Après les années fastes qui ont suivi la crise de 2008, le marché boursier canadien a finalement connu depuis le début de 2015 un certain essoufflement, tiré vers le bas par le secteur des ressources naturelles. À l'opposé, l'indice S&P 500 affiche un rendement positif, quoique modeste, à un moment où la Réserve fédérale américaine laisse planer une première hausse du taux directeur en neuf ans. Que nous réserve la fin de l'année ? Quatre stratèges ont bien voulu nous faire part de leurs prévisions et de leurs recommandations.
Stéfane Marion, économiste et stratège en chef à la Banque Nationale
Cibles des principaux indices à la fin de 2015
S&P/TSX : Hausse d'environ 3 % (ce qui amènerait l'indice aux environs de 15 000 points)
S&P 500 : Hausse d'environ 5 % (ce qui placerait l'indice à 2 160 points)
Prix du baril de pétrole : 45 à 50 $ US
Or : 1 200 $ US/once.
Répartition de l'actif
Plus : les financières et une pondération plus importante en devises américaines.
Moins : le secteur des ressources.
À surveiller : les développements en Chine. L'appréciation du dollar américain pourrait diminuer les sommes allouées aux pays émergents.
Mise en garde : réduire trop fortement sa pondération en obligations.
Stéfane Marion est légèrement moins optimiste qu'il ne l'était en début d'année en ce qui concerne le marché boursier canadien. Il prédit un rendement de 3 % pour la Bourse de Toronto, ce qui placerait l'indice à environ 15 000 points en fin d'année. «La chute des cours énergétiques et le manque de vigueur de l'économie chinoise ont beaucoup pesé sur le secteur des ressources, une composante importante du S&P/TSX», explique-t-il.
Les récents développements en Chine n'aident pas. «Le yuan a été déprécié par les autorités d'environ 5 %, et je crois que cela pourrait se rendre jusqu'à 10 %. C'est un choc très important. C'est une première dévaluation depuis 1994 pour la devise chinoise. Cela crée un flottement supplémentaire sur les marchés boursiers et l'environnement devient soudainement plus incertain», lance-t-il.
L'économiste et stratège en chef de la Banque Nationale conserve sa cible d'un rendement de 5 % à la Bourse de New York, ce qui placerait le S&P 500 à 2 160 points. Mais le potentiel demeure limité à ses yeux en raison de la transition de la politique monétaire américaine et du fait que la Réserve fédérale américaine (Fed) songe à hausser les taux d'intérêt. «Pour obtenir un bon rendement, il faudra bien choisir les secteurs à l'intérieur de l'indice», précise-t-il. Aux États-Unis, il voit d'un bon oeil le secteur des financières, maintenant recapitalisées et qui évoluent dans un nouveau cadre juridique. «Grâce à la bonne tenue du marché de l'emploi américain, les banques peuvent prêter de nouveau aux ménages. Le troisième trimestre s'annonce comme l'un des meilleurs pour le crédit bancaire depuis la fin de la récession [que ce soit pour les entreprises ou les ménages]», explique-t-il. Une nouvelle politique monétaire américaine devrait être porteuse pour les banques de l'oncle Sam, selon le stratège. Certaines d'entre elles pourraient augmenter leurs dividendes. «Étant donné la volonté de nos autorités de déprécier la monnaie canadienne, je maintiens l'importance pour les investisseurs d'avoir une pondération plus grande qu'à l'habitude en devises autres que le dollar canadien. Je favorise plus particulièrement le dollar américain.»
Au Canada, compte tenu des bas taux d'intérêt, M. Marion considère que les sociétés financières offrent également un rendement attrayant. «Elles ont un aspect défensif pour le marché. Surtout si on les compare aux taux obligataires.» Il estime aussi qu'en raison d'un dollar d'une faiblesse qu'on n'a pas connue depuis une décennie, les banques canadiennes devraient bien performer, tout comme les exportateurs qui ont une bonne exposition au marché américain.
Côté portefeuille d'investissement, le stratège préconise une approche plus défensive. Particulièrement à la lumière des récents développements en Chine «Je suggère une répartition équipondérée obligations-actions, avec davantage d'encaisse qu'à l'accoutumée.» Pour la portion actions du portefeuille, il privilégie une pondération d'au moins 50 % en dollars américains.
