[Tel que publié dans le Journal Les Affaires du 18 décembre 2010]
Les entreprises québécoises qui misent sur des acquisitions tiendront encore le haut du pavé en 2011, grâce à une conjoncture particulièrement favorable : l'accès et les coûts d'emprunt restent faibles, les marchés fournissent des capitaux, le huard est fort et la reprise est encore timide en Amérique du Nord.
Certaines entreprises seront même tentées de devancer leurs projets, pendant que le fer est encore chaud, estime Nicolas Chevalier, gestionnaire de portefeuille chez Pembroke Management. " Un régime de taux zéro ne peut durer éternellement. Les dirigeants le savent et leur confiance croissante dans la reprise poussera certains d'entre eux à agir ", dit-il.
Plusieurs sociétés québécoises profitent de l'économie encore fragile pour avaler des concurrents et s'acheter des revenus et de la croissance future, explique Leon Aghazarian, analyste de l'Industrielle Alliance Valeurs mobilières.
Ainsi, sortant de l'ombre, le distributeur de pièces de remplacement pour automobiles Uni-Sélect a acquis, le 9 décembre 2010, le principal distributeur américain de peinture de carrosserie Finish Master, pour 219 millions de dollars (M$), la plus importante transaction de son histoire.
C'est aussi le cas de Quincaillerie Richelieu. La société comptait déjà six acquisitions à son actif depuis le début de 2010 et mettait la dernière touche à trois autres. Ensemble, elles ajouteront 20 % aux revenus annuels de la société. " Ce n'est pas fini. La société cible une demi-douzaine de proies et dispose d'un bilan sans dette pour les réaliser ", estime M. Aghazarian.
Comme il avait promis de le faire, Richard Lord, président de Quincaillerie Richelieu, acquiert des distributeurs de quincaillerie architecturale qu'il convoitait depuis 10 à 15 ans, dans certains cas. Le marasme de l'industrie de la déco-rénovation rend ces transactions possibles et abordables.
Et que dire du camionneur TransForce qui avale l'entreprise de courrier Dynamex pour 248 millions de dollars américains (M$ US).
Le franchiseur de restaurants Groupe MTY, le camionneur TransForce, le fabricant de fromage Groupe Saputo, la firme de génie-conseil Genivar, le déco-rénovateur Rona, la fiducie immobilière Cominar sont d'autres exemples d'entreprises dont la stratégie d'affaires repose en bonne partie sur les acquisitions.
Toujours prêts à sauter sur les occasions qui se présentent, ces acquéreurs en série resteront tous actifs l'an prochain, disent les financiers consultés.
SNC-Lavalin veut porter un grand coup
Le géant du génie-conseil caresse l'objectif de se hisser à moyen terme parmi les dix leaders mondiaux dans le secteur pétrolier. Pour y arriver, SNC-Lavalin devra quadrupler, voire quintupler, la taille de sa division pétrole et produits chiniques pour que ses revenus atteignent 3 à 4 milliards de dollars (G$).
Est-ce que l'entreprise passera à l'action en 2011 ? " Tout dépend des occasions qui se présenteront ", commente Claude Proulx, de BMO Marchés des capitaux.
" Les prix demandés sont élevés et SNC est un acquéreur discipliné. Il n'y a toutefois aucun doute dans mon esprit que le nouveau président de SNC-Lavalin, Pierre Duhaime, a plus d'appétit pour les transactions d'envergure que son prédécesseur ", dit Nicolas Chevalier, de Pembroke Management.
" On s'attendait à une transaction en 2010. C'est toujours possible en 2011 ", indique Frederic Bastien, analyste chez Raymond James.
Alimentation Couche-Tard ne baisse pas les bras
À la suite de l'échec de ses offres pour acheter l'Américaine Casey's, l'exploitant de dépanneurs Alimentation Couche-Tard devra se contenter de l'achat ciblé de petites chaînes américaines de 10, 20 ou 30 dépanneurs aux États-Unis.
" À court terme, le pipeline d'acquisitions est plutôt dégarni. À long terme toutefois, le marché américain morcelé offre encore d'autres occasions ", dit Jim Durran, de la Financière Banque Nationale. L'analyste prévoit des acquisitions de 40 M$ en 2011 et de 75 M$ en 2012.
Le titre d'Alimentation Couche-Tard pourrait aussi bénéficier de la vente, par l'intermédiaire d'ententes de crédit-bail, de ses immeubles à des fonds immobiliers américains. Ces derniers sont très avides de propriétés, dit Nicolas Chevalier, gestionnaire de portefeuille, chez Pembroke Management.
Canam exploite le marasme américain
Le fabricant d'acier de structures complexes Groupe Canam continuera d'acheter des fournisseurs américains, tels que les deux usines de tablier métalliques au New Jersey et en Illinois, acquises en août, afin d'augmenter son bénéfice potentiel lors de la prochaine reprise de la construction, dit Irwin Michael, gestionnaire des Fonds ABC.
Au bon prix, Canam serait aussi disposée à considérer une acquisition de la taille de celle du fabricant de Floride de charpente métallique FabSouth réalisée en février 2010, au coût de 76 millions de dollars américains (M$ US), avance Claude Proulx, de BMO Marchés des capitaux.
Canam s'est donnée les moyens d'agir en concluant un financement sur six ans de 28,2 M$ avec GE Capital, auquel participent aussi la Société générale de financement du Québec (SGF) et la Banque Laurentienne.
