Le commerce de détail a été mis à mal ces derniers mois dans la métropole. Plus que jamais, les marchands doivent se démarquer pour éviter la fuite de la clientèle vers les banlieues et les boutiques en ligne. Et le design peut les y aider. La relance du concours Commerce Design Montréal par la Ville tombe donc à pic pour donner un nouveau souffle au secteur.
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La majorité des commerçants qui investissent dans le design ont compris que leur démarche va au-delà de l'aspect cosmétique. Le design contribue principalement à développer l'image distinctive de leur commerce. « C'est comme une partie de poker. Le design est le quatrième as dont on ne peut plus se passer », dit Éric Bélanger, un des six propriétaires du Bar Furco, un des 20 lauréats du concours Commerce Design Montréal 2015. Le service à la clientèle, l'administration et la localisation sont les autres atouts essentiels au succès.
Le design représente en effet un outil marketing incontournable pour un commerce qui veut se différencier de la concurrence. « Parce qu'il fait parler de lui, qu'il attire l'attention, un décor bien choisi remplace avantageusement les frais de promotion dans les médias et sur le Web », ajoute Éric Bélanger. Le Bar Furco, situé rue Mayor, un petit tronçon atypique bien caché derrière l'église unie St. James, rue Sainte-Catherine Ouest, en est un bon exemple.
Nouvelle clientèle
Le design peut aussi servir à redéfinir la personnalité d'un commerce et à lui redonner une seconde jeunesse. Ouvert depuis 1984, le pub Rosemont était en perte de vitesse. Conseillés par le designer Zébulon Perron, les frères Stéphane et Christian Lévesque, proprios de cette taverne de quartier, ont modifié le décor intérieur, en plus de redessiner la terrasse et d'offrir désormais un service de restauration.
« Il y a eu un virage à 180 degrés dans le type de clientèle », ajoute Stéphane Lévesque, copropriétaire du restaurant Le Rosemont, aussi lauréat du concours. La nouvelle clientèle est plus variée, moins attirée par les machines de loterie qui ont d'ailleurs disparu du décor. « Notre chiffre d'affaires a augmenté de 50 % depuis qu'on a changé la signature intérieure du pub il y a deux ans. » Avant les rénovations, un client sur quatre venait des quartiers voisins. Le propriétaire est convaincu qu'ils vont maintenant venir de plus loin.
À la boutique de produits de céramique Ramacieri Soligo, dans Outremont, où un réaménagement intérieur a été entrepris il y a 10 ans, les investissements en design ont fait quintupler le chiffre d'affaires de l'entreprise familiale. « Le design de la boutique a rendu chaleureux des accessoires qui, à la base, dégagent une certaine froideur. Notre nouveau style a fait parler de nous dans les magazines, ce qui a fait augmenter l'achalandage », explique Gianni Ramacieri, qui incarne la troisième génération de l'entreprise, créée en 1967.
« Même si on occupe plus de 14 500 pieds carrés, on ne veut pas que le client ait l'impression de magasiner dans une grande surface. On veut qu'il se sente bien entouré, qu'il se sente comme un membre de notre famille », dit le commerçant de l'avenue Querbes, lauréat du concours Commerce Design 2015.
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Des retombées importantes
« Selon les sondages menés par Commerce Design depuis 1995, les commerçants montréalais qui ont investi dans le design accueillent en moyenne près de 60 % plus de clientèle et ont vu leur chiffre d'affaires croître de près de la moitié », précise Marie-Josée Lacroix, directrice du Bureau du design de al Ville de Montréal.
Malgré tout, il reste beaucoup à faire pour convaincre les commerçants de passer à l'action. « Le design souffre encore de préjugés, dont le plus tenace est son coût. Plusieurs commerçants ont encore l'impression que le design coûte cher », concède Mme Lacroix.
Selon les données recueillies par le Groupe Altus, un service-conseil en analyse de l'immobilier, les 87 commerçants participant au concours de 2015 ont investi en moyenne près de 160 $ par pi² pour leurs aménagements. Ce sont les restaurants qui ont investi le plus, avec une moyenne de 189 $ du pi². Les investissements s'élèvent en moyenne à 505 000 $. La plupart (49 %) des participants disposent d'un local d'une superficie de 1 000 à 3 000 pi². Le coût des services d'un designer représente de 10 % à 15 % de la facture d'aménagement.
Investir à la bonne place
Selon Marie-Josée Lacroix, il faut continuer de démontrer les avantages indéniables de l'investissement en design sur le commerce de détail et convaincre les commerçants que ce n'est pas un élément réservé aux boutiques chics du centre-ville. « En fait, soutient-elle, les designers aident les commerçants à investir leur argent à la bonne place. »
Parlez-en à Mylène Bélair, propriétaire de la boutique de mode Mylène B, qui figure parmi les lauréats 2015. « La firme Nature Humaine m'a tellement bien conseillée sur l'aménagement de ma nouvelle boutique sur le boulevard Saint-Laurent, que même le mobilier fait sur mesure m'a coûté moins cher que les meubles de mon ancienne adresse, rue de Castelneau », rapporte la créatrice de vêtements.