Que faut-il éviter ? L'économiste reste prudent à l'égard des ressources. «Ce qui m'inquiète, notamment, c'est l'incertitude politique qui règne en Alberta en matière de redevances énergétiques depuis l'élection du nouveau gouvernement néo-démocrate.» Il se dit cependant prêt à reconsidérer ce secteur à l'automne, d'où l'importance d'une encaisse substantielle prête à être déployée. «J'attends aussi de voir si le marché intègre pleinement la possibilité d'une hausse des taux d'intérêt aux États-Unis. Lorsque les marchés l'auront escomptée, une rotation de secteurs sera envisageable.»
Martin Roberge, stratège et analyste quantitatif chez Canaccord Genuity
Cibles des principaux indices à la fin de 2015
S&P/TSX : 15 000 points
S&P 500 : 2 250 points
Prix du baril de pétrole : 60 $ US
Or : 1 200-1 250 $ US/once.
Répartition de l'actif
Plus : les ressources, les banques américaines et les entreprises d'équipements médicaux.
Moins : les secteurs autres que celui des ressources à la Bourse de Toronto.
À surveiller : une correction possible du billet vert américain de 5 à 10 %. Sur un horizon à plus long terme, il croit aussi que le huard pourrait frôler les 0,70 $. «Pour résoudre le problème de la balance commerciale, le déficit au compte courant, il faut exporter davantage, et historiquement, cela passe par des prix plus bas et donc un dollar déprécié.»
Mise en garde : ce n'est pas parce que la Bourse canadienne a baissé qu'elle est nécessairement bon marché. Il faut privilégier les marchés mondiaux.
Martin Roberge est également moins optimiste à l'égard la Bourse canadienne qu'il ne l'était en début d'année. Il abaisse sa cible de 1 000 points (15 000). Il croit que la majorité des composantes du S&P/TSX ont profité de la déroute du secteur des ressources. Mais selon lui, leur croissance est aujourd'hui plafonnée. Il travaille plutôt avec l'hypothèse que le secteur des ressources récupérera les pertes des derniers mois. «La composante ressources, qui compte pour 20 % du marché, connaîtra une croissance de 30 %. Ce qui me donne un rendement espéré de 6 à 7 %.»
Il estime que la baisse de la valorisation des titres des ressources (énergie, mines et métaux) n'est pas justifiée. «Ce sont des creux historiques, c'est du jamais vu ! On n'a jamais payé si peu pour ces titres», s'étonne-t-il. En effet, il faut remonter à la crise de 2008-2009 pour retrouver de telles évaluations. Et à ce moment-là, le prix des ressources était encore plus bas, rappelle le stratège de Canaccord Genuity.
En ce qui concerne l'indice S&P 500, M. Roberge relève un peu sa cible (2 250). «Les bénéfices ont progressé légèrement, donc ma juste valeur marchande a aussi augmenté.» Il estime que la Bourse de New York devrait avoir un rendement espéré du même ordre que le S&P/TSX.
M. Roberge ne s'inquiète pas outre mesure des derniers développements en Chine et de la dévaluation du yuan. «S'il y a un changement, c'est légèrement positif, alors que l'assouplissement créé par la dépréciation devrait protéger ou stimuler la croissance chinoise, qui compte pour près de 30 % de la croissance économique mondiale», dit-il.
Conscient d'aller à contre-courant, le stratège rappelle le potentiel que recèle le secteur des ressources. Il cite notamment les entreprises intégrées canadiennes. «L'exportation du pétrole des sables bitumineux aux États-Unis est en forte hausse. On assiste à des volumes record.» Il aime aussi les sociétés aurifères. Il croit que le billet vert américain n'est pas à l'abri d'une correction de 5 à 10 %. «Cela va profiter au secteur des ressources, y compris les aurifères». Il évoque par ailleurs la corrélation historique existante entre le prix de l'or et une hausse de l'inflation. Finalement, il suggère le secteur des métaux, bien que ce dernier représente son pari le plus risqué des trois. «C'est trop facile à l'heure actuelle pour les spéculateurs. Mais la donne dans ce secteur pourrait être modifiée advenant un changement de sentiment lié au dollar américain», dit-il.