Genivar et Colabor veulent percer de nouveaux marchés
Le Fonds de revenu Genivar vient d'acquérir coup sur coup trois firmes spécialisées de génie en Alberta, en Colombie-Britannique et à Laval.
Malgré tout, en 2011, Genivar pourrait bien faire le saut tant attendu aux États-Unis " après avoir analysé en profondeur le marché et la culture de plusieurs firmes depuis six mois ", dit Ben Venditelli, analyste chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.
" J'estime les probabilités que Genivar passe à l'action l'an prochain à plus de 50 %. L'entreprise scrute le terrain depuis des années, veut y bâtir une plateforme d'affaires et a récemment augmenté sa capacité d'emprunts de 80 à 275 millions de dollars ", précise M. Chevalier.
Le distributeur d'aliments Colabor vient tout juste de renforcer sa présence dans l'est du Québec avec l'achat de RTD Distributions de Rimouski, mais pourrait faire une première percée dans l'Ouest canadien, en 2011, croit Leon Aghazarian, de Valeurs mobilières Industrielle Alliance.
L'entreprise de Boucherville cherche aussi à accroître la variété de sa gamme de produits périssables et de viandes, précise l'analyste.
Atrium sur le point de bouger...
Le fabricant de suppléments nutritionnels Atrium Innovations pourrait conclure une transaction à tout moment, croit Hughes Bourgeois, analyste chez Financière Banque Nationale.
Pouvant accéder à des emprunts de 137 millions de dollars, l'entreprise de Québec est en quête d'acquisitions afin de mieux garnir sa gamme de produits et de croître dans de nouveaux marchés étrangers, indique Christian Cyr, analyste chez Gestion de portefeuille Natcan. Par ailleurs, Atrium pourrait bénéficier du changement de mains du détaillant américain de produits naturels GNC, qui offre les produits Garden of Life et Wobenzym d'Atrium.
Des rumeurs veulent en effet que GNC soit acquis par le fonds américain Blackstone et l'entreprise chinoise Bright Food Group. Si la transaction se réalise, Bright Food Group pourrait faciliter la percée des produits d'Atrium, en Asie, explique M. Bourgeois.
... Mediagrif et CVTech aussi
Depuis des mois, le fournisseur de solutions d'affaires électroniques Technologies interactives Mediagrif recherche activement des sites Web spécialisés et transactionnels, réalisant des revenus de 5 à 10 millions de dollars, pour mettre à profit ses liquidités des 35 millions de dollars et raviver sa croissance.
Toutefois, si d'ici deux ans le président Claude Roy ne trouve pas chaussure à son pied, il mettra vraisemblablement l'entreprise en vente ", estime Marc L'Écuyer, analyste chez Cote 100.
La société d'entretien de lignes de transport d'électricité Groupe CVTech, de Drummondville, dit avoir à l'oeil plusieurs sociétés générant ensemble plus de 100 millions de dollars de revenus. Une transaction pourrait survenir au début de 2011, prévoit Ben Vendiletti, analyste chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne.
Bombardier : une année décisive pour la CSeries
L'été 2011 " sera chaud " pour Bombardier, avance Pierre Bernard, gestionnaire de portefeuille chez IA Clarington. En juillet, on comptera 30 mois avant l'entrée en service prévue de son nouvel appareil CSeries. Or, les clients et les commandes se manifestent habituellement de 24 à 30 mois avant la première livraison des appareils, avait déclaré Guy C. Hachey, président et chef de l'exploitation de Bombardier Aéronautique, en septembre dernier. Cinq ans après le lancement de la mise au point de l'appareil, Bombardier ne compte que 90 commandes, de trois clients.
Cogeco Câble : une surprise au Portugal ?
Le câblodistributeur portuguais Cabovisao ne fournit à Cogeco Câble que 6 % de son bénéfice d'exploitation, mais cette filiale pourrait être l'élément de surprise de 2011. Trois scénarios possibles revaloriseraient le titre de Cogeco Câble. La fin des hostilités entre les trois fournisseurs de câble portuguais augmenterait les marges de Cogeco, dit Marie-Ève Savard, d'Investissements Standard Life.
Irwin Michael, des Fonds ABC, avance l'hypothèse que Cogeco Câble décide de fusionner Cabovisao avec un autre acteur local ou tente de s'en départir.
Quebecor : tous les yeux rivés sur le sans-fil
Maintenant que sa filiale Vidéotron a son propre service sans-fil 3G, le titre Quebecor en Bourse évoluera surtout en fonction du nombre d'abonnés à ce service. Depuis le 9 septembre 2010, celui-ci a attiré 41 800 nouveaux abonnés, moins que les estimations de 62 000 de certains analystes.
Vince Valentini, de TD Newcrest, prévoit toujours que Vidéotron obtiendra 19 % du marché du marché sans-fil au Québec, mais deux ans plus tard que prévu, soit en 2015.
Ce service essuiera des pertes d'exploitation de 80 millions de dollars en 2011.
Stella-Jones : des synergies à récolter
Le fabricant de poteaux de bois et de traverses de chemin de fer a réalisé un grand coup en février 2010 avec l'achat de l'américaine Tangent Rail Corporation, au coût de 165 millions de dollars américains. " Cet achat commencera à porter ses fruits l'an prochain ", dit Christian Cyr, de Gestion de portefeuille Natcan.
" Ses bénéfices devraient exploser au cours des deux prochaines années, grâce à la reprise des dépenses des chemins de fer ", prévoit Martin Ferguson, de Mawer Investment Management. Par la suite, Stella-Jones étudiera d'autres acquisitions à la fin de 2011.