Après avoir bâti un empire de la restauration rapide de 2 590 établissements, Stanley Ma, 67 ans, a encore de l'appétit pour doubler à 2 milliards de dollars le chiffre d'affaires de Groupe d'alimentation MTY (Tor., MTY, 33,25 $) d'ici cinq ans.
«Il a fallu 30 ans pour s'approcher du milliard. La barre est donc haute d'ajouter un autre milliard en cinq ans, mais il faut se donner des objectifs dans la vie», dit-il avec sa simplicité désarmante, dans une entrevue accordée au siège social de l'arrondissement Saint-Laurent.
L'homme d'affaires originaire de Hong Kong renchérit rapidement en ajoutant que l'objectif essentiel est «de faire de l'argent au bénéfice de tous les actionnaires».
La barre est d'autant plus haute que l'industrie de la restauration a beaucoup changé depuis 30 ans et pose de nouveaux défis, reconnaît l'entrepreneur.
«La concurrence est féroce. Le niveau de créativité ne cesse d'augmenter. Et les consommateurs sont plus informés et plus exigeants que jamais en ce qui concerne les aliments.»
Le contexte économique préoccupant, surtout au Québec et en Ontario où MTY compte 70 % de ses restaurants, tout comme l'hiver le plus froid en 25 ans, ajoutent aux difficultés.
Les ventes de ses restaurants ouverts depuis plus d'un an, une mesure clé de la croissance interne dans l'industrie du commerce de détail, reculent depuis huit trimestres. Au deuxième trimestre clos le 31 mai, ces ventes ont diminué de 2 %, la pire performance depuis la chute de 4 % au premier trimestre de 2013.
Le chiffre d'affaires des établissements comparables a crû dans seulement 7 des 26 enseignes de MTY au premier semestre de 2014.
L'offre de 12,5 G$ de Burger King pour Tim Hortons a fait rebondir l'action de MTY récemment. Avant cette remontée, le titre avait connu un rare passage à vide, après une appréciation fulgurante qui a vu l'action exploser de 0,30 $ en janvier 2003 à un record de 35 $, en octobre 2013, pour un gain de 11 524 %.
Chaque détail compte
Avec sa discrétion habituelle, M. Ma assure que son entreprise a les ressources financières et l'équipe de gestion qu'il faut pour atteindre son nouvel objectif et rétablir la croissance des ventes des restaurants ouverts depuis plus d'un an.
«L'entreprise a bien changé. Aujourd'hui, 20 chefs de marque se rapportent à moi. Nous n'avons pas de réunions formelles, mais ma porte est toujours ouverte quand vient le moment de régler un problème rapidement», confie-t-il.
Fils de commerçants prospères de Hong Kong, Stanley Ma est arrivé au Canada à l'âge de 18 ans. Il a ouvert son premier comptoir Tiki-Ming en 1983, au Centre Rockland, à l'âge de 30 ans.
Maintenant obligé de déléguer les détails de la gestion quotidienne avec la multiplication des concepts, M. Ma se consacre surtout à la stratégie, aux acquisitions et à l'expansion internationale. Il tient toutefois à signer encore tous les chèques des baux et tous les contrats de franchisés, pour garder le doigt sur le pouls de ses restaurants et cultiver ses liens avec les promoteurs immobiliers.
Il travaille autant qu'avant et visite les restaurants quotidiennement, même les fins de semaine, précise Éric Lefebvre, 37 ans, le vice-président finance de MTY, qui fait le pont avec les investisseurs depuis cinq ans.
Même si MTY a beaucoup grossi et caresse de grandes ambitions, M. Ma n'a pas perdu ses vieux réflexes : le contrôle diligent des coûts.
Lorsque MTY s'est offert des locaux plus adéquats dans le parc industriel de Saint-Laurent il y a deux ans, M. Ma a fait réduire la taille de son bureau de moitié parce qu'il jugeait que c'était un gaspillage d'espace. Gilles Pépin, le dirigeant embauché pour piloter les restaurants de la chaîne Madisons, occupe l'espace libéré.
M. Ma a toutefois conservé son Resolute Desk, une réplique du meuble sculpté qui orne le bureau ovale de la Maison-Blanche.
