Montréal accueille cette semaine le Congrès national de l'Institut des administrateurs de sociétés (IAS). L'événement se déroulera sous le thème de la transformation et de l'innovation. Les Affaires en discute avec Robert Tessier, administrateur de l'IAS et président du conseil de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
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Diane Bérard - On imagine plus facilement des entreprises innovantes que des conseils d'administration innovants...
Robert Tessier - C'est vrai. Ce n'est pas une association que l'on fait naturellement. Par définition, un CA est plus proche du conservatisme que de l'innovation. Mais les temps changent. Nous sommes entrés dans un cycle économique très difficile. Les risques se multiplient. Tous les acteurs, y compris les conseils, doivent répondre avec des façons de faire différentes.
D.B. - Comment le CA de la Caisse de dépôt et placement décline-t-il la notion d'innovation ?
R.T. - Notre innovation la plus importante est l'ajout de femmes. Le gouvernement du Québec a établi une règle qui incite les sociétés d'État à atteindre la parité. Ce n'est pas une obligation, mais c'est souhaitable. La Caisse a décidé d'emboîter le pas. Cela s'est fait progressivement. Aujourd'hui notre conseil compte 5 femmes sur 12.
D.B. - Innover doit rapporter. En quoi ajouter des femmes au CA de la Caisse rapporte-t-il ?
R.T. - Soyons clairs, toutes les administratrices recrutées ont été choisies pour leurs compétences. Nous n'avons pas simplement ajouté des femmes, nous avons complété notre palette d'expertise. Un conseil est aussi fort que la somme de ses administrateurs. Tout est question d'équilibre. Ajouter des femmes apporte de nouvelles compétences.
D.B. - Il y a aussi des bénéfices intangibles...
R.T. - En effet, ces femmes n'apportent pas que leur expertise. Je dois reconnaître qu'elles diffèrent des administrateurs. Depuis qu'elles sont plus nombreuses, le ton a changé lors des réunions. Il est plus... civilisé. Les femmes ont aussi un effet d'entraînement sur l'étude des dossiers. Elles creusent davantage. Quand un élément n'est pas clair, elles posent davantage de questions. Elles n'ont pas de problème d'ego. Ça pousse les autres administrateurs à faire de même.
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D.B. - Le CA de la Caisse a changé sa composition, a-t-il innové aussi dans son fonctionnement ?
R.T. - La Caisse est un investisseur. Or, je vous disais plus tôt que les risques de tout ordre se multiplient. Le CA s'est adapté. Désormais, aucun dossier d'investissement n'est présenté au conseil sans un accompagnement adéquat. Une présentation est faite par les responsables de l'analyse du risque. Ça nous permet de voir les deux côtés de la médaille, le potentiel, mais aussi le risque. Et de poser les questions qui s'imposent.
D.B. - Toute cette adaptation doit être exigeante...
R.T. - Bien sûr. Désormais, aucune entreprise ne peut élaborer une stratégie et la conserver cinq ans. La Caisse en est à sa 3e stratégie en six ans ! Évidemment, on conserve les éléments fondamentaux - ce qui fait notre succès et notre force -, mais on s'adapte. L'univers de l'investissement emprunte sans cesse des tournants imprévus. Il y a cinq ans, par exemple, personne ne pouvait prédire que les taux d'intérêt atteindraient 0 %. Aujourd'hui, personne ne sait quand ils remonteront. Et que dire de la croissance. Il n'y en avait que pour les pays du BRIC [Brésil, Russie, Inde, Chine]. Ce ne sont plus les économies les plus performantes. La croissance vient toujours des pays émergents, mais pas de ceux que l'on avait ciblés. Le Mexique, par exemple, s'est réveillé. Et que dire des États-Unis : qui aurait prédit leur rebond ?
D.B. - Accompagner une entreprise qui s'internationalise, qu'est-ce que cela exige de la part d'un administrateur ?
R.T. - C'est un défi fort intéressant... quand l'équipe de direction possède l'expertise requise. Ensuite, vous complétez avec des administrateurs rompus à l'international et vous êtes outillé. Le conseil de la Caisse peut compter, entre autres, sur Michèle Desjardins et Ouma Sananikone.
La première fait de la consultation en gestion pour les grandes familles entrepreneuriales. Certaines se trouvent en Amérique du Sud. Mme Sananikone, quant à elle, a géré un important fonds australien.
D.B. - Chaque semaine, de nouveaux diplômés sortent des écoles de gouvernance. La formation a-t-elle changé pour s'adapter aux nouveaux défis des administrateurs ?
R.T. - Tout ne s'apprend pas dans un cours, aussi complet soit-il. Les administrateurs ont le devoir de se documenter constamment. Et, surtout, de lire autre chose que les documents fournis par l'entreprise. Il faut se tenir au courant de la vie financière de notre secteur. Et comprendre la géopolitique mondiale.
Sans cela, il sera bien difficile de se faire une tête lors des réunions. Je ne compte plus le nombre de publications que je parcours pour connaître ce qui se passe à Wall Street, dans la City ou à Beijing.
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D.B. - Les TI sont souvent la bête noire des administrateurs. Comment le CA de la Caisse se sent-il face à ce dossier ?
R.T. - La direction a procédé à d'énormes changements. Je me souviens encore du premier schéma des TI qu'on m'a présenté... Il ressemblait à un plat de spaghettis qu'on aurait échappé sur le plancher ! Il n'y avait rien à y comprendre. Aujourd'hui, tous les administrateurs s'y retrouvent. Michael [Sabia] a regroupé des gens compétents autour du dossier TI. Et puis, les projets sont achevés dans les délais en respectant les coûts.
D.B. - Qu'est-ce qui apporte le plus de tranquillité d'esprit à un administrateur ?
R.T. - Un pdg serein. Michael est très serein.
D.B. - De quoi un administrateur a-t-il besoin aujourd'hui pour bien remplir son mandat ?
R.T. - Il doit pouvoir prendre des décisions qui comportent un fort degré d'incertitude.
D.B. - Que doit-il exiger de la direction ?
R.T. - Le CA doit s'assurer d'une exécution rapide. On ne peut pas attendre trop longtemps pour déployer les plans d'action, car il est fort probable qu'il faille s'ajuster.
D.B. - Et de lui-même ?
R.T. - La CA doit adopter la même vitesse [que celle qui est] exigée de la direction. Mais il doit aussi se montrer flexible. Accélérer ou décélérer l'implantation du plan de match. Changer la vitesse d'exécution, mais aussi la direction. Vous aviez prévu d'aller à droite, mais il faut plutôt viser la gauche. Le nouveau rôle des administrateurs est exigeant, mais c'est l'fun à mort. C'est tout sauf de l'estampage. Pas question que la direction vous présente un plan stratégique tout fait et nous demande de signer au bas. Il faut au moins deux, sinon trois réunions pour en discuter. On pose des questions de plus en plus précises avant d'accorder notre approbation. Et on recommence l'exercice 18 mois plus tard parce que la situation a changé.
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