BLOGUE. Peut-être avez-vous remarqué, comme moi, qu’un des termes à la mode en matière de management et de leadership, c’est le «lâcher prise». Le hic? C’est qu’on l’emploie à toutes les sauces, au point de ne plus trop savoir ce qu’il signifie, ni vraiment à quoi il peut servir. L’idée est grosso modo quà force de tout vouloir contrôler dans son environnement de travail, nous gaspillons une énergie folle et perdons notre sérénénité, si bien que pour remédier au problème, il convient de savourer l’instant présent, et donc d’arrêter d’accorder de l’importance aux choses qui n’en ont pas tant que ça. Facile à dire…
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Eh oui, tel est l’inconvénient de ce beau concept : dire, à l’image de ce que font quantité d’experts, qu’il suffit de «se débarasser des pensées parasites», de «s’empêcher de réagir à ce qui nous énerve d’habitude», ou encore d’«accepter ses limites», ça ne suffit pas. Il faut pour cela une méthode. Ou du moins, un modèle inspirant. Et la bonne nouvelle, c’est que je crois justement en avoir trouvé un!
J’ai récemment regardé un splendide documentaire sur TV5 intitulé En quête de profondeur et signé par Axel Ramonet et Aurore Asso. On y découvrait le portrait de Guillaume Néry, un Français d’une trentaine d’années plusieurs fois champion et recordman du monde d'apnée sportive. Une révélation! Car dans ce sport, le mental de battant ne suffit pas, il faut aussi atteindre une grande sérénité pour que l'organisme accepte le manque d'oxygène et la pression des profondeurs. Oui, aucune performance possible sans lâcher prise…
Guillaume Néry a commencé la plongée en apnée par hasard, à 14 ans. «Comme tous les gamins, on se lançait des défis. Dans le bus, en rentrant de l’école, il fallait retenir le plus longtemps sa respiration. Je me suis pris au jeu, me suis renseigné sur la pratique de l’apnée. Il se trouvait qu’à l’époque, le seul club se trouvait à Nice, où j’habite. Une coïncidence incroyable, qui n’en était pas une. Je me suis inscrit, c’est devenu une obsession», dit-il dans le documentaire.
Comment une plongée en apnée se déroule-t-elle ? C’est très simple : la discipline adoptée par le champion français est celle du poids constant, «la plus pure», c’est-à-dire qu’il plonge avec son seul poids, en s’enfonce dans l’eau à la force des bras et des jambes, et remonte à la surface de la même manière. (Une autre variante est, par xemple, de plonger avec un poids sur soi, histoire d’aller plus loin et plus vite dans les profondeurs.) Mais attention, on ne fait pas ça n’importe comment : avant de plonger, l’apnéiste reste à la surface de l’eau une vingtaine de minutes, en flottant sur le dos. Ce passage est obligé : «Le simple fait d’être en contact, en harmonie avec l’élément est quelque chose en soit de magique. En tant qu’apnéiste, c’est ce que l’on aime, ce que l’on recherche. L’osmose et la communion avec l’élément», a-t-il déjà expliqué au quotidien Libération.
La dimension psychologique de ce sport, on le voit bien, est primordiale : «L’apnée est un état d’esprit autour duquel gravitent différentes valeurs, comme la patience et le respect de l’élément. Ce n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, la course à la performance à tout prix. Nous prenons le temps de progresser. Cela surprend parfois d’autres apnéistes. Bien sûr, pendant la compétition, on cherche à être le meilleur, mais il y a une manière de faire. Le chemin pour y parvenir est aussi important que la profondeur à atteindre», a dit Guillaume Néry.
«Plus que le temps, je tends vers la profondeur. À force d’expérience, de travail et de patience, on peut aller voir un peu plus loin à chaque fois. Battre des records, c’est sympa, mais ce qui est génial, c’est tout le cheminement, toute la recherche que l’on a mise en œuvre dans la quête de l’inconnu. La compétition, c’est un prétexte, pas la finalité», a-t-il ajouté.
Le mot clé, ici, est «finalité», d’après moi. En effet, à quoi bon bloquer la respiration de longues minutes durant pour aller toujours plus loin sous l’eau? Tout cela paraît a priori bien futile, après tout… «L’apnée, c’est un voyage intérieur que l’on peut parfois associer à un moment de méditation. On est centré sur ses sensations. Quand on descend, on sent l’eau qui défile, la pression qui écrase les poumons au fur et à mesure, on recherche à positionner au mieux notre corps avec l’élément. C’est une maîtrise et une connaissance de soi qui est assez poussées. Il ne sert à rien de vouloir se battre contre la pression. L’apnée ne doit pas être une lutte», a-t-il indiqué.