Du côté de la Bourse américaine, le stratège favorise les banques. «Leur productivité est incroyable. Le ratio des prêts divisés par le nombre des employés est à des taux inégalés.» Il privilégie aussi le secteur des technologies, dont celui des logiciels, un sous-secteur plus défensif. «Les titres de vieilles sociétés technologiques comme Microsoft, qui vient de lancer Windows 10, sont à mon avis sous-évalués.» M. Roberge aime particulièrement le secteur des équipements médicaux. «Il y a une demande très forte liée au vieillissement de la population, à l'accroissement de la classe moyenne dans les pays émergents et à la couverture d'assurance plus grande aux États-Unis dans la foulée de l'adoption de l'Obamacare», conclut-il.
Douglas J. Porter, économiste en chef à BMO groupe financier
Cibles des principaux indices à la fin de 2015
S&P/TSX : 15 600 points
S&P 500 : 2 250 points
Prix du baril de pétrole : 52 $ US
Or : 1 050 $ US/once.
Répartition de l'actif
Plus : le secteur financier et le secteur industriel.
Moins : le secteur des métaux, et dans une moindre mesure, celui de l'énergie.
À surveiller : le huard pourrait baisser davantage et avoisiner les 0,75 $. À plus long terme, il pourrait même frôler les 0,70 $. Les développements en Chine pourraient aussi avoir un impact.
Mise en garde : l'incertitude entourant le pétrole. Plusieurs questions demeurent sans réponse.
Le contexte économique reste toujours favorable aux actions américaines, selon Douglas J. Porter. Malgré les valorisations actuelles et étant donné la forte probabilité d'une hausse du taux d'intérêt par la Réserve fédérale américaine (Fed), l'économiste en chef de BMO Groupe financier prédit un rendement de 6 à 7 % pour la Bourse new-yorkaise (S&P 500) d'ici la fin de l'année. «Si elle a lieu comme nous l'envisageons, la hausse des taux d'intérêt par la Fed sera modeste et l'économie américaine devrait bien faire dans la deuxième moitié de 2 015.» Selon lui, les enjeux liés à la Chine, à la Grèce et à l'Iran, bien qu'ils soient de taille, n'auront pas un impact suffisamment important pour changer, de façon fondamentale, les perspectives de croissance du marché boursier en Amérique du Nord.
Ses prévisions en ce qui concerne le marché de Toronto sont à l'avenant, même s'il souligne que l'économie canadienne fait face à des défis différents. L'or noir et les ressources en général ont été une des causes principales de la performance mitigée du S&P/TSX. «Le mois de juillet a été particulièrement difficile pour la Bourse de Toronto. Nous prévoyons néanmoins une croissance de 6 à 7 % environ d'ici la fin de 2 015.» L'économiste en chef s'attend à ce que le prix du pétrole augmente au cours de la deuxième moitié d'année. «À ce stade-ci, une simple stabilisation des prix dans le secteur de l'énergie contribuerait à soutenir le marché.»
Côté placements au Canada, M. Porter privilégie les secteurs d'activité qui sont étroitement liés à l'économie américaine. Conscient qu'il «prêche pour sa paroisse», il favorise les titres de banques canadiennes. «Nous apprécions leur stabilité et leur constance.» Selon lui, le secteur industriel, dominé au Canada par les compagnies ferroviaires, devrait pouvoir tirer son épingle du jeu et profiter d'une économie plus vigoureuse au sud de la frontière. Entre autres secteurs, il voit du potentiel dans celui des télécommunications. «Ce secteur d'activité regroupe des entreprises de qualité qui ont tendance à bien performer dans un contexte de taux d'intérêt bas», souligne-t-il.
Même son de cloche pour les États-Unis en ce qui concerne l'attrait des financières, bien que les raisons divergent un peu de celles qui le motivent au Canada. «Nous croyons que le secteur financier va profiter d'une hausse progressive des taux d'intérêt par la Réserve fédérale.»
Comme pour le Canada, il se dit par ailleurs très encouragé par le secteur industriel et ses possibilités de croissance. Enfin, il aime bien le secteur des technologies de l'information. «Je crois que ce secteur pourra bien profiter de la reprise. Il connaît à l'heure actuelle une bonne erre d'aller et regroupe des entreprises de qualité.»
L'économiste en chef chez BMO Groupe financier demeure très prudent à l'égard des perspectives du secteur des métaux. En raison de ce qui se passe en Chine, de la force du dollar américain et de la croissance mondiale qui continue de décevoir, il croit que la conjoncture économique pose d'énormes défis pour ce secteur. Et ce, même s'il prévoit une légère hausse des prix du pétrole. «La prudence est de mise. Pour moi, il subsiste davantage de questions que de réponses en ce qui concerne le secteur de l'énergie.»
