L'entrée en Bourse réussie de Lumenpulse n'est qu'une étape pour son fondateur et président, François-Xavier Souvay, qui s'y prépare depuis quatre ans.
Le fabricant d'éclairages architecturaux à diodes électroluminescentes (DEL) a émis 7,2 millions d'actions à un prix de 16 $, en haut de la fourchette de prix prévus, après un marathon de 100 rencontres avec 160 investisseurs institutionnels en trois semaines à Londres, Zurich, New York, Boston, Chicago, Vancouver, Calgary, Toronto et Montréal.
L'action a gagné 15 % à 18 $ à sa première séance, le 15 avril, et a atteint 19,10 $ le lendemain, ce qui confère une valeur boursière de 490,8 millions de dollars à l'entreprise du quartier Griffintown, à Montréal.
«Ça fait quatre ans que les courtiers nous courtisent. Je prépare le terrain depuis 2010. Nous avions plusieurs ingrédients pour plaire : de la croissance dans une industrie fragmentée en transition technologique, des produits brevetés, une équipe solide, une bonne infrastructure de vente, un conseil d'administration fort et la rentabilité à portée de main», a énuméré le volubile M. Souvay.
Ses éclairages illuminent le Casino de Montréal, le Stade BC Place, à Vancouver, et le Musée d'art contemporain de Montréal, entre autres.
Avec des capitaux frais de 108 M$, l'entrepreneur investisseur a désormais les moyens financiers de ses ambitions.
«J'ai fondé Lumenpulse avec une vision claire : en faire un chef de file mondial des éclairages architecturaux. Je peux imaginer le jour où l'entreprise réalisera des revenus d'un milliard de dollars», a dit M. Souvay, au cours d'un long entretien au siège social de Griffintown, au lendemain de joyeuses célébrations pour souligner la réussite de l'entrée en Bourse.
La marche peut sembler très haute pour une entreprise dont les revenus annuels ont atteint 70 M$, au cours des 12 mois clos le 31 janvier.
Cependant, dans l'esprit de M. Souvay, cette marque de 1 G$ est tout à fait atteignable. Car, en innovant, l'entreprise est appelée à gagner des parts de marché dans un créneau mondial de l'éclairage DEL très fragmenté, qui croîtra de 31 % par an, au cours des cinq à sept prochaines années.
Les constructeurs et les professionnels qui gravitent autour d'eux migrent tous vers la technologie des diodes électroluminescentes, plus performantes et moins énergivores que l'éclairage traditionnel.
«Cette conjoncture représente un bon vent de dos pour nous. Nous sommes déjà le leader de ce marché en Amérique du Nord, et les fournisseurs les plus agiles comme nous croîtront plus rapidement que le marché», explique le président, qui commence sa journée à 5 heures par une veille technologique, avant de déjeuner avec ses deux ados.
Un milliard de dollars représenterait en effet un pour cent d'un marché mondial évalué à 100 G$ US par le consultant McKinsey.
Le géant néerlandais Philips Electronics N.V. est le numéro un mondial de l'éclairage, avec seulement 10 % du marché et 5 % de celui de l'éclairage de spécification (qui répond à un besoin précis), explique celui qui, à 29 ans, a acheté le distributeur d'éclairage Luxtec, pour ensuite en réinvestir les profits dans la technologie Lumenpulse.
Un trésor de guerre de 72 M$
Avec 72 M$ de plus à son fonds de roulement et aucune dette au bilan, Lumenpulse pourra soumissionner à de plus importants projets, ce qui gonflera naturellement ses ventes.
«Nous ne dévoilons pas ce genre d'information, mais notre réservoir de projets est bien garni», dit l'entrepreneur de 43 ans.
La société montréalaise consacrera également plus de ressources à éduquer les agents et les revendeurs qui commercialisent ses produits afin de mieux les aider à les promouvoir auprès des architectes et des spécialistes de l'éclairage industriel.
Lumenpulse s'est notamment installée à Londres en 2011, une véritable plaque tournante de l'architecture qui compte 170 des 400 concepteurs de luminaires du monde.
En accélérant le lancement de nouveaux produits, Lumenpulse se dotera aussi d'une plus grande boîte à outils qu'elle pourra offrir à ses clients existants et potentiels.
«Dans notre créneau, la croissance passe par les types d'éclairage. Pour l'instant, nos produits couvrent seulement 20 % des solutions bout en bout», explique M. Souvay, qui baigne dans l'éclairage depuis l'enfance. Son père a conçu les luminaires du 1000 de la Gauchetière, au centre-ville de Montréal, qui lui a même valu un prix de la Illuminating Engineering Society of North America à l'époque.
C'est pour compléter sa gamme de produits que les acquisitions entrent en jeu. M. Souvay aimerait acquérir un acteur européen rentable de 40 à 50 employés qui conçoit des solutions d'éclairage complémentaires aux siennes. De cette façon, Lumenpulse compte enrichir sa gamme de produits, pénétrer le marché européen, intégrer ses technologies brevetées dans les produits acquis et offrir ses propres produits dans le réseau de vente de la société acquise.
