Vous cherchez le lien entre la rémunération des dirigeants des plus grandes sociétés québécoises cotées en Bourse et la création de valeur pour les actionnaires ? Ne cherchez plus : il n'y en a pas. C'est la conclusion qu'on peut tirer d'un palmarès exclusif effectué par Les Affaires en collaboration avec les firmes Inovestor et Gestion de portefeuille stratégique Medici.
Notre palmarès mesure le rapport entre la rémunération des dirigeants des 50 plus grandes capitalisations boursières québécoises et la performance économique de ces entreprises au cours des quatre dernières années.
En moyenne, les pdg québécois ont obtenu une rémunération de 3,9 M$ en 2013. C'est 90 fois le salaire moyen des Québécois, selon les plus récentes données sur le salaire hebdomadaire de Statistique Canada. Les dirigeants ont ainsi vu leur rémunération bondir de 8,1 % en un an et de 34,8 % depuis 2010.
Si le travail des dirigeants est d'enrichir les actionnaires, on peut douter qu'il soit pertinent de payer autant les pdg des sociétés, selon les résultats de notre palmarès. La corrélation entre la rémunération et la création de valeur depuis les quatre dernières années est de 0,28. Une corrélation de 1 signifierait que ces deux éléments seraient parfaitement liés.
À 0,28, le lien est «très faible», constate Carl Simard, président et gestionnaire de portefeuille de Medici, qui a développé le modèle d'évaluation de la performance des dirigeants à l'aide des données fournies par la firme Inovestor et son logiciel StockGuide.
De bons rapports qualité-prix
Certains pdg affichent tout de même un rapport qualité-prix bien supérieur à la moyenne. Souvent cité comme un gestionnaire rentable pour les actionnaires, Stanley Ma, le président et fondateur du franchiseur montréalais Groupe MTY, est dans une classe à part. L'entrepreneur coûte 6 219 $ pour chaque point de pourcentage de performance de notre indicateur. C'est trois fois moins qu'Yves Des Groseillers, de Groupe BMTC, au deuxième rang à 19 163 $. La médiane est de 70 785 $.
À l'exception d'une allocation pour sa voiture, M. Ma reçoit uniquement un salaire fixe sans prime, ni options d'achat. En 2013, il a obtenu une rémunération de 430 800 $. C'est loin de la rémunération médiane de 3,3 M$ des dirigeants qui figurent au palmarès.
Carl Simard constate que les sociétés qui trônent au sommet du classement sont généralement de petites sociétés dans lesquelles son dirigeant détient une importante participation, comme c'est le cas de Groupe MTY. Dans ces cas, l'intérêt des actionnaires et du dirigeant semblent mieux aligné, selon M. Simard.
D'une année à l'autre, la variation des primes fausse parfois le portrait. C'est ce qu'on constate en évaluant la performance de Brian McManus, de Stella-Jones, qui est au troisième rang. Le résultat aurait été bien différent en 2012 si on avait tenu compte de la rémunération sous forme d'actions d'une valeur de 8 M$. Le dirigeant n'a pas reçu de telle prime en 2013, ce qui fait en sorte que sa rémunération totale est de 1,4 M$ par rapport à 9,2 M$ l'an dernier.
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Mauvais rapport qualité-prix
Certains dirigeants coûtent cher sans que les actionnaires en retirent des bénéfices. L'un des cas les plus décriés en 2013 est la rémunération de l'ancien pdg de Yellow Média, Marc Tellier. Le gestionnaire est parti à la suite d'une restructuration douloureuse pour les actionnaires en touchant une indemnité de départ de 4,3 M$. Sa rémunération totale a été de 5,4 M$. «C'est indécent», dénonce Carl Simard.
Pierre Laurin, de ProMetic, est au dernier rang. Chaque point de pourcentage de performance coûte 929 809 $ aux actionnaires. À 1,8 M$, sa rémunération totale représente 8,7 % des revenus de la petite société pharmaceutique de Laval, qui n'est pas encore rentable. La question que devront se poser les actionnaires est de savoir si l'exécution du plan stratégique de la société se traduira par une hausse satisfaisante du titre. En moyenne, les trois analystes interrogés par Bloomberg croient que l'action pourrait s'apprécier de 166 % d'ici un an, mais les petites sociétés représentent un pari plus risqué.
Robert Sawyer, arrivé à la tête de Rona en avril 2013, se trouve également en queue de peloton. Recruté chez l'épicier Metro, M. Sawyer est désavantagé parce qu'il est évalué par rapport à la performance du détaillant, avant qu'il n'entre en fonction. Son contrat d'embauche stipule que sa prime de rendement pour 2013 est assurée à 100 %. De plus, la société a aussi attribué des actions de 4,4 M$ à son nouveau dirigeant pour qu'il se conforme à la politique d'actionnariat.
À 6,6 M$, sa rémunération totale équivaut à près du double de la médiane.
Embaucher à l'externe est coûteux, comme l'illustre le cas de M. Sawyer. Le recruteur doit se montrer plus attrayant que l'ancien employeur. «Cela peut faire réfléchir sur l'importance de préparer des plans de succession à l'interne», suggère Claude Boulanger, chef de secteur, rémunération des cadres supérieurs chez Towers Watson.
Trop cher ?
Dans l'ensemble, Carl Simard pense que les dirigeants reçoivent des salaires excessifs, sans que cela ne soit nécessairement attribuable à leur travail. Il dénonce les comités de rémunération des conseils d'administration qui recourent généralement aux consultants en rémunération. «Peu importe la création de richesse que tu fais dans ta compagnie, il n'y a pas vraiment de différence d'une entreprise à l'autre, déplore-t-il. On assiste à une escalade des salaires entre les sociétés. Dans la plupart des entreprises, les programmes de rémunération sont dessinés de la même façon par les consultants.»
Michel Magnan, professeur de l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia, est d'avis, lui aussi, que le «jeu des comparaisons» fait en sorte que la rémunération des dirigeants n'est pas alignée sur les objectifs stratégiques des entreprises. «Si une société adopte un nouvel avantage, celui-ci se répandra puisqu'il fera maintenant partie du groupe de comparaison, constate-t-il. Ce nouveau régime n'est pas nécessairement efficace pour autant. C'est rassurant pour les administrateurs de pouvoir dire aux actionnaires qu'ils font comme les autres, même si ce n'est pas nécessairement plus efficace.»
La croissance rapide des salaires des dirigeants peut être interprétée comme une bonne nouvelle pour la santé des sociétés du Québec inc. D'ailleurs, l'indice boursier Québec de Morningstar et la Banque Nationale a gagné 31 % en 2013. «Une importante part de la rémunération est liée à la performance des entreprises, et celles-ci ont bien performé», explique Claude Boulanger, de Towers Watson.
Michel Magnan invite cependant à la prudence lorsqu'on critique un seul dirigeant pour la mauvaise performance de toute une entreprise. «Les problèmes de Yellow Média sont-ils vraiment tous imputables à Marc Tellier ? questionne M. Magnan. En ayant ce raisonnement, on amplifie la gloire des dirigeants. En faisant reposer sur leur seule personne le mérite de toute une organisation, on alimente ainsi la logique qui sous-tend la forte croissance des salaires des pdg.»
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