«Ça illustre tellement bien sa personnalité. Chaque détail compte, et c'est la somme de ces petits détails qui créent de grandes choses», raconte M. Lefebvre.
M. Ma est aussi l'un des dirigeants les moins chèrement payés du Québec inc. En 2013, avec une rémunération de 430 800 $, Le franchiseur s'est hissé en tête des dirigeants les plus efficaces dans le classement du journal Les Affaires qui mesure la rémunération en fonction de la valeur générée par l'entreprise.
Relancer Mr. Sub et Country Style
MTY met les bouchées doubles pour stimuler les ventes, car la clé du succès pour tout franchiseur est de s'assurer que les franchisés fassent de bonnes affaires pour qu'ils restent dans le réseau. L'entreprise récolte entre autres des redevances de 4 % à 6 % de leurs ventes brutes.
«J'ai dit à l'équipe, "cessons de blâmer la conjoncture et la météo, faisons ce que nous avons à faire pour redresser la situation"», explique M. Ma.
Les concepts de Mr. Sub et de la chaîne ontarienne Country Style seront revus afin de raviver les ventes. Ces deux enseignes représentent tout de même 28 % des restaurants de MTY.
En quête d'un regard neuf et d'idées fraîches, MTY a fait appel cette fois au consultant Culinary Edge, de San Francisco, pour remanier le concept et rafraîchir le menu de Mr. Sub.
Le plan encore secret est prêt et il sera offert aux 319 franchisés, qui devront investir pour rénover leurs établissements.
Le déploiement dépendra de la capacité financière des franchisés et du rythme de renouvellement des contrats de franchise.
Afin d'inciter les consommateurs à revenir chez Mr. Sub, une nouvelle campagne publicitaire mettra cette fois l'accent sur les promotions et comprendra un publipostage de coupons de réduction.
Déjà, l'amélioration du service à la clientèle, des recettes peaufinées, l'introduction de sous-marins au pain plat et des spéciaux du jour et de la semaine, instaurés par la nouvelle équipe de direction, ont stabilisé les ventes en juillet.
Avec Culinary Edge, MTY élabore aussi un plan de revitalisation pour la chaîne de sandwiches et de cafés Country Style, prévu en 2015.
Les ventes comparables des 425 Country Style ne croissent plus depuis presque trois ans en raison de la concurrence acharnée que lui livrent McDonald's et Tim Hortons, et de la popularité des machines à café de Keurig et de Nespresso.
Continuer à saisir les occasions
Leon Aghazarian, de la Financière Banque Nationale, est convaincu que MTY met tout en oeuvre pour que ses ventes comparables croissent de nouveau, mais craint que le contexte ne lui rende la tâche difficile.
Sa croissance repose donc sur les acquisitions, et M. Ma est un fin négociateur, confirme Éric Lefebvre. Le dirigeant de MTY, qui a piloté 24 acquisitions en 15 ans, se fait constamment offrir des occasions. Les plus récentes sont la chaîne des 14 restaurants Madisons New York Grill & Bar, reconnue pour ses steaks et ses côtes levées, ainsi que les chaînes Café Dépôt, Fabrika, Sushi Man et Muffin Plus, appartenant à la famille Elisii.
Les deux transactions totalisent 28 millions de dollars et ajoutent 116 établissements et des revenus de 82 M$ au réseau de MTY. «Ça prouve qu'il y a encore de la place pour grossir de façon rentable au Canada», indique M. Ma.
Madisons représente une première percée dans la restauration décontractée. MTY a donc recruté le consultant Gilles Pépin, qui aura 10 % des parts de cette division et la dirigera.
Ce dernier a notamment travaillé au Groupe Restaurants Imvescor, de Moncton, qui exploite les chaînes concurrentes Mikes, Scores, Bâton Rouge et Resto Végo.
«C'est une évolution naturelle pour nous et nous apprendrons à connaître ce créneau avec un bon partenaire. Madisons ne représente que 4 % de nos revenus. D'ici quelques mois, j'aurai une meilleure idée de son potentiel», dit M. Ma.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. La restauration dite décontractée croît de 4 % à 5 % par an, ce qui est nettement supérieur à la croissance de 1 % à 2 % de la restauration rapide.
