«Le secret le mieux gardé du Québec.» C'est ainsi que le premier ministre Jean Charest a un jour qualifié la société Makivik. Peu de gens savent en effet que cette société possède deux compagnies aériennes, dont First Air, le troisième transporteur en importance du Canada. Elle a aussi des activités dans le transport maritime, les pêches, la construction, les communications sans fil, les produits de beauté...
Créée en 1975 pour recevoir, administrer et investir l'indemnité pécuniaire destinée au peuple inuit conformément à la Convention de la Baie-James et du Nord du Québec (CBJNQ), Makivik a démarré avec un budget de 92 millions de dollars (M $). Elle valait 420 M $ en 2011, selon Jean-François Artaud, adjoint de direction du président de la société jusqu'au 19 janvier. Pas mal pour une société qui a un statut d'organisme sans but lucratif...
Une société en croissance
Et ce n'est pas fini. Dans la foulée du boum généré par le Plan Nord, les sources de revenus de Makivik sont appelées à augmenter. C'est en effet avec Makivik que les minières signent des ententes sur les impacts et les bénéfices (EBA) qui prévoient des indemnités aux nations autochtones sur le territoire.
À titre d'exemple, la minière Xstrata a accordé plus de 100 M $ à Makivik en participation aux bénéfices d'exploitation depuis l'entente signée en 1995 pour la mine Raglan.
Les minières comme Jien Canada, Oceanic Iron Ore et Adriana sont en train de négocier le même genre d'ententes, qui prévoient non seulement des redevances, mais aussi des emplois et des contrats.
Mais les paroles du premier ministre pourraient aussi refléter le fait que Makivik n'est pas un livre ouvert. Impossible, en effet, de connaître les revenus et profits de First Air l'an dernier, ou de savoir comment Makivik a géré ses entrées de fonds et ses dépenses.
Changement de garde
Le 19 janvier dernier, les Inuits du Nunavik ont destitué Pita Aatami, président de Makivik depuis 14 ans et membre de son conseil d'administration depuis 24 ans. Un des facteurs qui aurait joué dans cette destitution est l'octroi d'un bonus de 600 000 $ à M. Aatami pour la bonne performance de First Air.
Dans le dossier du Plan Nord, le nouveau président, Jobie Tukkiapik, adopte la même position mitigée que son prédécesseur : oui, mais seulement si ce projet peut soutenir un développement durable pour la communauté, selon les conditions fixées dans le Plan Nunavik. En campagne électorale, M. Tukkiapik a promis d'être plus à l'écoute de la population et de réclamer les terres cédées dans le cadre de la Convention de la Baie-James.
Une position qui n'inquiète pas trop, toutefois, le président de la minière Oceanic Iron Ore : «M. Tukkiapik siégeait au conseil d'administration de Makivik avant d'en devenir le président. Nos pourparlers se poursuivent comme avant avec les avocats de Makivik», a précisé Steven Dean.
Une des priorités du nouveau président : adopter rapidement une politique minière pour Makivik, un dossier lancé par l'ancienne administration. C'est un besoin urgent, selon la présidente de l'Administration régionale Kativik (ARK), Maggie Emudluk (l'ancienne patronne de M. Tukkiapik) car les minières sont aux portes du Nunavik. Le responsable du développement économique chez Mativik, Michael Gordon ajoute que la société planche aussi sur un guichet unique pour les entrepreneurs voulant faire affaire au Nunavik.
La manière dont les indemnités minières sont distribuées à la population pourrait aussi être revue, croit Mme Emudluk. Selon elle, elle devrait l'être. Actuellement, il est prévu que les villages directement touchés par les exploitations minières touchent une grande partie de l'argent - le reste allant à l'ARK - et décident eux-mêmes si cet argent sera versé par chèques aux citoyens ou affecté à des projets communautaires. Mme Emudluk fait valoir que lorsque l'argent arrive sous forme de chèques individuels, les bénéficiaires ont tendance à le dépenser rapidement.
«Il faut revoir cette pratique si on souhaite un meilleur développement de la population», assure-t-elle. Une étude effectuée en Colombie-Britannique a démontré que ces chèques entretenaient en partie les problèmes de toxicomanie chez les bénéficiaires.
Le nouveau président de Makivik a refusé de nous accorder un entretien, parce qu'il préférait prendre d'abord connaissance de ses dossiers.
UNE ENTREPRISE TRÈS DIVERSIFIÉE
Les entreprises Halutik
Cette entreprise de livraison de carburant exploite aussi de la machinerie lourde et un concasseur de gravier.
BioSciences Nunavik
Cette entreprise utilise des algues pour fabriquer les crèmes biologiques contre le vieillissement de la peau de la gamme appelée Ungava, commercialisée depuis l'an dernier sur Internet. Un projet de créer une usine de traitement est en cours. Celle-ci permettra de doubler la production et de pénétrer le marché des pharmacies, magasins à grande surface et spas. Biosciences est à la recherche d'un partenaire. L'Oréal a été approché.
Nunacell
Créée en 2009, cette société de téléphonie cellulaire est chargée d'implanter un service de téléphonie mobile à Kuujjuaq. Cette année, le service a été établi à Inukjuak, à Salluit et à Puvirnituq. La société s'est jointe à la montréalaise Lynx Mobility pour exploiter le réseau.
NEAS
Nunavut Eastern Artic Shipping, une coentreprise formée avec Tukimut et Transport Nanuk (Logistec et Northwest), fait du transport maritime de matériaux et marchandises divers, entre autres pour les minières.
Makivik Construction
Cette société construit les logements sociaux et d'autres infrastructures au Nunavik. Makivik engage des sous-traitants, inuits ou du Sud pour réaliser ses contrats. Certains lui reprochent de ne pas former suffisamment d'Inuits dans le cadre de ces contrats.
Air Inuit
Moins rentable, Air Inuit transporte les résidents entre les 14 villages du Nunavik et d'autres agglomérations au Québec. Air Inuit vient de dépenser 37 M$ pour refaire ses installations à l'aéroport Trudeau.
First Air
Filiale à 100 %, elle effectue des liaisons entre le Sud et le Nunavik, de même qu'au Nunavut et dans l'Arctique Ouest. First Air est la compagnie la plus profitable de Makivik. Elle possède notamment des appareils de type 737 et Hercules. Elle vient de commander de nouveaux avions combo (destinés autant au transport de marchandises qu'à celui de personnes), qu'elle a aménagés elle-même.
Pêcheries Unaaq
Cette coentreprise formée avec une société du Nunavut exporte ses crevettes et flétans en Russie, au Japon et en Chine.
Nunavik Créations
Une entreprise de fabrication de vêtements.
Nunavik Geomatics
Cette société recueille, conserve et traite des informations géographiques et géospatiales.
2 500 Nombre total de personnes employées par des entreprises affiliées à Makivik. Certaines filiales sont détenues à 100 % par Makivik, d'autres sont des coentreprises.