En moins de trois ans, Domtar a investi 1,5milliard de dollars américains pour se transformer. Producteur de papier, elle est devenue aussi un important producteur de couches.
John Williams, le président de l'entreprise, a promis aux marchés financiers que d'ici 2017, ce nouveau segment de produits de soins personnels compenserait le déclin du papier de communication et compterait pour la moitié des profits de Domtar.
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Le virage a été opéré rapidement et avec finesse, commentent les experts. La transformation de Domtar « est un modèle pour l'industrie », affirme Luc Bouthillier, professeur à l'Université Laval et spécialiste de la foresterie.
Celui qui est aux commandes de Domtar depuis 2009 n'aime toutefois pas parler de transformation, un terme à la mode ces temps-ci dans les milieux d'affaires. « Ce que nous faisons est en continuité avec ce que nous sommes, nous explique-t-il en entrevue.
Nous prenons des arbres et nous les transformons. » Cette entrée dans le domaine des soins personnels ne fait « qu'assurer la croissance à venir de l'entreprise à travers de bons débouchés », ajoute le Britannique de 59 ans.
Les produits de ce créneau comprennent les couches pour adultes incontinents, les couches pour bébés, mais aussi les produits d'hygiène féminine et les papiers mouchoirs, dans lesquels Domtar n'a pas encore investi. Tous sont fabriqués à partir de pâte en flocons, qui en assure la fonction absorbante.
C'est ce genre de pâte que Domtar produit dans son usine de Plymouth, en Caroline du Nord, convertie à cet effet en 2010. La transformation de l'usine a été planifiée sous la direction du Québécois Raymond Royer.
À l'époque, le but était simplement de produire de la pâte en flocons au lieu du papier, en déclin, et de la vendre à l'international. Mais John Williams a poussé la stratégie plus loin : une intégration verticale, de la pâte jusqu'à la fabrication et la distribution de couches.
« Nous construisons en ce moment une plateforme mondiale qui alimentera notre croissance au cours des cinq à dix prochaines années et qui va nous définir », prédit le pdg.
Planifier puis agir
La réflexion dans laquelle s'est engagée la direction de Domtar a été disciplinée, relate John Williams.
« Nous avons d'abord examiné en profondeur le segment des produits de soins personnels, ainsi que les dynamiques de marché pour chaque catégorie.
Nous avons ensuite vu que le marché de l'incontinence pour adultes, chiffré à 8,5 milliards de dollars américains, allait croître de 5 à 7 % par an, pour la plus grande partie dans les pays développés (Europe, Amérique), à cause du vieillissement de la population. » La répartition géographique a plu à l'entreprise nord-américaine, car elle réduisait son risque. Domtar a aussi été séduite par la croissance de ce segment, évidemment, puisqu'elle pallierait le déclin des ventes de papier, évalué à 3 à 4 % par an.
Un autre élément a joué en faveur des couches plutôt que des papiers tissus ou des produits d'hygiène féminine, par exemple : les entreprises de ce secteur étaient détenues par des indépendants ou des firmes d'investissement privées, ce qui facilitait l'exécution de la stratégie, précise John Williams.
La première acquisition a été celle du fabricant de couches d'incontinence Attends, situé à moins de 100 kilomètres de son usine de Plymouth. Pratique !
Plus tard, Domtar a acheté la division européenne de Attends, puis un autre producteur de couches, mais pour bébés cette fois : l'américain Associated Hygienic Products (AHP). Afin de bien maîtriser la technologie et les procédés, Domtar a effectué l'acquisition du fabricant de composite absorbant EAM. L'an dernier, des chaînes de production ont été ajoutées chez Attends. Enfin, voilà quelques mois, Domtar a réalisé sa quatrième acquisition stratégique : le fabricant espagnol de couches d'incontinence Laboratorios Indas.
Intégration verticale
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Intégration verticale
Le but de Domtar est de nourrir toutes ses usines de fabrication de couches avec sa propre pâte en flocons, produite à l'usine de Plymouth. Il ne reste que l'usine d'Indas, à Tolède, pour que la mission soit accomplie, « ce qui ne saura tarder », signale John Williams.
C'est grâce à cette intégration verticale que Domtar compte s'emparer d'une plus grande part du marché mondial de ce segment. « Nous ne voulons pas reproduire les stratégies existantes des entreprises acquises, mais aboutir à la stratégie gagnante.