«Des promotions du type 2 repas pour 22 $ indiquent que ces restaurants rivalisent de plus en plus avec la restauration rapide», dit-il.
Les côtes levées de Madisons pourraient aussi faire leur entrée dans les comptoirs des épiceries en concurrence avec celles qu'offrent déjà les chaînes rivales Bâton Rouge et Cage aux Sports.
Exploiter le potentiel américain sans y laisser sa chemise
Le potentiel de MTY d'ici cinq ans réside surtout dans une incursion aux États-Unis, un marché que Stanley Ma convoite depuis des années.
La marche est haute là aussi, avec McDonald's qui offre souvent ses cafés gratuitement et Taco Bell qui lance un menu à 1 $ US, reconnaît le dirigeant de MTY.
«C'est sûr que, pour atteindre des ventes de 2 G$, il nous faudra acquérir quelque chose de taille là-bas, idéalement un franchiseur comptant sur une équipe de direction locale forte», explique-t-il.
Le marché américain paraît aussi vaste qu'impitoyable, mais le restaurateur d'expérience estime que les standards de la restauration rapide au Canada sont supérieurs à ceux qui prévalent aux États-Unis, en particulier dans les kiosques alimentaires.
M. Ma vise un franchiseur oeuvrant dans une niche précise et qui n'a pas encore attiré l'attention des fonds d'investissement privés.
Fidèle à son approche prudente, M. Ma procède méthodiquement. L'acquisition l'année dernière de la torontoise Extreme Brandz, pour 45 M$, lui a donné 40 franchises Extreme Pita, Mucho Burrito et PurBlendz, installées principalement en Arizona.
Pour l'instant, un chef de marque d'Extreme Brandz travaillant à Scottsdale continue de repérer des locaux pour établir des franchises de ses trois enseignes.
Au cours des prochains mois, MTY implantera son enseigne Thaï Express aux États-Unis. Les documents de divulgation et les contrats de franchise sont maintenant prêts. Le franchiseur doit agir rapidement pour protéger sa marque de commerce déposée.
«C'est un créneau de la restauration rapide peu exploité et qui devrait être bien accueilli», croit le fondateur de Groupe MTY.
Le concept de Sushi Shop suivra peu après, mais sous un autre nom, car cette marque de commerce existe déjà aux États-Unis.
Si Extreme Brandz ouvre un restaurant Thaï Express ici et là, les dirigeants de Saint-Laurent se déplaceront pour veiller au grain.
Par contre, si le déploiement prenait plus d'ampleur, un ou deux employés de MTY y déménageraient pour superviser la bonne marche de l'exploitation de Thaï Express et de Sushi Shop au sud de la frontière.
Les dirigeants de MTY s'attendent à adapter les franchises et les menus en fonction des goûts locaux. Par exemple, les Américains mangent plus gras, mais moins sucré et salé que les Canadiens.
«Les États-Unis leur offrent une autre occasion de croître, d'autant que le marché canadien a ses limites. La recette d'acquisitions de MTY est bien rodée. M. Ma restera discipliné», prévoit Marc Lecavalier, gestionnaire de portefeuille chez Fiera Capital, qui aime comparer MTY à Alimentation Couche-Tard à ses débuts.
Deux autres défis dans son assiette
Derrière le sourire timide de M. Ma se cache un homme d'affaires coriace. Cet acharnement qu'il a transmis à ses plus proches collaborateurs servira aux deux autres défis que MTY a dans son assiette.
Le lancement il y a un an des plats prêts à manger Thaï Express dans les épiceries ne donne pas encore les résultats prévus.
Même si ces plats représentent seulement 1 % de ses revenus, MTY compte bien en faire un succès pour exploiter la notoriété de ses marques et mieux utiliser son usine près de Québec, qui fonctionne à 25 % de sa capacité.
Thaï Express compte sur le savoir-faire de Produits alimentaires Berthelet, de Laval, pour la mise au point des produits surgelés et leur commercialisation auprès des épiciers. Berthelet verse des redevances à MTY sur les ventes.
