À l'entrée de la boutique Lolë, rue Saint-Denis, à Montréal, un calendrier collé sur le sol annonce l'horaire des prochains cours de yoga flow au parc La Fontaine, ainsi que celui des courses. Lors de notre visite, quelques jours avant le Marathon Oasis de Montréal, celui-ci est aussi souligné à gros traits.
«On fabrique et on vend des vêtements pour pratiquer le yoga et pour faire du jogging. En offrant des cours, on leur donne une vie tangible», dit Nathalie Binda, vice-présidente du marketing chez Lolë.
Voilà pour les «petits» rendez-vous. Parce que Lolë en organise aussi de gros. De très gros, même : l'an dernier, dans le Vieux-Port de Montréal, 6 000 personnes ont répondu à l'appel du fabricant et sont venues, tout de blanc vêtues, faire du yoga en plein air, sur de la musique live. L'événement, qui a eu lieu sur deux séances vu son énorme popularité, s'inscrivait dans le Lolë White Tour. Celui-ci a débuté à Paris en 2011, est passé entre autres par Toronto, Barcelone et New York, et se poursuivait le week-end dernier à la Galerie d'Art de l'Alberta, à Edmonton. Le douzième de la série.
Lolë est l'une des nombreuses marques qui utilisent désormais le marketing événementiel, ou expérientiel, pour promouvoir et vendre leurs produits en créant ce qu'on appelle dans le jargon une «émotion» chez le futur client. À l'échelle mondiale, Red Bull a été un pionnier du genre, en organisant des événements de sport extrême qui ont mis ses boissons énergisantes sur les tablettes, comme le Red Bull Crashed Ice, qui se tient chaque hiver à Québec. Leur audace a culminé avec la réalisation du Red Bull Stratos, en octobre 2012 : une chute libre du parachutiste Felix Baumgartner de plus de quatre minutes dans la stratosphère. Téléchargée et vue des millions de fois.«La marque Red Bull a marqué un tournant, dit Pierre Ballofet, professeur de marketing à HEC Montréal. Avant, le média était le message. Maintenant, le message est le média. Pourquoi devrais-je dépendre des médias, ou des commandites, pour qu'on parle de moi ? Je vais organiser mon événement.»
Les attentes des consommateurs, très sollicités, ont aussi changé la donne. Mettre un logo quelque part sur une affiche, ça n'est plus suffisant, dit Yanik Deschênes, consultant stratège en communication marketing. «La marque doit créer des expériences mémorables. Elle doit divertir, éduquer, inspirer, écouter.»
Pour une firme comme Lolë, le marketing traditionnel n'a jamais été une option, dit Nathalie Binda. «On fabrique des vêtements qui encouragent les femmes à bouger. Et on a bâti une communauté. Le mot est galvaudé, mais nous en formons une vraie, bien réelle.» C'est sur elle que la marque a voulu bâtir sa notoriété.
L'événementiel s'est construit autour de la communauté, il s'en inspire, s'en nourrit, sans qu'on puisse toujours déterminer qui a précédé quoi, dit Pierre Ballofet. «Les événements sont des moments forts que vivent ces communautés. Elles les diffusent ensuite abondamment sur les réseaux sociaux.» Prêchant ainsi la bonne nouvelle, comme autant d'ambassadeurs de marques enthousiastes.
Tout est dans le dosage
L'essor du numérique, puis des réseaux sociaux, a favorisé la croissance du marketing événementiel depuis 25 ans, permettant les interactions directes entre la marque et ses clients, selon Serge Pointet, président de l'agence de communication événementielle Laprod, un vieux routier du genre, qu'il a longtemps pratiqué en Europe.
Certes, ces interactions ont toujours existé. Le type qui distribue aux passants des échantillons d'un nouveau produit aux intersections achalandées était là hier, et il y est toujours aujourd'hui. Mais selon Serge Pointet, il y a de fortes chances que l'échantillon se ramasse à la poubelle. Contrairement au spectacle, à la séance de yoga, à la dégustation. «Un événement bien organisé va toucher l'humain.»
Ce ne sont donc pas des échantillons de yogourt Iögo que Laprod a offert aux passants de différentes stations de métro, squares et sorties de bureau, lors du lancement du produit, l'an dernier. Plutôt une «performance artistique» exécutée par une soixantaine de danseurs, vêtus en blanc - décidément une couleur prisée des organisateurs d'événements.
Les badauds ont pris des photos. Ils les ont fait circuler sur les réseaux sociaux, générant 300 000»impressions» et plus de 3 000 interactions, selon différents outils d'analyse Web, indique Laprod.
Hormis le mot Iögo à l'arrière des t-shirts des danseurs, pas de produits offerts. «Tout l'art de réussir une telle expérience est dans le dosage. Il ne faut pas mettre trop le produit en avant», croit Serge Pointet, dont l'agence compte aussi parmi ses clients Loto-Québec, L'Oréal, la Banque Laurentienne et Lacoste.
Avec ce type de campagne, dit-il, l'important est le respect de l'image de la marque, celle bâtie à coup de campagnes publicitaires. «Trop souvent, on voit une énorme différence entre la pub traditionnelle d'une marque et un événement qu'elle crée. C'est une énorme erreur.»Une façon nouvelle de vendre
Organiser un événement nécessite autant de dépenses qu'une campagne traditionnelle. Il faut des retombées, cela va de soi. «Comment mesure-t-on la réussite de nos événements ? demande Nathalie Binda, vice-présidente du marketing chez Lolë. Les clientes reviennent, et elles amènent leurs amies. Et ultimement, on vend plus de vêtements.»
L'acte d'achat se passe de plus en plus sur Internet, dit Pierre Ballofet, d'HEC Montréal. «Mais l'expérience d'une marque, elle, est vécue dans un commerce ou par l'intermédiaire d'un événement.» Les deux sont dissociés, mais complémentaires. La marque qui a contribué «à une belle expérience» sera considérée au moment de passer à la caisse, réelle ou virtuelle.
Même si personne n'est dupe et qu'on sait que, lorsque Red Bull organise à grands frais sa descente folle de patineurs, dans le Vieux-Québec, elle veut ultimement vendre ses boissons énergisantes, «on peut être dans un rapport de sincérité, de générosité, dit Pierre Ballofet. C'est une façon nouvelle de travailler».
Le marketing événementiel remplacera-t-il les campagnes traditionnelles ? L'organisateur d'événements sera-t-il le prochain directeur du marketing ? «L'outil événementiel sera le point de départ d'une campagne, et les autres plateformes prendront le relais», dit Serge Pointet, de l'agence Laprod.
Ce qui est certain, c'est que l'outil en question est désormais pris très au sérieux. De parents pauvres des campagnes de communication, il est destiné à voir sa part de budget augmenter substantiellement, pense Serge Pointet.
Et à susciter l'intérêt des grandes agences. Le Québec n'échappera pas à la tendance observée en Europe, selon le patron de Laprod, où les petites boîtes ont été achetées par les grands groupes. «Tous ont désormais des divisions de marketing événementiel intégrées.»