Notre plateforme sera mondiale, et elle offrira ce qu'il y a de mieux en termes de produits et de valeur, ce qui nous permettra de nous présenter comme partenaire imbattable pour nos clients. »
La capacité de production de pâte en flocons de l'usine de Plymouth est de 440 000 tonnes, et les usines que détient actuellement l'entreprise en consomment 80 000. Inutile de dire que Domtar est en quête d'autres acquisitions, en Europe ou dans les Amériques, qui lui permettront d'atteindre son objectif ultime : réaliser entre 300 et 500 millions de dollars américains de bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) dans le créneau des soins personnels d'ici 2017.
Les futures acquisitions pourraient toucher les produits d'hygiène féminine, et plus tard, les papiers tissus, « mais je n'en fais pas une obsession », indique le dirigeant.
Innovation organisationnelle
Ce qui distingue Domtar des autres papetières, selon Luc Bouthillier, de l'Université Laval, c'est qu'elle a compris très tôt que le changement dans l'industrie des pâtes et papiers était structurel, et non conjoncturel. « Elle a compris que le monde avait changé et s'est rapidement redéployée dans un autre créneau. Ce qui est brillant, c'est qu'elle a utilisé ce qui existait déjà pour se réinventer. Une belle innovation organisationnelle. » Et contrairement à ce qu'ont fait d'autres papetières dans les années 1990, Domtar n'a pas payé des prix trop élevés pour ses acquisitions, ce qui l'a mise bien en selle pour sa réinvention. En outre, alors que d'autres acteurs de cette industrie ont une approche qui vise à réduire les coûts au maximum, celle de Domtar est axée sur la croissance des revenus - ce qui, selon Luc Bouthillier, est la chose à faire dans un contexte de changement structurel de l'industrie.
Les analystes financiers accueillent favorablement la stratégie de Domtar et son exécution. Des 14 analystes qui suivaient le titre en Bourse à la fin d'avril, selon Bloomberg, sept en recommandaient l'achat, alors que trois suggéraient de rester sur les lignes de côté et que quatre conseillaient de le vendre.
« Nous prévoyons que la division des soins personnels sera une importante source de croissance des ventes et des profits pour Domtar en 2014 et dans le futur », indique Leon Aghazarian, de la Financière Banque Nationale. Selon lui, la hausse récente de 36 % du dividende, beaucoup plus élevée que celles des dernières années, montre la confiance de la direction.
Nombreux défis
La vitesse et l'ampleur du changement amènent cependant leur lot de défis.
John Williams est le premier à le reconnaître. « Non seulement il faut réaliser les économies de coûts et les synergies, mais il faut aussi développer la connaissance du consommateur afin de bâtir une offre et des liens solides », dit celui qu'on a recruté à la tête de Domtar entre autres pour son expérience consommateur (notamment au groupe Mars, le fabricant de tablettes de chocolat).
Domtar doit également composer avec une nouvelle dynamique d'affaires, celle des marques privées, où on doit constamment présenter de nouvelles soumissions. Autre défi : elle doit intégrer des entreprises indépendantes à forte culture entrepreneuriale. Ce qui représente un choc culturel. « Ce n'est pas toujours évident de leur enseigner des procédures standardisées », relate le pdg. Beaucoup de formation et de développement de compétences en perspective. « Je reconnais que notre plan est ambitieux », lance-t-il.
La clé de la réussite de ces acquisitions consiste à « payer le bon prix. Ensuite, ce n'est qu'une question de talents, poursuit-il. Choisir les bonnes personnes et les placer au bon endroit. Sinon, s'en débarrasser rapidement ».
Avant d'entreprendre un repositionnement, John Williams conseille de prendre tout le temps nécessaire pour analyser et déterminer ce qu'on veut devenir. « Si vous vous contentez de faire ce qui existe déjà, cela ne vaut pas la peine. Il faut ajouter une nouvelle valeur. Faire quelque chose d'unique. »
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Transformation de Domtar, les dates:
2010 : Conversion de l'usine de Plymouth, en Caroline du Nord, États-Unis, à la pâte en flocons
Août 2011 : Acquisition du fabricant de couches pour adultes Attends Healthcare à Greenville, en Caroline du Nord, 315 M$ US
Janvier 2012 : Achat de Attends à Aneby, en Suède, 180 M€
Mai 2012 : Acquisition de EAM à Jesup, en Géorgie, États-Unis, 61 M$ US
Juillet 2013 : Achat de AHP (couches pour bébés) à Duluth, en Géorgie, États-Unis, 272 M$ US
Juillet 2013 : Ventes des activités américaines de la division de distribution Ariva
Octobre 2013 : Expansion de Attends par l'ajout de chaînes de production
Novembre 2013 : Acquisition de Laboratorios Indas, à Tolède, en Espagne, 425 M€
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