Et la Chine et à la dévaluation du yuan ? «Ça ne touche pas encore nos prévisions. Mais cela accentue les tendances déjà en place. C'est négatif pour le secteur des ressources et ça représente un frein à une hausse des taux d'intérêt.»
Luc Vallée, stratège en chef chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne
Cibles des principaux indices à la fin de 2015
S&P/TSX : 14 500 points
S&P 500 : 2 200 points
Prix du baril de pétrole : 58 à 60 $ US
Or : 1 100 $ US/once (prix moyen 1 150 $ US)
Répartition de l'actif
Plus : les financières, le secteur des technologies de l'information et de la consommation.
Moins : les secteurs de l'énergie et des métaux.
À surveiller : la reprise du marché chinois. «À l'heure actuelle, on construit moins et on consomme moins en Chine. Cela a des conséquences sur les surplus de pétrole et de matières premières, par exemple sur le fer.»
Mise en garde : volatilité du dollar canadien, qui pourrait fluctuer de façon importante.
«Nous laissons notre cible inchangée en ce qui concerne l'indice américain», affirme d'entrée de jeu Luc Vallée, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne. En revanche, devant les difficultés qu'éprouve l'économie canadienne, le stratège abaisse sa cible de la Bourse de Toronto. Il la fixe plus ou moins au seuil qu'elle a atteint ces derniers temps, soit 14 500 points. «C'est donc dire que nous prévoyons une croissance nulle.»
À titre de justification, il évoque notamment son pessimisme à l'égard de la question du pétrole. «La composante énergétique pèse beaucoup dans l'indice du S&P/TSX. Et on ne s'attend pas à ce que le prix du baril de pétrole augmente beaucoup à court terme.» Selon lui, les attentes de bénéfices des investisseurs sont démesurées. «On fait état d'une croissance de 100 % l'année prochaine pour les pétrolières au Canada. C'est exagéré», juge-t-il. «Peut-être que d'ici la fin de l'année, leurs attentes se seront ajustées à des bénéfices en baisse.» Mais pour l'heure, il constate que malgré les vents contraires, les investisseurs n'ont pas capitulé dans le cas de l'or noir. «Il y a une sorte de déni.»
Dans le contexte d'un huard fortement déprécié, les secteurs axés sur les exportations devraient bien performer. Le stratège de Valeurs mobilières Banque Laurentienne aime le secteur des technologies de l'information, qui devrait profiter à la fois de la faiblesse du dollar et de la vigueur de la croissance économique chez nos voisins du Sud. «Une entreprise comme CGI par exemple sera très concurrentielle quand elle soumissionnera des projets aux États-Unis.» Les banques canadiennes, qui ont subi une légère correction en cours d'année, devraient également bien performer, rattraper le terrain perdu, et surpasser l'indice, croit-il. Il favorise aussi les secteurs de la consommation discrétionnaire et de base, étant donné que les perspectives sont bonnes en ce qui a trait aux dépenses de consommation des ménages.
«Aux États-Unis, le nuage qui assombrissait le secteur financier depuis la crise de 2008 est en train de se dissiper», constate Luc Vallée, qui considère que les sociétés financières américaines sont sous-évaluées. C'est son secteur favori, et il explique que dans un contexte d'une hausse des taux d'intérêt, les marges des banques, et conséquemment leurs chiffres d'affaires, devraient s'améliorer. Il privilégie aussi le secteur industriel qui, selon les différents sous-secteurs, est «souvent moins exposé aux exportations.» Comme pour le Canada, il aime également les secteurs des technologies de l'information et celui de la consommation discrétionnaire, étant donné que «l'inertie du consommateur est peut-être chose du passé.» Il continue aussi à favoriser le secteur de la santé. Seul hic, les entreprises pharmaceutiques et de biotechnologies ont déjà très bien performé par le passé. Qu'à cela ne tienne, ce secteur d'activité recèle encore du potentiel aux yeux du stratège, mais fait figure de cinquième et dernière suggestion.
En ce qui concerne la dévaluation du yuan et ses conséquences, M. Vallée n'exclut pas une baisse de 10 % de la devise et croit qu'elle pourrait avoir certaines conséquences sur la position concurrentielle du Canada en matière d'exportations. Il précise cependant qu'il ne s'en inquiète pas outre mesure.