Pour l'instant, Thaï Express offre les cinq plats les plus populaires de ses restaurants chez Metro, Super C et IGA. Les plats de Thaïzone (dont MTY a acquis les 28 franchises en 2013) sont vendus dans les marchés IGA. Les Pita Chips d'Extreme Brandz se trouvent aussi dans plusieurs magasins Costco au Canada.
La dernière offensive de MTY pour mousser ses marques : le lancement de trois soupes fraîches Thaï Express dans les comptoirs de mets prêts à manger chez IGA. La campagne inclut une mention dans la circulaire titrée «Une rentrée futée», un prix d'introduction de 6,49 $ et une promotion Air Miles.
Une usine à redresser
Précisons que MTY confectionne les plats Thaï Express à l'usine de transformation de Saint-Romuald, où sont aussi produits des sauces et d'autres plats surgelés pour ses propres restaurants et d'autres chaînes.
Après avoir été incapable de vendre l'usine de 60 000 pieds carrés, MTY en a repris le plein contrôle il y a quelques semaines, en haussant son actionnariat de 51 % à 91 %. MTY a racheté la part appartenant à Aliments Flavio. Elle tentera de la redresser.
La confiance règne parmi les financiers
Les nouveaux défis de croissance de Groupe d'alimentation MTY n'ébranlent pas du tout la confiance des financiers à l'égard de la société, qui les a tant enrichis.
Ils se fient au jugement de Stanley Ma et le laissent, avec son équipe, gérer les activités quotidiennes de l'entreprise, tenter de percer de nouveaux marchés et saisir des occasions d'achat.
«Après avoir triplé de taille, il est tout à fait naturel que de petits problèmes se multiplient. Connaissant sa rigueur et son mode de fonctionnement, M. Ma relèvera ces défis comme les autres», affirme François Rochon, président de Giverny Capital, un actionnaire de MTY depuis sept ans.
Il faut dire que les fondations de la société sont solides, grâce aux importants flux de trésorerie que procurent les redevances de franchise.
La société est aussi très rentable, avec une marge d'exploitation de franchisage de 50 % et un bilan affichant un faible endettement. Cela lui donne toutes les ressources financières voulues pour mener tous ses projets de front.
Pour certains, tels que Marc Lecavalier, gestionnaire de fonds chez Fiera Capital, le contexte difficile que connaît l'industrie de la restauration est une source d'occasions pour MTY.
«On sait que les exploitants les plus robustes sortent gagnants en raflant des parts de marché grâce à leur important pouvoir d'achat», explique cet important actionnaire de MTY.
Toute entreprise dans une poussée de croissance connaît des soubresauts. Et M. Ma s'est bâti une réputation d'exploitant redoutable.
En 31 ans, seulement deux enseignes ont fermé, les cafés Caférama et les restaurants de poulet frit Chick'n'Chick.
Pas de grandes inquiétudes
Jeff Mo, gestionnaire de fonds chez Mawer Investment Management, surveille la baisse des ventes comparables, ainsi que l'augmentation des comptes clients et des mauvaises créances. Cela ne l'inquiète pas pour l'instant, car les plus importants repères de rendement à ses yeux sont les marges, les flux de trésorerie et un plus grand nombre de nouvelles franchises que de fermetures, abstraction faite des acquisitions.
Or, ces trois indicateurs suivent encore «une tendance normale, dit-il. J'aime bien que les dirigeants ne soient jamais pleinement satisfaits. C'est un signe de bonne gestion.»
«Nos meilleurs placements sont de bons exploitants, ayant à la fois une bonne stratégie, une approche disciplinée et un accès au capital. MTY répond encore à tous ces critères, mais il est possible que son action ait atteint un petit plateau en Bourse avant de s'apprécier à nouveau», explique M. Lecavalier.
Deux analystes sur cinq recommandent de conserver le titre de MTY, qui affiche un ratio de 23,3 fois le bénéfice prévu en 2014.
Deux d'entre eux ont des cours cibles de 37 $ à 39 $, porteurs d'un gain potentiel de 10 % à 16 %.