Les entreprises se ruent sur les réseaux sociaux. C’est un bon début, mais la prochaine étape sera plus déterminante encore : y être efficace.
Pour transformer en quelques mois un nom qu’on croyait enterré avec les années 1980 en un hit commercial planétaire, il faut des moyens. Et bien connecter avec la clientèle qu’on veut atteindre. C’est ce qu’est parvenu à faire Procter & Gamble avec la marque Old Spice.
L’étonnant revirement a été possible grâce aux médias sociaux et… à Mustafa.
Mustafa est le héros de la campagne interactive de la véné-rable marque, une campagne considérée comme la plus réussie et la plus populaire de la courte histoire du marketing social. Le sculptural personnage a doublé les ventes du déodorant depuis l’automne 2009 !
Les ingrédients de son succès ont depuis été scrutés à la loupe : outre son personnage dont on suivait les péripéties, la campagne avait un épicentre bien défini, YouTube, sur lequel plus de 180 vidéos ont été diffusées ; celles-ci ont été vues 6 millions de fois et ont reçu plus de 23 000 commentaires. Elle a aussi utilisé Facebook comme plateforme d’échanges et de promotions, un blogue et Twitter. Toutes les plateformes étaient liées entre elles.
Mustafa a aussi brillé dans les médias traditionnels en étant présent dans des événements à grand déploiement diffusés à la télévision, comme le Super Bowl.
La réussite de cette campagne n’est pas passée inaperçue. Même si les résultats ne sont pas toujours aussi clairs, elle a contribué à l’actuelle ruée sur les médias sociaux.
Twitter, Facebook, YouTube, LinkedIn, Foursquare… Comme des enfants dans un magasin de bonbons, les entreprises se jettent sans ménagement sur toutes les plateformes disponibles.
« Il y a une fébrilité », observe Stéphanie Kennan, présidente de Bang Marketing. Et une pensée magique. Si la nécessité d’investir les réseaux sociaux ne fait plus de doute, des progrès immenses restent à accomplir pour les maîtriser. C’est que la plupart des entrepreneurs omettent de se demander pourquoi ils veulent y être, si ce n’est pour faire comme tout le monde.
Parce qu’apparemment, tout le monde y est.
Les chiffres qui tuent
On peut le comprendre. On dit que si Facebook était un pays, il deviendrait en 2011 le troisième pays le plus peuplé du monde, avec 630 millions d’utilisateurs attendus.
En attendant, un Terrien sur 13 a un compte sur le réseau social le plus populaire. La moitié d’entre eux, soit plus de 250 millions, s’y connectent tous les jours. Ils y passent 700 milliards de minutes par mois !
La moitié des 18 à 34 ans vont sur Facebook dès qu’ils se lèvent le matin… Et 28 % s’y branchent depuis leur cellulaire, avant même d’être sortis du lit.
Ce ne sont pas que des jeunes, loin s’en faut. Le groupe qui connaît la croissance la plus forte sur Facebook est celui des femmes de 50 à 65 ans, souligne Guillaume Brunet, gestionnaire principal, médias sociaux, chez Optimum, filiale de Cossette. Globalement, les 35 ans et plus représentent plus du tiers des usagers.
Ça, c’est uniquement Facebook… Twitter, le terrain de jeux des « influenceurs », compte plus de 200 millions d’utilisateurs actifs, qui génèrent 140 millions de tweets par jour, trois fois plus qu’il y a un an. Ce qui représente un milliard de tweets par semaine !
LinkedIn, le réseau des liens d’affaires et des recruteurs, compte plus de 100 millions de membres.
Par la force du nombre, l’utilisation des médias sociaux à des fins marketing est ainsi devenue la tendance, souligne dans son blogue Michael A. Stelzner, fondateur de SocialMediaExaminer, qui vient de publier un rapport sur les pratiques d’affaires dans l’industrie des médias sociaux en 2011, sondant 3 300 marketeurs partout dans le monde.
Les chiffres sont éloquents : 90 % des marketeurs sondés disent que les médias sociaux sont importants pour leur entreprise, et 93 % d’entre eux les utilisent déjà à des fins marketing.
« Nous assistons à une révolution dont nous commençons à peine à mesurer l’ampleur », dit Marie-Josée Gagnon, présidente de la firme de communication Casacom.
En 2011, une entreprise qui décide d’ignorer ce phénomène le fait à ses risques et périls.
Il suffit d’abord de tendre l’oreille.
Du monologue au dialogue : se connecter, échanger, écouter
Avec les médias sociaux, le roi est nu. L’entreprise – et ses marketeurs – ne peuvent plus se contenter de monologuer. Ils doivent dialoguer. Et surtout, écouter la conversation.
Même si celle-ci ne leur plaît pas.
