Robert Chevrier est de retour chez Uni-Sélect après un intermède de 22 ans. La dernière fois qu’il y a travaillé, c’était à titre de pdg (1983-1990). Depuis le 8 mai dernier, Robert Chevrier dirige le CA du distributeur de pièces automobiles Uni-Sélect.
Pourquoi ce retour?
Cherchez la femme… sa femme! C’est l’épouse de Robert Chevrier, l’avocate Jeanne Wojas, qui lui demandé de reprendre du service. Mme Wojas - qui a travaillé au cabinet McCarthy Tétrault avant d’entreprendre une carrière d’administratrice - siège au conseil d’Uni-Sélect depuis 1997. Ou plutôt, elle y siégeait et présidait le comité de régie d’entreprise. C’est à sa demande, appuyée par les autres administrateurs d’Uni-Sélect, que Robert Chevrier a accepté de diriger le CA pour une période deux ans.
Je me suis entretenue avec Robert Chevrier à sa sortie de l’assemblée annuelle de Cascades, dont il est l’un des administrateurs.
Pourquoi ce retour dans un poste exigeant, vous sembliez plutôt sur le chemin de la retraite?
J’y suis toujours. J’ai 68 ans, cinq petits-enfants entre 10 et 16 ans, il faut laisser la place. Il manque de monde “actif” sur les CA. Il y a trop “d’ex”. Les CA ont besoin d’administrateurs qui vivent les situations d’affaires sur lesquelles ils se prononcent. Le 20 mars dernier, j’ai quitté le CA de la BMO après 12 ans. C’est Éric La Flèche, le pdg de Metro, qui m’a remplacé. C’est logique. Une banque c’est une “business” de distribution et Metro aussi.
Chez BMO, j’ai siégé 12 ans au comité de vérif, c’est long! Il me reste deux ans au conseil de Cascades et de Quincaillerie Richelieu, qui pratiquent tous deux la règle du 70 ans. Il me restera le CA de CGI.
Uni-Sélect, c’est un cas spécial. Le président du conseil, Jean-Louis Dulac (77 ans) était en poste depuis 1990. Un successeur avait été identifié, parmi les administrateurs, pour lui succéder à l’assemblée du 8 mai : l’Américain Joseph P. Felicelli. Mais, il s’est désisté à la dernière minute, victime de pressions d’un de nos concurrents. Joe est fournisseur. Uni-Sélect l’avait recruté pour ses connaissances de l’industrie. Évidemment, à titre de fournisseur, il traite avec nos concurrents. L’un d’eux, Napa Auto Parts, a très très mal réagi en apprenant que Joe allait diriger notre conseil. Résultat : Joe a dû démissionner.
Je viens donc à la rescousse.
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J’en ai deux. D’abord, rebâtir le conseil. Jeanne est partie, Joe est parti et trois autres membres quitteront dans un an. Il faut que je recrute au moins un Américain, sinon deux. Les trois-quarts de nos revenus proviennent désormais des États-Unis. Il me faut aussi un ou une spécialiste de la régie d’entreprise pour remplacer Jeanne. Même si on n’aime pas ça, ça en prend un autour de la table!
J’arrive au moment où l’on amorce un plan stratégique de trois ans. Je vais appuyer le pdg pour le déploiement. Nos concurrents américains sont féroces. Ils pénètrent de plus en plus les niches que nous nous étions taillées. Autozone , par exemple, visait surtout le marché des clients “do-it-yourself”. Elle s’attaque maintenant au marché commercial. Elle s’est rapprochée des Goodyear, Firestone, Walmart, et autres. Il va falloir compter sur nos acquisitions américaines (Finish Master, distributeur de fini automobile et accessoires connexes) pour répliquer.
Y aura-t-il des décisions difficiles?
Nos concurrents sont féroces et les temps sont durs. Il n’y a qu’une chose qui compte : le coût. Il faut rationaliser nos activités. Nous avons peut-être trop d'entrepôts. Et puis, nous implantons un système ERP (Enterprise resource planning) qui intègre des fonctions administratives aussi bien que de gestion des stocks et des comptes-clients. C’est un très gros projet et nous entamons une étape cruciale.
Que pense le pdg d’Uni-Sélect, Richard G. Roy, d’avoir comme président du conseil un ex dirigeant de l’entreprise ?
Il me connaît. Il sait à quoi s’attendre. Je suis un homme d’action, je suis franc et je tiens à mon indépendance. Je ne dis pas que c’est le bon style, mais c’est le mien. Et je ne changerai pas à mon âge!
Vous êtes un administrateur respecté. Que se passe-t-il donc dans les salles des conseils? Pourquoi tous ces dérapages?Vous voulez rire ! Je vais vous faire un parallèle. Parlons du secteur de la construction. Même un “ti-cul” comme moi sait que la mafia s’en est emparée depuis longtemps. Et pas seulement au Québec, à la grandeur de la planète. Bonne chance pour le réformer!
La gouvernance, c’est la même chose. Il n’y a pas plus de dérapages qu’avant, simplement moins de secrets. Autrefois, le pdg prenait sa secrétaire comme maîtresse et lui payait un appartement et une voiture avec l’argent de la compagnie. C’était connu, c’était lui le “boss”. Quand au recours au jet de l’entreprise pour usage personnel, il y a à peine dix ans que c’est comptabilisé et encadré. Je pense que ce qui a augmenté ce ne sont pas les dérapages des administrateurs, c’est leur découverte.
Doit-on croire un administrateur lorsqu’il affirme qu’il “ne savait pas”?
Oui. Un pdg peut nous berner n’importe quand. Je siège au conseil de la société française Saint-Gobain. Nous avons une amende d'un million d’euros pour fixation des prix. Pensez-vous que moi, Robert Chevrier, j’étais au courant ? N’importe quel administrateur peut se faire avoir. Nous ne contrôlons à peu près rien. Notre seul pouvoir consiste à nous assurer que de bons mécanismes de contrôle sont en place.
Est-ce normal d’accorder une prime à un pdg que l’on congédie ?
Normal, non. On le fait pour des raisons légales. Refuser d’accorder une prime équivaut à reconnaître qu’il y a une cause, que le pdg est coupable de quelque chose. Il faut des preuves. Le fardeau repose sur les épaules de l’entreprise. Alors, on accorde la prime, quitte à la reprendre plus tard si le pdg est condamné.