord, revendiquent un soutien gouvernemental.
Chez ArcelorMittal, par exemple, on cherche à obtenir des tarifs réduits d'électricité. Le géant indien de l'acier planifie l'agrandissement de sa mine du Mont-Wright et veut construire une deuxième usine de bouletage. L'entreprise a fait savoir à Jean Charest qu'elle pourrait bien réaliser son projet ailleurs si d'importants rabais ne lui étaient pas consentis.
L'autre défi pour Hydro-Québec est d'avoir rapidement une vue d'ensemble des projets. " Je dis aux compagnies minières, amenez-moi vos plans et vite, même s'ils ne sont pas finalisés, parce que le processus d'approbation prend des années ", lance un représentant de la société d'État croisé lors du congrès de la PDAC, qui préfère ne pas être identifié.
Le plan Nord, c'est moi !
Chaque grande minière chante le même refrain : " Le Plan Nord, c'est moi ! " et réclame des infrastructures.
Adriana Ressources caresse un immense projet de huit milliards de dollars avec des intérêts chinois pour extraire jusqu'à 50 millions de tonnes de fer par année dans le Nunavik, au nord du projet Taconite. Le consultant Clément Tremblay dit qu'il faudra construire un chemin de fer de 850 km pour rallier Sept-Îles, ainsi qu'apporter d'importantes améliorations dans le port de la ville.
" Notre projet devient une gigantesque opération de transport ", indique M. Tremblay. On est encore à l'étape de préfaisabilité et l'entente avec le partenaire chinois n'est pas conclue.
Toujours au Nunavik, les propriétaires chinois de Canadian Royalties sont en pourparlers avec Hydro-Québec afin de construire des éoliennes.
Chez Mines Virginia - la minière qui a découvert le gisement d'or Éléonore à la baie James et l'a vendu à Goldcorp - le président André Gaumond a d'autres projets (or et métaux de base) dans ce secteur. Il réclame deux nouvelles routes dans le cadre du Plan Nord : une reliant la Transtaïga aux monts Otish et l'autre, le réservoir Caniapiscau et Schefferville.
Chemin de fer, routes, lignes électriques, aéroports : il est question ici d'investissements majeurs - sans parler du rêve de Jean Charest de bâtir un port en eau profonde pour rejoindre le passage du Nord-Ouest.
" C'est cela, une vision : pour s'enrichir, il faut investir, s'exclame Ghislain Poirier. Le gouvernement doit choisir entre développer le Nord et en tirer profit ou payer sa dette et ne pas faire de développement. "
Chose certaine, Québec devra manoeuvrer s'il veut respecter son engagement de protéger 50 % du territoire. " Il ne faudra pas que les terrains à haut potentiels soient stérilisés ", plaide André Gaumond, de Mines Virginia.
Clément Tremblay, lui, espère que Québec saura établir ses priorités. " Si Québec choisit trois projets, je croirai qu'il est sérieux. S'il dit qu'il veut tout faire, cela voudra dire qu'il ne fera pas grand-chose. "