Yellow Média utilisera le produit de la vente de Traders et Dealer.com (745 M$) pour rembourser de la dette, investir dans des projets et/ou racheter de ses actions. Judicieux?
L'évocation d'un possible rachat d'actions a attiré notre attention, il y a quelques jours.
Il fut une époque où lorsqu'une société annonçait qu'elle allait racheter de ses titres, celui qui avait appris à l'école des Benjamin Graham et Warren Buffett prenait une note et la plaçait sur sa liste de candidates à étudier.
En 1999, tout juste avant que n'éclate la bulle technologique, Berkshire Hathaway était devenue "out" et son cours était passé de 78 000 $ à 40 800$. Dans sa lettre aux actionnaires, Buffett avait alors évoqué la possibilité que le holding ne se mette à racheter ses actions. Et immédiatement le titre était reparti à la hausse (à 60 000$ dans les mois suivants).
Le principe est simple: une société rachète de ses actions lorsqu'elle considère que celles-ci sont sous-évaluées. Elle diminue ainsi le nombre de participants à la tarte des bénéfices et augmente la valeur intrinsèque des autres actions.
Lorsque le marché en vient ultimement à ouvrir les yeux sur des résultats qui auraient dû être anticipés, les actionnaires restants bénéficient d'un intéressant effet de levier.
C'est dans cette situation que l'outil du rachat d'actions a traditionnellement été utilisé.
Une petite dérive
Son histoire est relativement récente. Au milieu des années 1970, son utilité ne faisait aucun doute, mais pourtant, rappelle Buffett dans ses lettres annuelles, bien peu de dirigeants osaient l'utiliser (voir le livre de Lawrence Cunningham pour ceux qui veulent en savoir plus).
Une rapide illustration avec le cas de Consolidated Edison. À l'époque, ses actions se négociaient à moins du quart de leur valeur comptable. Chaque fois qu'un dollar de bénéfice était conservé en encaisse, le marché lui accordait une valeur de 0,25$ en bourse. Alors que la direction demeurait passive face à la situation, on pouvait lire sur les sites de construction de New York, le slogan de la société: "Creuser: notre devoir"…
Avec le temps l'outil fit son chemin. On en vint malheureusement à la situation actuelle où le rachat d'actions est devenu usuel et trop souvent utilisé sans une suffisante marge de sécurité.
Utilisé ainsi, l'outil risque en effet tout au contraire de détruire de la valeur.
On a encore souvenir d'une opération de TVA, qui, à la fin mars 2008, nous avait étonné. La société avait annoncé le rachat de 2 millions de ses actions à 17$ pièce, l'offre expirant à la mi-mai.
Son titre est aujourd'hui dans les 14$ et le seul moment où il toucha les 17$ fut lors de l'opération. Un mauvais synchronisme, qui, à ce jour, a plutôt détruit de la valeur (on a utilisé de l'encaisse pour payer 17$ quelque chose qui valait moins).
Déterminer la valeur intrinsèque d'une société n'est pas simple. Pour créer de la valeur avec assurance, l'outil ne devrait être utilisé que lorsqu'une action est nettement sous-évaluée.
Qu'en est-il de Yellow Média?
Le cas est ici intéressant, en ce qu'on pourrait bien être en situation d'exception.
Non, le titre de Pages Jaunes n'apparaît pas sous-évalué. Avec la vente de Traders et de la participation dans Dealer.com, la société est en quelque sorte de retour à la case départ. La majorité de ses revenus demeurent liés aux annuaires téléphoniques papiers, un secteur sous pression. Des analystes estiment que l'action est probablement même un peu en avant de son prix, mais soutenue à ce niveau par un généreux dividende qui offre un rendement de 11,7%.
C'est ce dividende élevé qui peut justifier le rachat, malgré l'absence d'une sous-évaluation. Racheter des actions à 12% de dividende n'est en effet pas tellement différent de racheter de la dette à 12% d'intérêt. Il y a toutefois des limites et on ne peut quand même pas racheter ainsi la moitié de la compagnie.
Conclusion?
L'opération rachat pourrait être légitime. Le signal envoyé au marché n'est cependant nettement pas un signal d'achat du titre. Plutôt le signal que Yellow Média a de la difficulté à trouver des projets (où affecter ses liquidités) pour créer de la valeur.