Après des années de vaches maigres, Algorithme Pharma reprend du poil de la bête. Fondé sur un savant mélange de réorganisation interne et d’acquisitions, son retour en force a été aussi spectaculaire que rapide.
« Chris Perkin ne présente jamais de problèmes, seulement des solutions. Et il tient ses promesses. C’est un très bon leader, habile à transformer une masse d’information en projets concrets. »
Marie-Claude Boisvert est associée directeure et responsable du bureau montréalais du fonds d’investissement Kilmer Capital Partners, actionnaire principal d’Algorithme Pharma depuis septembre 2007. Elle ne tarit pas d’éloges sur celui qui a relancé cette entreprise spécialisée dans la recherche clinique après en être devenu pdg en 2010.
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Tempête parfaite
À l’époque, fin des années 2000, l’entreprise de recherche contractuelle (CRO) de Laval est contrainte de fermer son centre de recherche de Baltimore, acquis à peine deux ans plus tôt. Ses affaires ne vont guère mieux au pays de Galles, où les résultats d’un autre centre acquis en 2008, Simbec Research, tardent à se faire sentir.
Ce qui rend les perspectives encore plus sombres, c’est que les problèmes ne s’arrêtent pas à la porte d’Algorithme Pharma. Tous les CRO d’Amérique du Nord et d’Europe tentent de survivre à ce que Michelle Savoie, directrice générale de Montréal InVivo, qualifie de « tempête parfaite ».
« Les CRO sont des sous-traitants des sociétés biotechnologiques et pharmaceutiques, rappelle-t-elle. Or, la crise économique de 2008 a privé les firmes de biotechnologie du capital de risque dont elles ont besoin pour développer de nouvelles molécules. Au même moment, les revenus des pharmaceutiques chutaient en raison de l’expiration des brevets sur plusieurs de leurs médicaments phares. Pressées de leur trouver des successeurs, elles se sont concentrées sur les molécules qui peuvent être mises en marché rapidement, au détriment de CRO comme Algorithme, qui travaillent beaucoup en début de développement. »
Comble de malheur, la baisse des profits des pharmaceutiques les pousse à délocaliser leurs essais précliniques et cliniques dans des pays émergents comme l’Inde ou la Chine. Dans ce contexte, Algorithme Pharma étouffe lentement. À peine profitable, elle doit réduire son effectif de 400 à 320 employés. Le pdg et fondateur Louis Caillé quitte l’entreprise, et Chris Perkin entre en scène.
Du travail, pas de la magie
Le ton de voix très posé du microbiologiste et toxicologue britannique laisse deviner un homme qui, à 63 ans, en a vu d’autres. Son séjour de plusieurs décennies au Canada n’a pas complètement effacé l’accent de son Hertfordshire natal. D’ailleurs, on peut se demander si ses origines n’ont pas à voir avec le retournement de situation spectaculaire d’Algorithme. Sa ville natale de Watford abrite en effet les studios de cinéma de Leavesden, où ont été tournés les films de la série Harry Potter… La réussite de Chris Perkin tiendrait-elle de la magie ?
Plutôt du travail, et surtout de l’expérience, croit Marie-Claude Boisvert. « Chris a traversé plusieurs cycles économiques très difficiles », souligne-t-elle. Il a été notamment président de l’organisation de recherche contractuelle préclinique CTBR Bio-Research et vice-président senior de Charles River Laboratories, où il a œuvré de 1988 à 2010. « Il était clair dès le départ qu’il avait une bonne idée des stratégies et des tactiques à mettre en place. »
Une vision si précise, en fait, qu’il soutenait pouvoir relancer Algorithme Pharma en moins d’un an et demi. Un pari osé. Et tenu. « L’entreprise avait une bonne équipe et beaucoup d’expertise, mais n’avait pas l’habitude de se battre dans un contexte où la concurrence sur les prix était centrale, se rappelle Chris Perkin. Elle était peu attentive au gaspillage et pas assez orientée sur les procédés. J’avais déjà vu cela auparavant dans le secteur préclinique, et j’étais convaincu de savoir quoi faire. »
De la parole aux actes
Chris Perkin s’est adjoint les services de trois gestionnaires avec lesquels il travaillait chez Charles River Laboratories pour former le petit commando chargé de transformer Algorithme. Toutefois, l’analogie militaire s’arrête là. Bien conscient que la résistance au changement est souvent le pire ennemi de la transformation, Chris Perkin a tenu à y associer toute l’équipe de direction et les employés, plutôt que de l’imposer.
