Un incubateur doit faire face à des dépenses importantes alors que les entreprises en démarrage qu’il accueille ont peu de moyens financiers. Souvent dépendantes des finances publiques, ces structures sont particulièrement menacées par les coupures budgétaires des gouvernements et cherchent des alternatives pour ne pas sombrer.
Le CQIB (Centre québécois d’innovation en biotechnologie), qui fête sa vingtième année d’existence cette année, a perdu 37 % de son budget annuel en 2014. Ses subventions fédérales et provinciales ont été amputées de 355 000$.
Or, comme la plupart des incubateurs, son budget, en déficit l’année dernière, repose à 50 % sur les aides provinciales, fédérales et, à moindre échelle sur celles de la ville de Laval. Le reste du budget est assuré par les revenus de location des locaux aux entreprises incubées.
«Les années où le taux d’occupation est élevé, ça va mais quand il chute, c’est plus difficile», constate Louis Saint-Jacques, directeur général du CQIB, qui accueille ces temps-ci une douzaine d’entreprises, près de son maximum.
Résultat pour 2014 : un budget en déficit de 159 000$. «Pour l’année dernière, nos surplus permettent d’éponger les pertes mais si la situation se reproduit cette année, ce ne sera pas possible», déplore le directeur.
«Trop dépendants des subventions »
L’histoire se répète. Plusieurs incubateurs aux prises avec les mêmes difficultés ont fermé leurs portes ces dernières années. C’est le cas du CIDEM-Techno (Centre incubateur d'entreprises de la Montérégie), qui a cessé ses activités en 2009, après dix ans d’existence. Au plus fort de son activité, l’incubateur spécialisé dans le démarrage d’entreprises technologiques comptait une douzaine d’employés et plus d’une cinquantaine d’entreprises ont été accompagnées tout au long de son histoire.
Pourtant, «j’avais créé un modèle idéal », estime toujours Jean-Eudes Gagnon, entrepreneur et ancien président-fondateur de CIDEM-Techno.
L’incubateur virtuel –il ne louait pas de locaux- faisait payer à ses entreprises incubées 30 000$ par an pour avoir accès à du coaching et des services professionnels pour la gestion de leur entreprise mais aussi sur le plan technologique afin de les aider à suivre l’évolution rapide dans le domaine.
Ces services étaient rendus par des experts internes, la meilleure façon selon Jean-Eudes Gagnon, pour assurer un accompagnement approfondi et à long terme aux entreprises incubées, leur offrant ainsi les meilleures chances de réussir.
Le reste du budget venait des aides publiques. C’est là où le bât blesse : «On était trop dépendants des subventions », regrette Jean-Eudes Gagnon. Le modèle économique de CIMED-Techno reposait à hauteur de 70 % sur l’argent public et principalement du gouvernement fédéral. Le jour où celui-ci a diminué sa contribution et où le gouvernement du Québec n’a pas pris le relais, le modèle n’était plus tenable.
Augmenter l’autofinancement
Le scénario pourrait se répéter car les incubateurs sont souvent créés par des organes de développement économique locaux ou les municipalités et dépendent la plupart du temps des fonds publics. Le bouleversement en cours dans le domaine ainsi que les récentes coupes budgétaires menacent leur survie. C’est pourquoi ils remettent en cause leur modèle et cherchent des alternatives. Le CQIB, qui compte quatre employés soit un de moins que l’année dernière, essaie de trouver le moyen de tirer des revenus des équipements qu’il a acquis récemment.
«Nous avons un parc scientifique très en pointe qui nous positionne de façon unique au Canada. On pourrait y donner accès à de nombreuses entreprises au-delà des frontières du Québec qui ne peuvent pas disposer d’un tel équipement et ainsi générer des revenus pour nous aider à augmenter notre part d’autofinancement », prévoit Louis Saint-Jacques.
Des voies alternatives
Les incubateurs ont, au fil du temps, exploré de nombreuses voies pour boucler leur budget et diminuer leur dépendance aux fonds publics. Le CEIM (Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal), qui compte 10 employés et existe depuis 19 ans, autofinance ses activités à hauteur de 52 % depuis les 12 dernières années et même 54 % en 2013-2014, ce qui a représenté près de 1,4 million sur 2,5 millions de budget.
L’organisme vend ses services de consultation et de coaching à des tarifs abordables aux entreprises en démarrage en plus de louer des locaux aux entreprises incubées. «Le CEIM réussit cette performance grâce à une offre de services bien ciblée, évolutive pour laquelle ses entrepreneurs, même sous-financés et sans revenus, sont prêts à payer», note Serge Bourassa, président et chef des opérations du CEIM. Le reste de son budget vient de subventions des gouvernements provincial et fédéral.
Il reste qu’«il est impossible d’autofinancer un incubateur entièrement », affirme Jean-Eudes Gagnon.
Quels que soient les services offerts et la formule adoptée, ces organismes ont généralement des dépenses élevées. Ceci est encore plus vrai pour ceux qui sont spécialisés dans certains domaines comme la biotechnologie où les équipements nécessaires sont coûteux et évoluent rapidement.
La demande en croissance des entreprises incubées d’un accompagnement personnalisé et de services professionnels pointus pour les aider à structurer au mieux leur jeune structure augmente encore les dépenses des incubateurs, surtout lorsque des experts sont embauchés à l’interne.
Le réseau d’affaires, planche de salut
C’est pourquoi plusieurs d’entre eux s’en sortent plutôt en s’appuyant sur leur réseau d’affaires. La collaboration peut prendre la forme de services gratuits ou à moindre frais voire d’accompagnement bénévole.
«Lorsque les entreprises incubées ont besoin de conseils d’experts pour la gestion de leur entreprise en démarrage, on les met en contact avec notre propre réseau, explique Louis Saint-Jacques. Ces professionnels (comptabilité, fiscalité, marketing, etc.) acceptent de facturer moins cher leurs prestations dans l’espoir de conserver l’entreprise comme client lorsqu’elle sera en croissance ».
Même solution choisie par la Maison Notman, qui entretient des liens privilégiés avec la Banque de développement du Canada (BDC), PricewaterhouseCoopers (PwC) et des firmes d’avocats. «On travaille avec ces commanditaires pour les services professionnels», indique Noah Redler, directeur du campus.
Chefs d’entreprise bénévoles
À Ignition, ce sont des chefs d’entreprise bénévoles qui accompagnent les incubés. Quant à l’ACET, il s’appuie sur un large réseau accessible notamment grâce aux personnalités de poids qui forment son conseil d’administration dont le président n’est autre que Laurent Beaudoin, le président du CA de Bombardier.
De tels partenariats peuvent aussi permettre une diversification des financements lorsque des grandes entreprises investissent dans l’incubateur. Mais pour cela, il faut avoir le réseau adéquat. C’est le cas de l’ACET mais aussi du CEIM dont Hélène Desmarais est la fondatrice, présidente du conseil d’administration et chef de la direction.
Un modèle totalement privé d’incubateur serait peu viable. D’ailleurs, le CEIM reconnaît «la nécessité d’un appui financier adéquat, prévisible, stable de tous ses partenaires gouvernementaux», précise Serge Bourassa. S’il considère qu’il est important que toutes ces structures doivent «faire la preuve (…) de leur pertinence et de leur efficacité dans l’écosystème entrepreneurial québécois», une fois cette étape franchie, «les pouvoirs publics doivent être conséquents dans leur politique et stratégies d’appui financier».