La rentabilité des exploitations acéricoles pourrait-elle augmenter à l'avenir ?
«Je pense que la valeur des érablières a des chances de grimper dans les prochaines années. L'eau d'érable est un produit naturel, dont on ne fait que commencer à découvrir plein de bonnes propriétés. La demande va augmenter, et l'offre est limitée», dit Alain Roy, exploitant d'une érablière, à Saint-Léon-de-Standon.
M. Roy est aussi directeur général de Pharmalab, un important laboratoire de produits naturels québécois. Il est arrivé dans l'industrie de l'érable par hasard, il y a trois ans, lorsque la propriétaire d'une érablière lui a offert de l'acheter. Il n'avait pas d'expertise, mais sa conjointe, Claude Dufour, en avait. Ingénieure forestière, elle s'est déjà occupée de la gestion d'un parc de 850 000 entailles aux États-Unis.
Les deux complices augmentent actuellement la production de leur érablière en signant des ententes avec d'autres propriétaires qui préfèrent leur vendre de l'eau d'érable plutôt que de produire du sirop (une autre forme d'exploitation). Sa confiance dans l'industrie a récemment gagné en force lorsqu'une entrepreneure lui a confié utiliser maintenant du sirop d'érable dans certains de ses produits naturels. «Ce n'est probablement que le début», lance-t-il.
Après des années d'évolution en dents de scie, le prix du sirop d'érable s'est nettement stabilisé dans les années 2000 et a connu une intéressante poussée à la fin de la décennie (voir graphique). À 2,87 $ la livre cette année, il se maintient à un haut niveau.
«On a eu un hiver très froid en 2008 et peu de neige ; la production n'a pas été bonne, ce qui a amené la réserve à zéro», raconte l'agronome Alain Boily, pour expliquer la poussée de la fin des années 2000.
Des contingents ont été ajoutés sur le marché, et la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (FPAQ) a commencé à lentement accumuler une réserve. Puis, l'an dernier, une saison record de production a permis de faire passer la réserve de 40 à 65 millions de livres. Un niveau jugé un peu élevé par quelques observateurs.
Pourtant, le prix du sirop s'est maintenu. C'est qu'il viendra un jour où une saison présentera de plus faibles volumes et que, pendant ce temps, le marché continue de bien se développer. Le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) rapporte que, pour une troisième année consécutive, les exportations ont augmenté de 4 % en 2013.
Fort potentiel d'exportation
Et la cadence des exportations pourrait bientôt s'accélérer.
Depuis plusieurs années, la FPAQ travaille au développement du marché. Elle effectue notamment de la recherche sur les propriétés nutritives de l'érable et fait de la promotion. En mai prochain, par exemple, auront lieu les Tours de l'érable, deux jours de randonnée à vélo dans Portneuf, où l'on en profitera pour offrir aux participants un menu gastronomique à l'érable et faire valoir ses apports.
La promotion porte ses fruits. Par exemple, le fabricant de produits sportifs Louis Garneau a récemment lancé un breuvage de performance à l'érable.
Annuellement, la Fédération injecte près de deux millions de dollars dans différentes initiatives, au Québec et à l'international. Longtemps, elle a développé le marché du Japon. Elle s'apprête maintenant à entrer en Inde et au Royaume-Uni. «En Inde, il semble y avoir beaucoup d'intérêt en raison d'une forte présence de diabète. Le sirop d'érable est moins nocif que le sucre. Au Royaume-Uni, il y a beaucoup d'intérêt pour les attributs sportifs, alors que l'eau d'érable est meilleure que le sucre», dit Geneviève Béland, responsable de la promotion à la Fédération.
D'autres initiatives semblent prometteuses. Après avoir mis en place une norme de certification (NAPSI) de la qualité de l'eau d'érable, l'organisme a commencé à vendre celle-ci à des transformateurs, qui l'amènent sur les tablettes des supermarchés. De 400 000 litres vendus, on est passé à 1 million de litres cette année (environ 5 M$). On croise les doigts. «Avec les années, le marché de l'eau de coco a pris une expansion inattendue. Il est de 350 M$ aux États-Unis», illustre Mme Béland.
La FPAQ attend en outre au début de l'été un rapport d'une firme de consultants concernant le potentiel d'appréciation de l'érable. L'étude devrait suggérer des moyens de développement du marché international.
Un scénario parfait ?
Pendant que semble se dessiner un scénario intéressant, côté exportations, les capacités de production sont géographiquement limitées, alors que le Québec pèse pour 70 % de la production mondiale de sirop. Une situation potentiellement porteuse pour les prix. Mais ce n'est qu'apparence.
Le directeur général adjoint de la FPAQ, Paul Rouillard, prévient que les efforts ne visent pas à faire exploser les prix. «On veut assurer le développement et la pérennité du produit. On peut demander 4 $ la livre, mais je ne pense pas que ça durera bien longtemps !» lance-t-il.
D'autant que cette capacité de production n'est peut-être pas aussi confinée que ne le laissent entrevoir les chiffres à première vue et que l'offre pourrait exploser.
Les Américains - près de 20 % de l'offre mondiale - commencent à pousser dans le dos des Québécois et augmentent leur production. Le dollar canadien est moins concurrentiel que naguère sur les marchés internationaux. Chaque année, les producteurs au sud de la frontière connaissent en outre le prix de vente du sirop au Québec (en raison de la convention de mise en marché) et peuvent ajuster leurs prix en conséquence. De 2011 à 2013, pendant que le nombre d'entailles demeurait stable au Québec, il augmentait de plus de 10 % aux États-Unis, selon Damien Chaput, agronome au MAPAQ.
Le risque du réchauffement planétaire
Or, le potentiel de production reste grand. Tandis que celui du Québec est évalué à près de 100 millions d'entailles (2,3 fois le nombre actuel de 43 M), celui de l'oncle Sam est évalué à près de 2 milliards d'entailles (nettement plus que les 10,5 M actuelles !).
Les Américains pourraient cependant se buter à un obstacle important, à long terme : le réchauffement planétaire. Des experts prédisent que des printemps plus courts auront sans doute pour effet de réduire là-bas les saisons et les volumes de production. Et de rendre l'activité financièrement moins attrayante. D'autant que, comme on l'a vu, le rendement de nouvelles exploitations n'est pas explosif aux prix actuels.
Ce qui pourrait vouloir dire qu'effectivement, malgré les soubresauts de bonnes et moins bonnes saisons, le prix du sirop d'érable est engagé sur une tendance haussière à long terme.