Toujours à des niveaux historiquement bas, le taux de l'emprunt à 10 ans américain n'en a pas moins fortement progressé ces dernières semaines, le marché intégrant petit à petit une réduction de son principal soutien: la politique monétaire de la banque centrale américaine.
Selon René Defossez, stratégiste obligataire chez Natixis, « le nouveau discours de la Fed (Réserve fédérale américaine) prépare le marché à une sortie progressive de sa politique monétaire extrêmement accommodante ».
Le débat sur une diminution des rachats d'actifs tels que des titres de dette américaine est ouvertement posé au sein de l'institution, sans que le calendrier ne fasse pour autant l'unanimité.
C'est ce qui est ressorti du compte-rendu de la dernière réunion de la Fed, ainsi que du discours de son président Ben Bernanke devant le Congrès américain la semaine dernière.
Actuellement, la Fed injecte chaque mois 85 milliards de dollars dans le système financier, ce qui a notamment permis de maintenir les taux à 10 ans à des niveaux très bas. Ce soutien a incité les investisseurs à se tourner vers des actifs plus risqués - donc plus rentables - comme les actions.
Dopés aux politiques de soutien à l'économie des banques centrales à travers le monde, les marchés boursiers volent d'ailleurs de record en record depuis plusieurs semaines, notamment aux États-Unis.
Mais avec le changement de ton de la banque centrale américaine, les marchés anticipent déjà une sortie de cet acheteur de poids, estimant que le potentiel de baisse du prix des actifs obligataires est « considérable », explique M. Defossez.
Les investisseurs se mettent donc à vendre, ce qui, mécaniquement, fait remonter le taux, puisqu'il évolue à l'inverse du prix. Il s'établit désormais autour de 2,1%, alors qu'il se situait encore aux alentours de 1,6% au début du mois.
Au-delà de l'anticipation d'un changement dans la politique de la Fed, ce mouvement s'explique également par un regain de confiance dans l'amélioration de la conjoncture économique dans le pays.
D'ailleurs, le mouvement de hausse des taux « s'est déclenché à la publication du dernier rapport mensuel sur l'emploi » début mai, qui a apporté son lot de bonnes surprises, affirme Axel Botte, stratégiste obligataire chez Natixis AM.
Les investisseurs ont le sentiment qu'ils peuvent « sortir des valeurs dites refuges pour aller vers les actions », plus porteuses de risque, soutient M. Defossez.
Ils seront d'ailleurs particulièrement attentifs au rapport sur l'emploi américain pour le mois de mai publié la semaine prochaine: un marqueur essentiel de la reprise dans le pays, largement pris en compte par la Fed pour élaborer sa politique.
Si les chiffres sont bons, « le marché va extrapoler » et les titres américains vont « souffrir », souligne M. Defossez.
Mais jusqu'où les taux peuvent-ils monter? Selon la plupart des stratégistes, un « krach » n'est pas à redouter. Les marchés ont en effet le souvenir de 1994 où les taux s'étaient envolés.
L'un des objectifs de la Fed est d'ailleurs « de tout faire pour éviter cela, en préparant les marchés et en prenant des mesures très progressives », souligne Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC.
« En 2013, la Fed fait son maximum pour piloter les anticipations » des marchés, abonde Bruno Cavalier, économiste chez Oddo Securities. « Qu'elle y réussisse est une autre question mais d'évidence il y a peu à craindre d'un revirement brutal et imminent de la politique monétaire », affirme-t-il dans une note.
Selon M. Mourier, « les taux étaient trop bas » et vont retrouver des niveaux « plus cohérents avec les fondamentaux de l'économie ».
Pour M. Botte, la valeur d'équilibre du taux à 10 ans se situe d'ailleurs autour de 2,30%. En d'autres termes, il reste sous-évalué pour le moment et dispose donc encore d'une marge de progression.