Il a vite trouvé des oreilles attentives. « Quand les gens savent que les choses vont mal, que leurs emplois sont en jeu, ils sont forcément plus ouverts, lance-t-il. C’est le meilleur moment pour faire des changements fondamentaux. Je voulais qu’ils s’approprient le plan, plutôt que de le subir. Deux gestionnaires, moins à l’aise avec la nouvelle direction, sont partis d’eux-mêmes, mais sans animosité. Tous les autres sont restés. »
L’introduction de la méthode de gestion Lean Six Sigma était un des fers de lance de la transformation. Ce modèle vise à rationaliser les processus de production afin d’en augmenter l’efficacité et de réduire les délais. Pour le nouveau pdg, il était crucial d’utiliser cette méthode éprouvée pour éliminer le gaspillage. « Nous avons d’abord sondé les employés quant aux changements susceptibles d’améliorer l’efficacité, puis nous les avons formés afin qu’ils puissent appliquer les nouveaux principes au quotidien. »
Le redressement
Le redressement
La chasse aux coûts superflus a vite donné des résultats. Le pdg cite l’exemple de la publicité faite par Algorithme pour recruter des participants à ses tests cliniques. Avec stupeur, il s’est rendu compte que l’entreprise dépensait des centaines de milliers de dollars pour des annonces radiophoniques. Or, il n’y avait aucun indicateur pour évaluer l’efficacité de ce procédé coûteux pour rejoindre le groupe démographique visé. En répartissant mieux ses publicités, notamment en ligne et dans les transports en commun, la société a doublé son recrutement, tout en réduisant de moitié son budget publicitaire !
L’autre cible de Chris Perkin : la clinique d’Algorithme, qui peinait à faire des profits. « Nous y avons repéré tellement d’aberrations », soupire Chris Perkin. Les logiciels implantés pour faciliter la vie des employés la leur rendaient en fait plus complexe. Le rôle des différents membres de l’équipe n’était pas clairement défini. « Il y avait une avalanche de redondances. Avec les employés, nous avons tout revu. » Les changements ont rapidement été populaires, tout le monde étant encouragé par les résultats. « La situation a été redressée en six mois et les profits de la clinique ont explosé. »
L’appétit du convalescent
Après avoir dépassé les objectifs de rendement pendant trois années consécutives, Chris Perkin s’est présenté devant les actionnaires avec une proposition audacieuse en 2013 : acquérir le centre de recherche américain Vince & Associates, spécialisé dans les essais cliniques en phase initiale du développement de médicaments. « Nous en étions arrivés au point où il fallait réaliser une grosse acquisition pour maximiser le potentiel de la société. Sinon, nous risquions de plafonner », dit-il.
Chez Kilmer Capital, ce projet a rappelé de mauvais souvenirs. Tout le monde se souvenait de l’échec du centre de recherche de Baltimore, fermé à peine deux ans et demi plus tôt. « Tout allait bien chez Algorithme, explique Marie-Claude Boisvert. Cette acquisition promettait de doubler les profits de l’entreprise, mais elle y remettait aussi du risque. Nous y avons pensé à deux fois. » De plus, ajoute la gestionnaire, les banques n’avaient pas oublié la mésaventure de Baltimore, et il fallait les convaincre d’embarquer.
Chris Perkin les a persuadés de l’importance stratégique de cette acquisition et la transaction a été conclue en mai 2013, pour un montant confidentiel. « Il n’y a aucune redondance entre Algorithme et Vince. Nous décrocherons plus de contrats ensemble que séparément, car nous pourrons offrir plus de services, notamment aux petites entreprises de biotechnologie qui font très souvent appel à la sous-traitance et qui recherchent des solutions clé en main. »
Faire sa chance
La relance d’Algorithme arrive au moment où la tempête parfaite cède le pas à un climat beaucoup plus favorable aux CRO. Après les avoir malmenées, la crise pourrait même finir par les favoriser, croit Jean-Marc Juteau, directeur de la Cité de la Biotech de Laval. « Les grandes pharmaceutiques ont compris qu’elles étaient peu performantes à l’interne pour mener à bien des projets de R-D, dit-il. Elles se tournent donc de plus en plus vers les CRO, dont elles reconnaissent désormais l’expertise. »
La hausse des coûts de développement de nouveaux médicaments rend aussi la sous-traitance plus attrayante. Aux États-Unis, l’investissement moyen pour développer un médicament approuvé par la FDA est passé de 800 millions de dollars américains à 1,5 milliards de dollars américains depuis 2000, selon la firme Cowen and Company. Une étude publiée en 2013 par Results Healthcare prédit une croissance annuelle de 5 à 6 % pour les CRO d’ici 2018, alors que celle d’Applied Clinical Trials en prévoit une de 7,9 %.
Pour bien se positionner, Altasciences, la société de portefeuille qui chapeaute Algorithme Pharma et Vince & Associates, pourrait procéder à de nouvelles acquisitions. « L’idéal serait de pouvoir offrir tous les services, de la recherche jusqu’à la preuve de concept », soutient Chris Perkin.
Cependant, prévient-il, il faut avant tout éviter de se reposer sur ses lauriers. Algorithme, qui compte maintenant plus de 400 employés, s’est distinguée dans quatre catégories du palmarès 2014 des meilleures CRO du magazine Life Science Leader. Chris Perkin a trop d’expérience pour croire que le passé est garant de l’avenir. « Il est impossible de prédire les changements que subiront les CRO, conclut-il. Il est crucial de rester alerte et surtout, flexible. Il faut toujours être prêt à se transformer pour suivre l’évolution du marché. »