L'industrie des télécommunications et du câble n'est plus aussi immuable qu'avant, tant la technologie chamboule rapidement les habitudes des consommateurs de vidéos. Au même moment, leur évaluation est enflée par la chute des taux d'intérêt, qui embellit l'allure de leurs dividendes. Comment s'y retrouver ? Voici quelques repères pour y voir plus clair et une rapide analyse des titres que préfèrent les analystes.
Depuis l'échec du rachat par endettement de BCE en 2007 et la crise de 2008, les titres de télécommunications et de câble sont devenus plus que jamais une source de dividendes élevés, et ce, pour étancher la soif de rendements réguliers de leurs principaux actionnaires, les caisses de retraite et les fonds communs.
La chute des taux d'intérêt depuis six ans a amplifié le virage de cette industrie auparavant prisée pour sa croissance, si bien que le secteur est presque aussi chèrement évalué qu'au zénith de 2007.
Les taux et les ressources ont pris le dessus
Les fournisseurs de télécommunications sont essentiellement évalués en tant que substituts aux titres à revenu fixe («bond proxies» dans le jargon des financiers).
Maher Yaghi, analyste chez Desjardins Marché des capitaux, est catégorique : le secteur fluctue en fonction des taux de 10 ans, qui est devenu l'indicateur clé à surveiller.
Et pour cause. Leur rendement de dividende moyen de 4,2 % est presque trois fois plus élevé que celui de 1,6 % que procurent les obligations canadiennes de 10 ans.
«Dans le contexte actuel de faibles taux, les investisseurs doivent savoir que les facteurs macroéconomiques ont pris le dessus sur les éléments internes propres à l'exploitation de chaque entreprise», fait valoir Greg MacDonald, directeur de la recherche chez Macquarie Capital Markets.
La croissance des abonnés et des revenus par abonné des fournisseurs du sans-fil, tout comme celle de leur taux mensuel de désabonnement, sert essentiellement à mesurer la capacité financière des fournisseurs à soutenir et à augmenter leur dividende et à racheter leurs actions.
Avec un dividende de presque 5 %, BCE est le titre le plus sensible aux fluctuations des taux. Son rendement de dividende de 4,8 % est en effet plus élevé que celui que versent les banques (3,8 %), les assureurs (2,96 %) et les fournisseurs d'électricité et de gaz naturel (4,1 %).
De surcroît, au Canada, où la Bourse est très concentrée, l'évolution de ces titres dépend aussi des tactiques des gestionnaires de portefeuille qui se déplacent d'un secteur à l'autre, en fonction de la conjoncture.
BCE peut ainsi servir de refuge quand les grands investisseurs quittent le secteur des ressources.
Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à jeter un coup d'oeil au graphique du titre de BCE, note M. MacDonald. Son action s'est appréciée pendant la chute du cours du pétrole West Texas de 2014 (qui est descendu jusqu'à 42,27 $ US le 23 janvier) pour atteindre un sommet de 60,20 $, au début de février 2015.
Le titre de BCE s'est ensuite replié pendant que le cours du pétrole remontait jusqu'à 58,77 $ US.
Pour certains analystes, leur riche évaluation freine le potentiel
L'engouement pour les dividendes fait en sorte que les titres de télécommunications ont rarement été aussi chèrement évalués, peu importe le ratio utilisé, indique Robert Bek, de Marchés mondiaux CIBC.
L'analyste craint que l'évaluation de ces titres ne soit déconnectée de leur performance fondamentale et que l'industrie ait connu ses meilleurs jours en Bourse.
«Leur appréciation des dernières années provient essentiellement d'une hausse de leur multiple d'évaluation, puisque les prévisions de bénéfices plafonnent ou baissent, même», dit-il.
Les fournisseurs de télécommunications s'échangent à un multiple de 7,7 fois le bénéfice d'exploitation prévu par rapport à une moyenne de 6,5 fois depuis cinq ans. Le multiple comparable de 7,4 fois pour les câblodistributeurs est aussi supérieur au multiple moyen de 6,6 fois depuis cinq ans. C'est l'étalon de mesure pour comparer ces titres entre eux.
Leur évaluation élevée les rend plus vulnérables qu'avant à toute hausse des taux d'intérêt ou encore à une concurrence plus sentie de la part d'un quatrième fournisseur national. Déjà, le secteur est stable depuis le début de 2015 par rapport au gain de 2,6 % du S&P/TSX pendant la même période.
M. MacDonald estime aussi que les investisseurs ne sont pas préparés au ralentissement inévitable du taux de croissance des dividendes, croissance à laquelle ils ont été habitués au cours des dernières années.
Pour d'autres, ils ont encore de bons rendements à donner
Si la direction des taux et le va-et-vient des grands investisseurs dictent le comportement des titres de télécommunications en Bourse, ces fluctuations à court terme importent peu pour l'investisseur qui cherche des revenus réguliers à long terme, croit Marie-Ève Savard, de Gestion d'actifs Manuvie.