La clé d’une plongée en apnée réussie? «Il y a un maître mot en apnée : le relâchement, le lâcher prise, a-t-il confié à Libération. Il faut avoir ce détachement par rapport à la performance pour être avant la plongée en harmonie avec la mer, être concentré au maximum sur l’instant présent. Être libéré de toute cette pression. Mentalement, il faut prendre un certain recul avec les risques, tout en étant vigilant, et physiquement, arriver à être efficace en avançant sans consommer. Physique et mental fonctionnent ensemble. Mais si jamais l’un fait défaut à l’autre… Bref, c’est une alchimie, un équilibre à trouver.» CQFD.
Voilà… Ceux qui réussissent vraiment, qui réalisent des prouesses y parviennent justement parce qu’ils ne cherchent pas la performance. Ils agissent pour la beauté de la chose. En tout confiance. En toute sérénité. Et ce, même s’ils savent fort bien qu’ils pénètrent dans l’inconnu. Qu’ils tentent quelque chose que jamais personne auparavant n’a réussi à accomplir. Ils sont dans l’instant présent, concentrés sur ce qu’il ont à faire, sans penser à l’échec… ni même au succès! Leur cerveau est libéré de toute anxiété, et donc plus à même d’agir avec efficacité.
On pourrait résumer la petite philosophie de l’apnéiste aux 6 points suivants :
1. Faire le vide en soi. Imaginons que vous devez participer à une réunion très importante. Une dizaine de minutes avant qu’elle ne débute, dîtes-vous qu’il faut vous calmer et faire baisser votre pression artérielle et votre adrénaline. Cela peut se faire en restant assis quelques instants à votre bureau.
2. S’imprégner de son environnement immédiat. «À quelques minutes de plonger, on ne fait jamais complètement le vide, on reste ouvert aux autres, à l’extérieur. C’est essentiel», souligne Guillaume Néry. Pourquoi? Parce qu’il ne faut surtout pas chercher à se déconnecter de la réalité.
3. Se mettre en phase avec ce qui nous entoure. L’important est d’être dans un état de sérénité, sans appréhension de ce qui va se passer. Idéalement, il faut penser qu’on est un champion et qu’on va donner le meilleur de soi.
4. Faire ce que l’on a à faire. Cette importante réunion, ça fait longtemps que vous la préparez. Par conséquent, ce n’est plus la peine de vous en faire : soit elle va bien se dérouler, soit elle va être catastrophique pour vous. Au fond, peu importe, tant que vous avez fait tout ce que vous étiez en mesure de faire.
5. S’assurer que tout a été fait correctement. Une fois à la surface, l’apnéiste doit se livrer à un petit rituel immuable : dans un premier temps, il doit retirer son masque, et dans un second temps, dire aux autres «I’m OK». Établissez vous aussi un petit rituel de fin de réunion, qui permettra de faire redescendre d’un coup la tension accumulée au cours de celle-ci.
6. Célébrer le succès. Tout s’étant bien déroulé, les autres applaudissent le champion. Cela fait du bien à tout le monde. C’est une petite récompense, mais une récompense bien méritée. De votre côté, n’hésitez pas à donner une petite tape sur l’épaule de ceux qui vont ont aidé à briller lors de cette réunion si importante.
Un dernier point, peut-être : l’importance de l’entraînement. Vous aurez beau bloquer votre respiration, ce n’est pas aujourd’hui que vous resterez, comme Guillaume Néry, plusieurs minutes la tête sous l’eau. «Ce sport n’est pas différent d’autres disciplines. Il y a des champions qui ont, certes, ce quelque chose de plus, mais qu’ils ont travaillé pour arriver au niveau mondial. En fait, tout le monde peut progresser, même ceux qui n’ont pas de talent à la base», a-t-il dit au quotidien français. Et d’ajouter : «Il n’y a pas de recette miracle. Il n’y a pas de méthode d’entraînement unique pour arriver au top niveau. D’un apnéiste à l’autre, les méthodes de travail sont parfois diamétralement opposées. C’est d’ailleurs assez déroutant. C’est un mystère difficile à élucider».
Par conséquent, même si vous croyez que le lâcher prise n’est pas pour vous, rien ne vous empêche d’essayer. Car vous y parviendrez, un jour ou l’autre, à force de vous y exercer. Oui, vous finirez par trouver le meilleur chemin pour vous, et sentirez les progrès venir dès lors à toute vitesse.
Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche a dit dans Par-delà le bien et le mal : «Une fois qu’une décision est prise, il faut fermer les oreilles aux meilleurs arguments contraires. C’est l’indice d’un caractère fort»…
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