Les gestionnaires de fortunes ne se limitent plus aux conseils financiers. Ils agissent comme de véritables valets pour leurs clients.
Vous faites une crise cardiaque. Téléphoneriez-vous à votre conseiller financier pour qu'il vous vienne en aide ? Pourtant, c'est le type d'appel qu'a reçu Claudette Jeannotte, vice-présidente de Desjardins Gestion privée.
«Notre client avait eu un malaise dans son condo à l'étranger», raconte celle qui dirige la division de la coopérative financière gérant les avoirs des clients détenant plus d'un million de dollars à investir. «Il n'était pas à l'aise avec la langue locale, ajoute-t-elle. Nous avons fait le nécessaire pour qu'il soit amené à l'hôpital et qu'il soit accompagné d'un interprète.»
Pour leurs clients millionnaires, les gestionnaires de fortune privée montréalais font bien plus que de la gestion de portefeuille et de la planification financière. Ils s'occupent de régler leurs soucis, les petits comme les gros. C'est ce qu'on appelle les services de conciergerie.
Ceux-ci englobent, entre autres, le paiement de factures, la planification d'itinéraire de voyage, l'organisation d'événements ou la recherche de spécialistes comme une nounou ou un entraîneur personnel. Leur étendue n'a pour limite que les besoins des clients.
Mark Auger, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Desjardins Gestion privée, se souvient encore du «coup de main» qu'il a donné à l'un de ses clients partis à l'aventure en Australie sur un coup de tête. Son expédition de deux semaines a duré... six mois. «Il nous a demandé de l'aide pour acheter un véhicule récréatif en Australie. Il a fallu s'occuper de tout : la conversion des devises, l'acheminement des documents et l'achat des assurances nécessaires», énumère celui qui s'occupe de la banque familiale (plus connue sous l'appellation anglophone Multi-Family Office), un service qui gère le patrimoine des familles disposant d'au moins 25 M$ d'actifs.
Dans l'industrie, tout le monde a son anecdote. Éric Bujold, président de Gestion privée 1859 de la Banque Nationale, se souvient d'un client qui voulait offrir un cadeau à son épouse. L'homme d'affaires l'avait trouvé dans un catalogue consulté à l'étranger, le genre de bijou qu'on ne trouve pas chez Birks. En fait, il était introuvable dans tout le pays ! Le type de problème qui ne fait pas reculer le banquier. «Nous avons fait le nécessaire pour trouver et acheter le bijou», raconte M. Bujold.
Les courbettes des firmes de gestion privée pour satisfaire les fameux membres du 1 % ne représentent cependant qu'une minime part du travail qu'ils accomplissent. Bien implantée aux États-Unis, la gestion privée est en développement au Québec et au Canada depuis une dizaine d'années. Les grandes banques canadiennes et quelques firmes indépendantes font partie d'une industrie où la clientèle est rare et exigeante.
Leur création est née du besoin d'offrir des services de gestion personnalisés aux clients détenant entre 1 M$ et 500 M$ à investir. Autrement dit, servir les familles «qui ne sont pas assez riches» pour se payer une équipe personnalisée qui se consacre uniquement à leurs affaires.
Les firmes interrogées par Les Affaires se présentent comme un guichet unique pour traiter de tous les aspects de la gestion de patrimoine de la planification financière, à la gestion de portefeuille en passant par la fiscalité. L'avantage est de limiter le nombre d'intervenants et les avis contradictoires. «Nous sommes comme un sous-traitant pour toutes les questions financières», illustre Tom McCullough, président et cofondateur de Northwood Family Office, une firme de Toronto comptant quelques clients à Montréal qui ont plus de 10 M$ à investir. «Nous allons chercher toutes les expertises nécessaires et nous fournissons une réponse au client. Par la suite, nous nous occupons d'exécuter son plan financier.»
Même si la conciergerie ne représente qu'une part modeste des services offerts par les firmes, elle s'inscrit dans cette mission de vouloir résoudre tous les problèmes de leurs clients. Ces petites faveurs sont présentées comme une valeur ajoutée qui permet de simplifier la vie de leur riche clientèle. «Ce sont des gens très occupés, rappelle M. Bujold. Ils voyagent beaucoup. Ils ont parfois une deuxième, voire une troisième résidence à l'étranger. Ils ont besoin de gens pour les aider à gérer leur quotidien.»
Ainsi, les clients peuvent confier à leur gestionnaire les tracasseries dont ils ne veulent pas s'occuper. «On peut vous aider à trouver des billets pour un spectacle et trouver la gardienne qui va s'occuper les enfants pendant votre absence», donne en exemple Claudette Jeannotte, de Desjardins Gestion privée.
Les clients ne sont pas facturés pour ces petites faveurs. Les firmes à qui nous avons parlé sont restées discrètes sur leur tarif. Dans l'industrie, les frais de gestion varient de 0,5 % à 1 % du portefeuille. Plus votre patrimoine est important, plus vos frais se rapprocheront du bas de cette fourchette.
Ils savent tous
En mettant le nez dans leurs affaires financières et personnelles, les professionnels de ces firmes viennent à en savoir beaucoup sur leurs clients et leur famille, dont ils deviennent quasiment un membre.
Avec le temps, Sara Meliani, directrice des services fiduciaires chez BMO Harris, a développé une connaissance intime de ses protégés. Elle donne l'exemple de cette médecin aux États-Unis dont BMO Harris gérait les finances. En plus de veiller à faire fructifier la fortune de leur cliente, la firme s'assurait que la mère de cette dernière reçoive au Québec tous les soins de santé dont elle avait besoin, raconte la planificatrice financière qui veille sur quelque 170 familles montréalaises du service EnGlobe. «Elle a confié qu'on la connaissait plus que certains membres de sa famille», dit Sara Meliani au sujet de la médecin.
Les fortunés qui font appel aux services de ces firmes ont presque tous des situations «complexes». Ils n'ont pas le choix de lever le voile sur certains pans de leur vie privée : c'est le prix à payer pour recevoir le niveau de service auquel ils s'attendent.
C'est particulièrement le cas lorsqu'il s'agit de préparer la succession. Les conseillers doivent alors faire connaissance avec les enfants et les conjoints. «Une fois que l'on a fait les prévisions financières, on doit se demander si les enfants sont bien préparés, explique Tom McCullough. Est-ce qu'ils ont une attitude saine par rapport à l'argent ? Il faut parfois aider les parents à faire leur éducation financière.» Ces discussions font en sorte que les gestionnaires se retrouvent parfois aux prises avec un conflit familial à gérer. «Oui, ça peut arriver, dit Mark Auger. Nous ne sommes pas des psychologues ou des médiateurs. Mais nous n'hésiterons pas à y faire appel si on observe des tensions, si cela peut favoriser un dialogue constructif.»
Lorsqu'on entre dans la vie de ses clients, il est essentiel de bâtir une relation de confiance, souligne M. McCullough. «Les deux choses les plus importantes sont la confiance et la discrétion. Vous devez leur montrer que vous serez en mesure de protéger ce qu'ils vous confiront. Vous devez aussi être à l'aise avec la richesse. Sinon, vous n'êtes pas à votre place.»