Rencontrer Cora Tsouflidou pour lui parler d'entrepreneuriat féminin n'était vraiment pas une bonne idée... Elle fuit comme la peste ces clubs «où il faut avoir des seins pour être membre !»
Ne parlez pas du plafond de verre au-dessus de la tête des femmes à la «reine des déjeuners» ! «Quand on m'appelle pour faire une conférence le 8 mars [Journée internationale de la femme], je refuse toujours.
«Si une femme n'a pas obtenu le prêt qu'elle demandait, c'est parce qu'elle croyait dès le départ que le fait d'être femme lui nuirait, poursuit cette bombe d'énergie de 66 ans. Y a-t-il un homme qui n'a pas eu lui aussi un plafond de verre au-dessus de la tête ?
«Une femme avec des enfants a plus de compétences qu'un homme, parce qu'elle doit compter, planifier, prévoir, former, etc. Moi, être une femme et avoir des enfants, ça m'a aidée», lance celle qui admet ne pas être la chouchoute des féministes.
Sortir de la pauvreté
Née en Gaspésie sous le nom de Mussely d'un père convaincu que lui et ses rejetons étaient nés pour un petit pain, elle rêvait de devenir écrivaine et était plutôt mal partie dans la vie.
Cora Tsouflidou entreprend son cours classique malgré son père qui aurait voulu qu'elle apprenne la sténo. Ensuite mariée à un homme violent qui représentait une menace pour sa fille, elle demande le divorce. Pour éviter de lui payer une pension, il retournera dans son pays d'origine, la Grèce.
Au milieu des années 1980, à presque 40 ans, incapable de se trouver un emploi pour faire vivre ses trois enfants, elle achète un petit restaurant au coin des rues Bélanger et Papineau, à Montréal. «Je n'avais qu'un but : briser le cercle de pauvreté dans lequel j'avais baigné toute ma vie.»
Les six ou sept premières années comme propriétaire de restaurant ont été très difficiles, reconnaît Mme Tsouflidou, le sentiment de panique la guettant sans cesse. «Quand t'as toujours rêvé de devenir écrivaine et que tu te retrouves chef d'entreprise, tu te dis qu'il y a quelque chose qui ne marche pas dans ton affaire.»
La lumière sur un napperon
Son destin finira par lui sauter aux yeux en regardant... un napperon ! À son deuxième restaurant, un commerçant vient lui vendre des napperons sur lesquels il lui propose de faire imprimer sa publicité. «En regardant le napperon, j'ai vu la carte du Québec avec plein de petites maisons Cora dessus. C'est à ce moment que ma petite lumière intérieure d'entrepreneure s'est allumée. À partir de là, la seule chose que j'ai voulu faire, ça a été d'ouvrir un restaurant de plus.»
Au début des années 1990, alors qu'elle exploite déjà quelques enseignes Cora, une femme lui dit qu'elle veut elle aussi un restaurant Cora. Mme Tsouflidou, qui ne sait rien du franchisage, lui répond que ça ne marche pas comme ça. Elle court néanmoins à la bibliothèque pour lire tout ce qu'elle trouve sur le sujet. «Ça a marché, parce que j'ai fait du franchisage exactement comme ça doit être fait.»
En matière de relève comme pour le reste, Mme Tsouflidou n'a pas tourné longtemps autour du pot. «Mes trois enfants sont des boss ; ensemble, ça n'aurait jamais marché. J'ai choisi le plus jeune, Nicholas [Tsouflidis], parce qu'il travaille avec moi depuis qu'il est tout jeune.
«J'ai reçu plusieurs offres pour vendre Cora, ajoute-t-elle. Au sujet de l'une d'elles, particulièrement intéressante, mon comptable m'a dit que je ne pouvais pas la refuser. Mon fils m'a alors répliqué : "Pourquoi veux-tu vendre maintenant ? Ça va valoir bien plus cher dans quelques années. Si tu veux te reposer, je suis capable de prendre la relève."
«Le lendemain, j'ai téléphoné à mon comptable pour lui dire que je ne vendais pas et que je nommais mon fils président. Il m'a dit : "T'es folle ! Qui te dit qu'il a les compétences pour prendre ta place ?" Je lui ai répondu : "Je ne sais pas s'il a les compétences, mais il va être assis sur la bonne chaise !"»
C'était il y a cinq ans. Après avoir cédé sa place, Mme Tsouflidou est partie pour un long voyage de presque une année. En Chine principalement. «Je m'étais engagée à coacher mon fils seulement sur demande, explique-t-elle. C'est ma plus grande réussite !»
Dans cette grande série, qui paraît toutes les deux semaines, nous vous présentons le parcours d'entrepreneures de tous horizons, nous examinons des enjeux liés à l'entrepreneuriat féminin, et nous donnons la parole à de grandes personnalités féminines du milieu des affaires québécois.
Présenté par Desjardins, avec la collaboration de Femmessor, la Caisse de dépôt et placement du Québec et PwC.