La gestionnaire de portefeuille continue donc de jauger la performance de ces sociétés en fonction de leur croissance d'abonnés et de leur taux de désabonnement.
Les titres de télécommunications reviennent aussi dans les grâces de Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, qui recommande une répartition égale à celle du marché dans ce secteur, pour la première fois depuis juillet 2013.
Le nouvel encadrement du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) n'est pas aussi contraignant que prévu, dit-il.
Les fournisseurs de sans-fil établis s'activent déjà depuis deux trimestres à retenir leurs clients, avant l'échéance des contrats de trois ans désormais bannis.
Les coûts de rétention des clients augmentent, pour Rogers Communications en particulier, mais ces dépenses accrues se retrouvent déjà dans les prévisions de bénéfices d'exploitation des fournisseurs, avance M. Valentini.
À court terme, l'analyste de TD n'entrevoit pas de hausse marquée des taux d'intérêt ni de retour en masse des investisseurs vers les ressources, qui comprimeraient l'évaluation des titres de télécommunications.
Après tout, il y a un bon coussin de 2,6 % entre leurs dividendes moyens et le rendement de 1,6 % des obligations de 10 ans.
M. Valentini juge aussi peu probable que Wind Mobile lance une véritable guerre de prix qui déstabiliserait les fournisseurs de sans-fil établis d'ici 12 à 18 mois, même si la société se recapitalise ou s'allie à Québecor.
Le danger viendrait éventuellement si un géant étranger, comme AT&T, Verizon ou Iliad, mettait la main sur Wind Mobile pour en faire un quatrième fournisseur plus agressif. Néanmoins, un tel scénario lui semble bien peu probable, du moins d'ici deux à trois ans.
M. MacDonald est moins optimiste que son collègue en ce qui concerne les perspectives de croissance future des fournisseurs établis. Il s'attend à ce que Wind Mobile et Québecor mènent une plus chaude lutte qu'avant pour les clients de services sans fil.
Grâce à la baisse prochaine des frais d'itinérance que les grands fournisseurs exigent aux plus petits et au bon prix payé pour leurs fréquences sans fil, Wind et Québecor seront en mesure d'offrir des forfaits sans fil très concurrentiels pour cibler les grands consommateurs de données et de vidéos.
QUÉBECOR POUR LE POTENTIEL DE SA TRANSFORMATION
Québecor est un choix populaire chez les financiers, paradoxalement, parce qu'il n'a justement pas le profil traditionnel de son industrie.
Puisque son dividende est encore modeste, son action n'évolue pas en fonction des taux d'intérêt, note Greg MacDonald, de Macquarie Research.
C'est le potentiel d'une revalorisation du mouton noir de l'industrie qui pique le plus leur intérêt.
Avec la vente de ses journaux et des magasins Archambault, la société accentue son recentrage sur le câble, Internet et le sans-fil, qui lui fournissent 97 % de son bénéfice d'exploitation.
Pour Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, Québecor offre un bon mélange de croissance et de valeur. «Le marché donne peu de valeur à sa division sans fil, qui vient pourtant d'augmenter ses revenus mensuels par abonné de 15 % et dégage un bénéfice d'exploitation record de 13 M$, au premier trimestre», dit-il.
La croissance globale de ses abonnés est encore plus rapide que celle des fournisseurs établis, tandis que son action en Bourse n'obtient pas les multiples d'évaluation de ses rivales.
Son action s'échange à un multiple de 6,6 fois son bénéfice d'exploitation par rapport à une moyenne de 7,7 fois pour les fournisseurs établis de télécommunications et de 7,2 fois pour les câblodistributeurs.
La société est particulièrement bien placée à moyen terme pour profiter de la consommation accrue de données et de vidéos sur les appareils mobiles, croit M. MacDonald. Sa structure de coûts allégée lui donnera les moyens d'offrir des forfaits plus concurrentiels et de ravir des clients, ce qui stimulera sa croissance pendant plusieurs années, prédit-il.
Quant à ses ambitions pour devenir un service sans fil national, la majorité des analystes sont d'avis que l'entreprise restera disciplinée afin de racheter la part résiduelle de 25 % de la Caisse de dépôt et placement dans Québecor Média.
«Nous avons confiance que Québecor n'investira aucun capital dans un quatrième fournisseur sans fil à court terme. Si une transaction prenait forme, Québecor pourrait offrir les licences sans fil qu'elle détient hors du Québec en échange d'un intérêt dans Wind Mobile», entrevoit M. Valentini.
La recommandation d'achat de Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux, repose aussi sur l'hypothèse que Québecor n'offrira pas son service sans fil à l'extérieur du Québec.
En revanche, l'entreprise saura donner de la valeur à son investissement opportuniste dans des licences sans fil hors de la province.