Le nouveau design épuré, y compris les portants en acier brut et les blocs de modules en fibrociment, met maintenant les vêtements bien en vedette. « Je vends beaucoup plus facilement mes robes, mes manteaux et mes vestons aujourd'hui que dans mon ancien local », reconnaît Mme Bélair, qui a vu son chiffre d'affaires augmenter de 40 % en deux ans. « De petit local anonyme, ma boutique est devenue une destination mode haut de gamme. »
Le design peut également avoir un impact sur le plan de la fonctionnalité. Le lauréat Jeffrey Finkelstein, propriétaire de la boulangerie Hof Kelsten, peut en témoigner. Le boulanger a eu recours au service d'un designer non seulement pour aménager son nouveau comptoir de vente dans le Mile-End, mais aussi pour réaliser son espace cuisine utilisé pour la production des produits de la boutique et des produits destinés aux restaurateurs.
« J'avais besoin des conseils du designer pour que ma cuisine soit adaptée à la nouvelle diversification de nos produits. Elle devait être pratique et fonctionnelle pour tous les employés », explique le boulanger qui, depuis la création de son entreprise en 2010, ne vendait qu'aux restaurateurs. Résultat ? Le chiffre d'affaires de sa boulangerie a grimpé de 50 % en un an.
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Pleins feux sur les quartiers
Le modèle d'entreprise du commerce du détail montréalais doit changer pour rivaliser avec les boutiques en ligne et les grands centres commerciaux de la banlieue, reconnaît la conseillère Manon Gauthier, responsable de la culture, du patrimoine, du design, d'Espace pour la vie et du statut de la femme à la Ville de Montréal.
« Le commerce de détail doit se réinventer, il doit faire preuve d'innovation. Et le design fait partie de la solution », dit-elle.
Grâce aux prix Commerce Design Montréal, les quartiers de Montréal bénéficient, selon elle, de « projecteurs ». « Cherchez aujourd'hui un quartier-dortoir sur le territoire montréalais. Ce concept n'existe plus. Le design encourage le commerce de proximité. Il a favorisé la création de nouveaux environnements de vie », affirme Mme Gauthier. Ces nouveaux milieux de vie incitent les Montréalais, mais aussi les gens de l'extérieur de la ville, à jouer les touristes dans les quartiers de la métropole.
Le design se veut même un projet collectif pour lequel les élus de la Ville ont aussi un rôle à jouer, en particulier en matière d'urbanisme. Certains arrondissements font face à plus de contraintes que d'autres - par exemple le Plateau Mont-Royal et Ville-Marie -, car ils doivent composer avec une densité de population élevée et de nombreux immeubles publics.
« Le zonage, le souci architectural et le type de matériaux utilisés sont les principaux thèmes ayant rendu le processus plus ardu pour une quinzaine de participants au concours Commerce Design dans ces arrondissements », précise Jean-François Grenier, directeur principal chez Groupe Altus.
Le designer Bruno Braën est de ceux qui ont participé à l'intégration du design dans les commerces montréalais depuis la création du premier concours, en 1995, et qui l'ont vu évoluer. On lui doit la signature intérieure de plus d'une trentaine de bars et restaurants, dont le Shinji, le Club Chasse et Pêche et le Benelux.
« Je me suis époumoné à dire que le design n'est pas réservé aux artères commerciales principales. C'est d'abord et avant tout un moyen de faire rayonner le développement commercial dans les quartiers », soulève le cofondateur du Cabinet Braun-Braën.
Plusieurs commerçants qui ont eu l'audace de parier sur des quartiers en devenir, comme Griffintown, le Mile-Ex, Hochelaga-Maisonneuve et Saint-Henri, ont obtenu du succès justement parce qu'ils ont investi dans le design, ajoute M. Braën.
Quand ce dernier a commencé dans le métier, plusieurs personnes du domaine regardaient ce qui se faisait du côté de New York. Aujourd'hui, rapporte M. Braën, Montréal n'a plus grand-chose à envier à cette ville sur le plan des idées.
En fait, concède-t-il, New York surpasse encore Montréal sur un point. Il est beaucoup plus fréquent, dans la Grosse Pomme, de voir naître un resto, une boutique ou un bar branché dans des lieux aussi incongrus qu'un quartier industriel ou le sous-sol d'un bâtiment à Brooklyn. « Et parce que c'est bien aménagé, les gens s'y déplacent », conclut le designer.