Dans la petite histoire du marketing social, le cas de Nestlé, à l’instar de celui de Old Spice, fait école, mais pour d’autres raisons. Tout commence avec une vidéo de Greenpeace diffusée sur YouTube. Celle-ci dénonçait l’utilisation de l’huile de palme dans la fabrication des chocolats Kit Kat. Selon Greenpeace, la
culture du palmier à huile détruit l’habitat naturel des orangs-outans. La réponse de la multinationale à la diffusion de la vidéo a été une suite d’erreurs : censure, manipulation, invectives des fans par le « gestionnaire » de médias sociaux…
Le rapport de force a changé, dit Marie-Josée Gagnon. Pour une entreprise, le fait d’accepter qu’on n’ait plus le contrôle sur le message est révolutionnaire. « Il faut savoir accepter que nos clients aient des conversations non seulement avec nous, mais aussi entre eux, sur nous. Ça ne sera pas toujours élogieux. »
La controverse ne vient pas toujours de l’extérieur. Le PDG de Best Buy, Brian J. Dunn, y a goûté. Il rapportait récemment dans le Harvard Business Review une situation délicate qui impliquait un employé de l’entreprise sur les réseaux sociaux. Une vidéo d’animation circulait sur YouTube dans laquelle un commis d’un magasin électronique donnait la réplique (assassine !) à un client obsédé par le iPhone. Le lien entre la vidéo et un employé de Best Buy a rapidement été établi.
Que faire ? L’employé a été suspendu pendant quelques jours, et Best Buy a décidé de le réintégrer. L’employé a finalement quitté l’entreprise… pour poursuivre une carrière cinématographique.
« Je n’ai pas aimé ça », admet Brian J. Dunn. Mais il ne faut surtout pas tomber dans le réflexe de la censure, ajoute-t-il. « Ce qu’il faut faire, c’est éduquer les employés sur ce qu’il est approprié ou non de mettre en ligne. »
« Les employés sont des ambassadeurs naturels, dit Michelle Sullivan, directrice, médias sociaux et communications
numériques chez HKDP. Mais il faut des politiques internes et externes. Il y a des choses qui ne se disent pas. La transparence, ce n’est pas de se mettre à nu. »
Tous les employés, des commentateurs ? Ou ne doit-on laisser le soin de parler au nom de l’entreprise qu’aux gestionnaires de communautés, le métier hip du moment ?
Marie-Josée Gagnon pense qu’on doit laisser l’utilisation des médias sociaux à tous, tout au moins à ceux qui s’y intéressent. « Comme une équipe sportive, dit-elle. Tout le monde dans l’organisation est une marque, tout le monde est soit ambassadeur soit détracteur. » D’où l’importance à accorder au recrutement. « Ce qui compte, c’est le jugement des gens que vous embauchez. »
Le consultant en stratégie Internet et coauteur du livre The NOW Revolution, Jay Baer, partage cette opinion. « Dans certaines entreprises, disait-il récemment dans Les Affaires, la transformation est déjà réalisée. Dans la société américaine Zappos, par exemple, de 500 à 600 employés de tous les services ont intégré les médias sociaux à leur routine quotidienne. Les acheteurs s’en servent pour dénicher de nouveaux fournisseurs. Il y aura toujours des gestionnaires de communautés et des stratèges Web, mais les entreprises doivent cesser de
traiter les médias sociaux comme un service spécial peuplé de gens spéciaux. C’est une compétence que tous les employés doivent maîtriser. »
La fin de l’enfance ?
L’omniprésence des médias sociaux et leur importance indé-niable dans les stratégies marketing ne doivent pas faire oublier, disent les experts, l’importance de conserver une place aux médias dits traditionnels.
C’est ce qui a fait la force de Mustafa et de Old Spice : YouTube et le Super Bowl, Twitter et des affiches dans le métro, Facebook et le magazine Men’s Health…
Il faut remettre les outils de marketing social dans leur pers-pective historique, affirme Jonathan Salem Baskin, stratège de marque globale, auteur et conférencier américain. « Les gens ne se lèvent pas le matin en se disant qu’ils vont converser avec leur marque de dentifrice », ironise ce spécialiste de Chicago. L’incroyable buzz généré par la « conversation » et les médias sociaux prend en effet une ampleur démesurée, selon lui.
Les deux récents échecs de la stratégie totalement Web de Burger King et de Pepsi ont alimenté le débat : pour la première fois cette année, Pepsi n’a pas annoncé au Super Bowl. L’entreprise a diminué ses investissements publicitaires pour une vaste campagne philanthropique (Refresh Project) dans les réseaux sociaux.
Elle vient de perdre sa place de numéro deux des boissons gazeuses au profit de Coke Diet.
Pour sa part, Burger King vient de mettre fin à sa collaboration avec l’agence Crispin Porter & Bogusky. Celle-ci a produit des campagnes Facebook et plusieurs vidéos qui ont beaucoup attiré l’attention… mais les ventes du géant de l’alimentation rapide déclinent depuis six trimestres consécutifs.
« Ne pas annoncer au Super Bowl et délaisser la pub traditionnelle sont des décisions stupides », dit Salem Baskin, qui dénonce les mercenaires à la mode que sont les « experts » des médias sociaux qui n’ont que le mot « contenu » à la bouche et qui oublient le fondement même des affaires : vendre. « La technologie en a dupé plusieurs. »
Le stratège croit que les exemples de Burger King et de Pepsi sont un signal d’alarme. Il prédit que les médias sociaux auront bientôt l’âge de raison. Utilisés de manière sensée et intégrés avec les médias traditionnels, ils serviront mieux les entre-prises, dit-il. « Il faut dire adieu aux pratiques insensées des
médias sociaux, conclut-il, et longue vie aux pratiques intelligentes des médias sociaux ! » Cela servira bien mieux les entreprises à l’avenir…