Au Canada, il n’y a pas plus de femmes qui occupent des postes de direction en entreprise aujourd’hui qu’en… 1987! C’est ce qui ressort d’une étude du Conference Board of Canada basée sur des données de Statistique Canada et intitulée Women in Senior Management : Where Are They? Les raisons de cette stagnation sont multiples, mais peuvent se résumer grosso modo à une seule : elles sont victimes de discrimination.
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Ainsi, les femmes représentent aujourd’hui 48% de la main-d’œuvre canadienne, et seulement 0,32% des postes de direction sénior, à savoir des postes qui figurent dans la grille hiérarchique au-dessus de celui de directeur et au-dessous de ceux de président et de vice-président (il s’agit de la définition établie par Statistique Canada). Ce 0,32% représente quelque 26 000 femmes parmi les 8 millions qui travaillent au Canada.Du côté des hommes, le pourcentage est de 0,64%, soit 56 200 hommes parmi les 8,8 millions qui travaillent. «Depuis 1987, les hommes ont deux fois plus de chances d’atteindre ces postes que les femmes», souligne l’étude.
Idem pour les postes dits de middle-manager (gestionnaire intermédiaire, en français). Depuis les deux dernières décennies, les hommes ont toujours eu 1,5 fois plus de chances d’occuper ces postes que les femmes. Aujourd’hui, 543 000 femmes ont de tels postes, soit 7% des femmes qui travaillent. «De 1987 à nos jours, ce chiffre n’a progressé que de 4 points de pourcentage. Si l’on poursuit au même rythme, il va falloir attendre 151 ans pour atteindre enfin la parité», dit pince-sans-rire Anne Golden, pdg du Conference Board du Canada.
Comment expliquer cette impossibilité pour les femmes de percer les sphères décisionnelles des entreprises? Après analyse, les experts du Conference Board en sont venus à la conclusion qu’elles rencontraient six difficultés particulièrement ardues à surmonter :
1. Le labyrinthe. Dans leur avancement professionnel, les femmes sont confrontées à des «barrières» que les hommes, eux, ne rencontrent guère. Certaines de celles-ci sautent aux yeux, et d’autres sont plus subtiles, comme l’expliquent Alice Eagly et Linda Carli, dans leur ouvrage intitulé Through the Labyrinth. Par exemple, les femmes ont encore aujourd’hui plus de responsabilités familiales que leur conjoint, et donc moins de temps et d’énergie à consacrer à leur carrière que la plupart des hommes. Autre exemple : elles sont généralement plus mal à l’aise que les hommes quand il faut «se vanter» pour décrocher une promotion. Ou encore, elles sont souvent perçues comme un danger pour la carrière des hommes, si bien que ceux-ci, consciemment ou pas, vont avoir le réflexe d’agir en conséquence pour qu’elles ne prennent pas les postes qu’ils visent eux-mêmes.
2. La falaise de verre. Cette autre métaphore d’Eagly et Carli traduit l’idée que grimper les échelons hiérarchiques est beaucoup plus périlleux pour une femme qu’un homme. En effet, quand elles réussissent enfin à décrocher un poste à responsabilités, c’est la plupart du temps un poste à hauts risques. Elles courent donc davantage de risque de connaître un échec, et d’être vite rétrogradées.
3. La vision masculine du leadership. Qui a déterminé, un beau jour, ce qu’était le leadership? Des hommes. Quels sont les modèles les plus courants de grands leaders? Encore des hommes. Du coup, les femmes se retrouvent contraintes d’adopter des stéréotypes masculins du leadership, stéréotypes dans lesquelles elles ne se sentent, bien entendu, pas forcément à l’aise.
4. Un éternel sexisme. Qu’on le veuille ou non, nous avons été élevés avec des schémas assez simplistes sur ce qu’est un gars et sur ce qu’est une fille. Et ces schémas nous suivent tout au long de notre vie, même si nous parvenons, parfois, à plus ou moins les changer. C’est pourquoi, au travail, les attentes ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes, et ce, généralement en défaveur des femmes.
5. Une culture d’entreprise inhospitalière. De nos jours, rarissimes sont les entreprises qui rendent la vie vraiment agréables aux femmes. C’est-à-dire qui leur offre du mentorat adapté, des possibilités de réseautage réellement intéressantes pour elles, ou encore qui font tout pour leur permettre de concilier à merveille travail et vie de famille.
6. Un harcèlement constant. Une récente étude menée par Jennifer Berdahl, chercheuse de la Rotman School of Management, à Toronto, montre que les femmes qui s’extraient du moule dans lequel on voudrait qu’elles entrent sans faire d’histoire ont plus de risques de se faire harceler au travail que les autres. Et quand on parle de harcèlement, on parle de «sanctions» reposant sur le simple fait qu,elle soient de sexe féminin. Par exemple, une multinationale américaine s’est retrouvée devant les tribunaux parce que sa haute direction avait exigé qu’une de ses gestionnaires «marche de manière plus féminine, parle de manière plus féminine, s’habille de manière plus féminine, mette du maquillage, soigne ses cheveux et porte des bijoux», d’autant plus que ses collègues masculins la trouvaient «agressive» et «dure»…
Maintenant que le constat est dressé, que conviendrait-il de faire pour remédier au problème? Le Conference Board du Canada émet dans son étude neuf recommandations :
> S’assurer que des femmes puissent postuler aux postes de direction, sans discrimination aucune;
> Identifier les femmes talentueuses et tout faire pour les soutenir dans leur carrière;
> Instaurer des programmes de mentorat et de coaching adaptés aux femmes;
> Miser davantage sur la rotation des postes de direction (ex. : six mois par un homme, six autres mois par une femme);
> Avoir toujours un œil sur l’évolution du pourcentage de femmes pour chaque poste de direction;
> Créer un environnement de travail plus agréable pour les femmes;
> Éviter de nommer plus souvent des femmes que des hommes à des postes risqués;
> Souligner davantage à l’interne les succès des femmes;
> S’assurer de l’appui de la haute-direction dans la volonté de l’entreprise de faire avancer dans leur carrière les femmes talentueuses.
«Faire davantage participer les femmes dans les décisions de l’entreprise ne peut que leur être profitable. Car cela peut leur faire gagner des parts dans de nouveaux marchés, marchés auxquels les hommes n’auraient jamais pensé, cela peut aussi leur procurer un avantage concurrentiel, et donc apporter des profits plus élevés», dit Mme Golden.
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