Gaz Métro s'est transformée de fond en comble depuis une décennie. Non seulement l'entreprise a abrégé son nom (elle s'appelait Gaz Métropolitain depuis 1969) et changé de logo, mais elle a beaucoup diversifié ses activités. Résultat, elle compte depuis quelques années plus de clients aux États-Unis qu'au Québec ! Histoire d'une grande transformation.
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Vous voulez poser une colle à vos collègues ou à des amis ? Demandez-leur ce que fait Gaz Métro. Ils vous répondront que la société distribue du gaz naturel. Ils ont raison, mais en partie seulement. Car elle fait beaucoup plus que distribuer cet hydrocarbure. Par l'intermédiaire de ses filiales, elle produit et distribue de l'électricité à partir de sources d'énergie aussi diversifiées que l'eau, le vent, le soleil et le méthane issu du fumier bovin (cow power).
« Nous sommes devenus un énergéticien », laisse tomber dans un entretien avec Les Affaires sa présidente et chef de la direction, Sophie Brochu. Et le mot « énergéticien », qu'elle affectionne, décrit très bien ce qu'est devenue l'entreprise qu'elle dirige depuis 2007, et dans laquelle elle évolue depuis 1997, notamment à titre de vice-présidente au développement des affaires.
Depuis le milieu des années 2000, Gaz Métro a énormément diversifié ses activités au Québec et au Vermont. En 2006, 72,5 % de l'actif de la société se trouvait dans la distribution gazière au Québec. L'an dernier, ce chiffre n'était plus que de 41,5 %. Une situation qui tient surtout à l'entrée de Gaz Métro dans la production et la distribution d'électricité au Vermont grâce à deux acquisitions : Green Mountain Power et Central Vermont Public Service (CVPS).
Ces transactions ont profondément transformé Gaz Métro. « Au Vermont, nous sommes devenus le plus grand opérateur de barrages au fil de l'eau de la Nouvelle-Angleterre. Et au passage, nous avons aussi hérité de fermes éoliennes et d'une source d'électricité produite à partir de biomasse de vaches ! » raconte la dirigeante de 50 ans, sourire en coin.
Au cours de cette période, la société a aussi accru sa présence dans la distribution de gaz naturel liquéfié (GNL). Par exemple, la route bleue (l'autoroute 20 au Québec et l'autoroute 401 en Ontario) permet à des camions de faire le plein de GNL, notamment à Boucherville et à Mississauga. De plus, les trois nouveaux traversiers de la Société des traversiers du Québec fonctionneront au GNL. Sans oublier un projet-pilote pour une locomotive du CN.
La transformation de Gaz Métro fait d'elle un poids lourd de l'industrie énergétique au Canada et dans le nord-est de l'Amérique du Nord. Avec des revenus de 2,2 milliards de dollars en 2013, le distributeur d'énergie est toutefois beaucoup plus petit que le géant Hydro-Québec, dont les revenus ont atteint 12,8 milliards de dollars en 2013. Mais Gaz Métro est appelée à grandir, puisque la société souhaite faire d'autres acquisitions dans le nord-est des États-Unis.
Un ADN revu et bonifié
L'évolution s'amorce sans tambour ni trompette à la fin des années 1990. Le distributeur de gaz naturel est alors dirigé par Robert Tessier, un ancien haut fonctionnaire. Celui-ci sera à la tête de l'entreprise de 1997 à 2007.
« Nous avions fait le plein de clients au Québec, et nous étions déjà implantés au Vermont depuis 1986, grâce à l'acquisition de Vermont Gas. Nous avons donc commencé, à la fin des années 1990, à regarder la possibilité de nous diversifier », confie celui qui est aujourd'hui président du conseil d'administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
Les occasions d'achat ne courent cependant pas les rues à l'époque. Malgré de nombreuses recherches, l'occasion rêvée ne se présente que quelques années plus tard. En juin 2006, Gaz Métro achète Green Mountain Power, le deuxième distributeur d'électricité du Vermont, pour 187 millions de dollars américains. Puis, cinq ans plus tard, en 2011, elle absorbe Central Vermont Public Service au coût de 472,4 millions de dollars américains, et la fusionne avec Green Mountain Power.
La hausse des prix du gaz naturel au milieu des années 2000 explique aussi la recherche de diversification, selon Sophie Brochu. En 2006, le cours du Henry Hub (le prix de référence en Amérique du Nord) a même dépassé les 13 dollars américains par million de BTU, soit trois fois les niveaux actuels. Rien pour inciter les particuliers, les entreprises et les institutions à se tourner vers le gaz naturel !