«On préfère que la société rembourse ses dettes, rachète le bloc de la Caisse et augmente ses dividendes. Cette stratégie donnerait plus de valeur à son action», dit-il.
PLUS PERFORMANTE, TELUS RESTE LA PRÉFÉRÉE
Parmi les fournisseurs établis, Telus est le titre favori des analystes, parce que la société de Vancouver est première de classe à bien des égards.
La société présidée par Joe Natale depuis mai 2014 tire 65 % de son bénéfice d'exploitation de son service sans fil, un pourcentage élevé qui plaît aux analystes du secteur. La croissance globale des abonnés à ses quatre services (téléphone filaire, sans-fil, Internet haute vitesse et télévision) est supérieure à celle de Bell et de Rogers Communications.
Le taux de désabonnement mensuel de ses clients est inférieur à 1 % depuis sept trimestres et le plus bas de son industrie.
Des clients fidèles ont non seulement une valeur économique supérieure, mais ils sont plus rentables, puisque Telus dépense moins pour les retenir que ses rivales, explique Marie-Ève Savard, de Gestion d'actifs Manuvie.
Au premier trimestre, Telus a accru la marge d'exploitation de son service sans fil parce que ses coûts de rétention représentent 12 % des revenus de son réseau, par rapport à 17 % pour Rogers, précise Drew McReynolds, de RBC Marchés ces Capitaux.
Comme promis en 2011, la société rachète aussi 500 millions de dollars de ses actions par année et augmentera son dividende de 10 % par année jusqu'en 2016.
Phillip Huang, de Barclays, est confiant que Telus pourra prolonger ce programme de retour de capital, après 2016.
Telus peut aussi se concentrer entièrement sur ce qu'elle fait le mieux, le service à la clientèle ainsi que le déploiement et la mise à niveau de ses réseaux sans fil et filaire, puisqu'elle n'a pas de médias à supporter.
Non seulement les médias doivent se battre pour chaque dollar de publicité, mais les coûts de programmation augmentent sans cesse
Marge d'exploitation sans fil1, Telus encore chef de file
Telus 44,1 %
BCE 43,5 %
Rogers 42,6 %
1 Au premier trimestre 2015. Source : RBC Marchés des Capitaux
Source : Financière Banque Nationale
Taux mensuel de désabonnement sans fil1, Telus l'emporte
Telus 0,91 %
BCE 1,18 %
Rogers 1,24 %
1 Au premier trimestre 2015, pour les clients aux services postpayés.
Source : RBC Marchés des Capitaux
DES SOURCES DE DIVIDENDES AVANT TOUT
Société, symbole / Rend. de dividendes / Part des flux distribués1
BCE, BCE 4,8 % / 70 %
Telus, T 3,9 % / 72 %
Manitoba Telecom, MBT 4,7 % / 89 %
Rogers Communications, RCI.B 4,5 % / 55 %
Shaw Communications, SJR.B 4,3 % / 90 %
Cogeco Câble, CCA 2,1 % / 17 %
Québecor, QBR.B 0,4 % / 6 %
1 Proportion des flux de trésorerie excédentaires générés par l'exploitation distribués en dividendes. Plus le pourcentage est élevé, moins la société dispose d'une marge de manoeuvre pour l'augmenter à l'avenir.
Sources : Valeurs mobilières TD et Desjardins Marché des capitaux
QUÉBECOR EST MOINS CHÈREMENT ÉVALUÉE QUE SON INDUSTRIE
Ratio VE/BAIIA1 prévu en 2016
Cogeco Câble 6,2
Québecor 6,6
Rogers 7,1
Shaw 7,7
Telus 7,7
BCE 7,8
1 Ratio qui compare la valeur de l'entreprise (la valeur boursière + la dette) divisée par le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement au 29 mai 2015.
Source : Desjardins Marché des capitaux
REVENU MENSUEL PAR ABONNÉ SANS FIL1, TELUS EN TÊTE
Telus 62,34 $
BCE 60,83 $
Rogers 58,75 $
1 Au premier trimestre 2015, pour les clients aux services prépayés et postpayés. Source : RBC Marchés des Capitaux
Le coin des analystes QBR.B, 32,07 $
Conserver 1
Achat 15
Cours cible moyen : 38,20 $
Gain potentiel : 19,1 %
Le coin des analystes T, 42,56 $
Conserver 9
Achat 13
Cours cible moyen : 45,58 $
Gain potentiel : 7 %
Croissance du nombre de connexions clients1 : la palme va à Telus
Pour les 12 derniers mois terminés le 31 mars
Telus + 341 000
BCE + 172 000
Rogers - 87 000
1 Somme des abonnés mobiles actifs, des lignes d'accès au réseau (LAR), des abonnés à l'accès Internet haute vitesse et des abonnés au service de télévision.
Source : Desjardins Marché des capitaux