«Pas question d'acquérir pour seulement gonfler le chiffre d'affaires. L'acquisition doit servir nos objectifs. On va commencer par réaliser une acquisition et bien l'intégrer. On a le savoir-faire. Notre chef des finances, Robert Comeau, en a conclu une trentaine, les membres du conseil, ensemble, une centaine», dit M. Souvay.
Après 23 ans dans l'éclairage, l'homme d'affaires a déjà ciblé des acteurs et a déjà eu quelques conversations.
Soutenir la cadence
Le jeune pdg assure avoir les ressources qu'il faut pour croître aussi rapidement. L'usine de Griffintown, qui assemble et réalise la configuration finale des luminaires, fonctionne à 40 % de sa capacité.
«D'ici deux à trois ans, si on atteint un seuil de capacité à Montréal, nous prendrons plus d'espace dans notre immeuble ou ailleurs, selon divers plans de contingence que nous avons mis au point», dit M. Souvay.
Lumenpulse s'est constitué une chaîne de sous-traitants au Québec et aux États-Unis, mais elle reste propriétaire de ses moules et d'autres éléments à propriété intellectuelle.
Lumenpulse conçoit notamment ses propres logiciels de contrôle qui sont intégrés à même les puces, que fabriquent des sous-traitants.
Le dirigeant estime avoir la meilleure équipe de fabrication qui soit. Jean Clermont, un ex-cadre de Nortel, supervise la fabrication, la logistique et la chaîne d'approvisionnement.
«On oublie, mais l'usine de Saint-Laurent de Nortel, c'était des ventes de 10 G$ dans l'optique. C'est tout un savoir-faire. Nous avons cinq transfuges de Nortel chez nous», dit fièrement M. Savoy.
Vers une marge de 18 à 20 %
Lumenpulse a trouvé preneur malgré l'accumulation de pertes de 29 M$, depuis 2011.
La raison : le chemin pour faire passer les marges d'exploitation de 5 % à la fourchette de 18 % à 20 % d'ici cinq ans est déjà bien visible.
Comme les revenus croissent plus rapidement que les frais fixes, les marges augmenteront tout naturellement.
Par exemple, les dépenses d'exploitation sont passées de 56 % à 36 % des ventes, au cours des cinq derniers trimestres, précise le dirigeant.
La part des produits Lumen dans l'ensemble des ventes continuera aussi de progresser. Ces produits dégagent des marges d'exploitation de 44 % (et croissantes) par rapport aux marges de 35 % pour les produits d'éclairage d'autres fabricants que l'entreprise revend.
109,8 M$ - Le bloc d'actions de 22 % de François-Xavier Souvay avait une valeur de 109,8 M$ le 21 avril, tandis que celui de 16,6 % de son partenaire depuis 2008, Nicolas Bélanger, valait 82,5 M$ .
Source : Prospectus final, Lumenpulse
Les réflexions de François-Xavier Souvay sur...
Aller en Bourse : «Il est trop tôt pour vendre. Et pour croître, ça prend du capital. Les capital-risqueurs et les fonds d'investissement privés ont une date de péremption. On voulait contrôler nos destinées.»
Pourquoi entrer en Bourse maintenant : «Nous avons instauré tous les processus d'affaires d'une entreprise qui peut survivre à ses dirigeants clés et nous avons bâti une équipe multidisciplinaire d'envergure.»
Sur le rôle de la Banque de développement du Canada : «L'idée d'emprunter à 14 % peut effrayer. Les entrepreneurs devraient plutôt considérer ces prêts subordonnés comme de la quasi-équité qui leur permet de garder le contrôle, sans nuire à leur capacité d'emprunt chez leur banquier.»
La pression d'être en Bourse : «J'ai préparé tout le monde, même mes garçons. J'ai dit à mon équipe qu'on ne contrôle pas la Bourse, mais qu'on maîtrise notre exécution. J'ai confiance que la Bourse récompensera nos réalisations.»
L'embauche : «Je cherche des professionnels qui partagent notre culture. Il est important de laisser son ego dans le tiroir et de s'autocritiquer pour être performant, et d'être assez agile pour changer de cap si le marché l'exige.»
Son défi : «Préserver la culture d'une start-up dans la conception, la mise au point et le lancement de produits.»
La propriété intellectuelle : «Nous avons des brevets sur tous les aspects de nos luminaires. Il faut la cultiver en offrant des incitatifs pour que les employés documentent toutes les solutions aux problèmes qu'ils résolvent.»
Réussir : «Il faut bien s'entourer. Pour l'ingénierie de systèmes intégrés par exemple, j'ai recruté Greg Campbell à Boston, l'auteur de nombreux brevets de technologies d'éclairage à semi-conducteurs.»
Transmettre l'entrepreneuriat : «J'ai amené mon fils aîné à des réunions d 'affaires quand il avait 12 ans. Il prenait déjà des notes sur sa tablette. Il est au courant des enjeux et aussi curieux que moi.»