C'est d'ailleurs à cette époque que l'entreprise décide d'investir dans la production d'énergie éolienne dans la Seigneurie de Beaupré (340 mégawatts au total, dont 272 MW sont actuellement en service) avec deux sociétés : Valener, la société cotée en Bourse qui détient 29 % de la société en commandite Gaz Métro, et Boralex, un producteur québécois d'énergie renouvelable. Gaz Métro et Valener ont une participation de 50 % dans ce projet, tandis que Boralex en détient l'autre moitié.
Selon Sophie Brochu, ce partenariat avec Boralex s'est bien passé, même si sa « fantastique culture d'entreprise » est différente de celle de Gaz Métro.
« Il y a eu des ajustements à faire », admet la patronne du distributeur d'énergie. Les partenaires ont dû s'entendre sur un plan qui tient compte des coûts de construction des parcs éoliens, du potentiel éolien de la région, de même que des revenus et des rendements anticipés. À ce jour, les échéanciers ont été respectés pour la phase 1, qui a engendré des retombées de plus de 85 millions de dollars dans la grande région de Québec. Quant au budget, la femme d'affaires a « bon espoir » qu'il soit respecté.
« Un degré de séparation, pas plus »
« Un degré de séparation, pas plus »
Alors que le développement éolien comportait un risque sur le plan des coûtws de construction, les acquisitions au Vermont n'étaient pas non plus sans risque. En mettant la main sur deux sociétés en activité, soit Green Mountain Power et CVPS, Gaz Métro s'exposait en effet à un risque d'exécution non négligeable.
Pour le limiter, la société a maintenu en place les gestionnaires américains. Après tout, souligne Sophie Brochu, la distribution d'énergie est un service de proximité. « Quand le gouverneur du Vermont veut parler de développement économique, il ne veut pas appeler à Montréal ! Il veut appeler à Burlington. Il veut parler à quelqu'un qui vient du Vermont et qui comprend la dynamique du marché. »
Le spécialiste de l'énergie prend des risques, mais pas n'importe lesquels, affirme Sophie Brochu, en faisant référence aux degrés de séparation dans une saine gestion du risque. « Pour nous, un degré de séparation est la situation idéale. » Par exemple, Gaz Métro ne connaissait pas le marché de la distribution de l'électricité au Vermont, mais du fait qu'elle avait acheté Vermont Gas en 1986, elle connaissait bien celui de la distribution gazière dans cet État. C'est pourquoi elle se sentait à l'aise d'y faire son entrée dans la distribution de l'électricité. La même logique prévaut pour le secteur éolien au Québec : Gaz Métro se sentait à l'aise d'y entrer, car elle connaissait bien le marché québécois.
Par contre, l'entreprise n'investirait pas à la fois dans un État où elle n'est pas présente et dans un créneau où elle n'a aucune expérience. « Je ne serais pas allée faire de la distribution d'électricité en Californie, car je ne connais ni la distribution d'électricité ni cet État », explique Sophie Brochu.
S'exposer aux idées nouvelles
Si Robert Tessier a été à l'origine de la transformation, c'est toutefois Sophie Brochu qui l'a concrétisée. Pour y parvenir, la direction a amorcé un profond processus de réflexion en 2006.
Les dirigeants ont consulté alors toutes sortes d'intervenants - universitaires, producteurs d'énergie, environnementalistes, sociologues, jeunes -afin de réfléchir au Québec de demain, y compris sa consommation d'énergie et la place de Gaz Métro dans l'industrie énergétique.
Un apport extérieur essentiel, insiste Sophie Brochu.
« L'idée, c'est de s'exposer le plus possible à des points de vue différents. Ce qui signifie de consulter surtout à l'externe. Car si on ne fait que se consulter entre nous, on est consanguins, et on va tous arriver avec les mêmes idées », dit-elle, précisant que l'entreprise vient de faire le même exercice pour « nourrir » ce que sera Gaz Métro en 2017-2018.
Au milieu des années 2000, cette réflexion et ces échanges n'ont pas toujours été de tout repos. Pas de déchirement ni de doute existentiel, assure Sophie Brochu. Mais des « questions légitimes » afin de s'assurer que l'entreprise prend les bonnes décisions.
La diplômée en sciences économiques de l'Université Laval (où elle s'est spécialisée dans le domaine énergétique) n'en parle pas, mais son leadership a aussi contribué à ce que la transformation de la société se passe bien, dit pour sa part Stéphanie Trudeau, vice-présidente, stratégie, communication et développement durable chez Gaz Métro.
« Elle est tellement convaincante qu'on embarque dans ses projets. » La patronne est aussi ouverte à la critique, selon Stéphanie Trudeau. « Je pense même qu'elle demande cette critique. Elle est très humble ; par exemple, lorsqu'elle fait une erreur et qu'on le lui dit. »
Pour sa part, Robert Tessier parle « d'une femme de vision », capable de partager et de susciter l'intérêt de son entourage pour ses projets et sa vision de l'entreprise. « C'est une communicatrice exceptionnelle. »
Une vision stratégique empreinte néanmoins d'une grande prudence, confie la principale intéressée. « Chez Gaz Métro, c'est une petite bouchée à la fois. Quand nous faisons une acquisition, quand nous faisons un développement, nous l'assimilons, nous nous l'approprions, et après cela, nous continuons de construire. »
Si la stratégie de transformation et de diversification de Gaz Métro, qui compte 1400 employés, est saluée par les analystes, leurs avis sont par contre partagés sur son originalité.
Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal, considère que la stratégie est audacieuse, car l'entreprise est sortie de sa zone de confort. Elle est à la base une entreprise dans un secteur réglementé, où tout doit être approuvé par un organisme externe, en l'occurrence la Régie de l'énergie, au Québec. En contrepartie, ce cadre offre des rendements de l'investissement garantis.
Carl Kirst, analyste financier chez BMO Marchés des capitaux, souligne pour sa part que la transformation de Gaz Métro est comparable à ce qu'ont fait plusieurs sociétés de services publics dans le secteur énergétique en Amérique du Nord. « Par exemple, aux États-Unis, on voit des entreprises faire le saut dans d'autres marchés, autant sur le plan de la géographie que dans des secteurs non réglementés. »
Pierre Lacroix, analyste financier chez Valeurs mobilières Desjardins, croit que Sophie Brochu et son équipe vont dans la bonne direction avec leur stratégie. « L'acquisition de Central Vermont Public Service, le développement du gaz naturel liquide, la construction des parcs éoliens... Ce sont des gestes qui ont été très profitables et logiques sur le plan énergétique. »
Des défis à venir
Cela dit, Gaz Métro fait face à plusieurs défis pour la suite des choses, disent les analystes. Selon Pierre-Olivier Pineau, l'entreprise doit conserver une vision cohérente avec ces multiples activités, qui sont dans des secteurs connexes, mais parfois un peu contradictoires. « Les projets éoliens au Québec reposent sur une approche du gouvernement québécois qui n'est pas entièrement basée sur les besoins énergétiques du Québec, alors que Gaz Métro prône avant tout la bonne énergie à la bonne place. Est-ce que l'éolien au Québec est vraiment la bonne énergie à la bonne place ? Plusieurs se posent la question. »
Carl Kirst souligne pour sa part que le principal défi de l'organistion dans les prochaines années sera de poursuivre sa croissance, qu'elle soit interne ou par acquisitions. Pour Pierre Lacroix, le plus grand défi de Gaz Métro est de continuer à convaincre les investisseurs que l'entreprise est un outil d'investissement très stable, et surtout, qu'il peut y avoir des avenues de croissance intéressantes.
Sur l'écran radar de l'énergéticien
Sophie Brochu se dit confiante pour la suite des choses. « Je ne vous dis pas que nous avons terminé, parce que nous en avons pour dix ans... Mais j'ai un degré de confort assez élevé pour dire que nous maîtrisons ce que nous avons fait [...] Nous sommes actuellement dans une position intéressante pour dire : que faisons-nous après ? »
Le développement du GNL sera une avenue importante, confirme Sophie Brochu, qui fait une analogie entre le développement de ce carburant et l'arrivée de la mobilité dans le domaine des télécommunications. « La révolution GNL, c'est un peu comme la révolution cellulaire », écrit-elle d'ailleurs dans le rapport annuel de 2013 de Valener.
Une analogie qu'elle répétera en entrevue. En effet, à l'instar des télécoms et des ondes, le GNL (ou le gaz mobile) peut être livré pratiquement partout sans utiliser d'infrastructures physiques importantes, en l'occurrence des gazoducs, explique Sophie Brochu, en citant l'exemple de la mine Stornoway.
L'automne dernier, la minière a choisi le GNL pour alimenter sa future mine de diamants située au nord de Chibougamau, et ce, après avoir évalué la possibilité de s'approvisionner en électricité ou en diesel. Un tel contrat d'approvisionnement, loin du réseau de gazoduc, aurait été impensable il y a seulement quelques années.
Le biométhane (un gaz naturel local et renouvelable provenant de la décomposition de matière organique) est une autre avenue que souhaite développer Gaz Métro. Depuis trois ans, l'« énergéticien » a élaboré des projets, notamment avec la Ville de Saint-Hyacinthe, pour valoriser le méthane en l'injectant dans son réseau.
Toutefois, pour que Gaz Métro puisse aller de l'avant avec ses projets, les règles qui encadrent ses activités devront être modifiées, explique Sophie Brochu. Une incertitude qui frustre d'ailleurs un peu la patronne. « Vous savez c'est quoi notre risque au Québec ? C'est que notre régulateur ou la loi ne suive pas ce que la société québécoise veut que nous fassions. »
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