Parfois, il faut s’avouer vaincu. C’est ce qu’a fait le gestionnaire de portefeuille californien, Paul Sinclair, convaincu qu’il n’arrivait plus à créer de la valeur pour ses clients. Les turbulences boursières ont-elles fait de la gestion de portefeuille une mission impossible? LesAffaires.com a interrogé quatre gestionnaires de portefeuille qui n’ont pas jeté la serviette.
«Aucun doute, c’est plus difficile, répond Stephen Gauthier, stratège et gestionnaire principal chez Fin-Xo Valeurs mobilières. Les marchés sont beaucoup plus imprévisibles à cause des spéculateurs, qui ont des objectifs à court terme. C’est très difficile de gérer selon les fondamentaux.»
La semaine dernière, le gestionnaire de fonds spéculatifs (hedge fund) Paul Sinclair a annoncé qu’il liquidait son fonds de 458 M$ US, convaincu que c’était ce qu’il y avait de mieux pour ses clients. Épuisé par la volatilité des marchés, l’homme de 41 ans préférait remettre l’argent aux clients plutôt que de leur demander des frais de gestion pour rester dans les liquidités.
« Je ne sais pas plus que les autres ce qui arrivera avec l’élection en Grèce, le système bancaire espagnol. Je ne peux prédire ce que le FMI, la BCE, le gouvernement chinois, Angela Merkel ou la Fed feront», a-t-il confié à un journaliste de l’agence de presse Bloomberg.
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Depuis une dizaine d’années, M. Gauthier a vu des collègues jeter la serviette, comme l’a fait M. Sinclair. « J’ai vu des gestionnaires qui avaient une approche à long terme se retirer, raconte le stratège. Ils avaient pourtant obtenu d’excellents résultats, et ils auraient sûrement bien fait s’ils avaient continué. Ils ont abandonné parce que c’était devenu un jeu qu’il n’aimait plus tellement. »
En plus des spéculateurs qui misent sur le court terme, M. Gauthier attribue une partie des difficultés aux interventions des banques centrales, qui faussent les règles du marché. D’ailleurs au moment de l’entrevue mercredi, la Réserve fédérale (Fed) venait tout juste d’annoncer qu’elle prolongeait l’ « opération Twist » jusqu’à la fin de l’année.
«Tous ces bruits, il faut que je les incorpore dans ma prise de décision, explique-t-il. Quand j’ai commencé dans les années 1980, je n’avais pas à me préoccuper d'une banque centrale qui allait intervenir à gauche et à droite. »
La chasse aux aubaines
François Rochon, président et gestionnaire de portefeuille de Giverny Capital, voit plutôt le contexte d’un œil positif. « C’est le meilleur contexte qu’on puisse espérer, affirme-t-il. Le meilleur marché est celui où il y a beaucoup d’occasions. L’ingrédient pour ça, c’est qu’il faut beaucoup de pessimisme. »
Le gestionnaire rappelle l’époque de la fin des années 1990, avant la bulle technologie. La Bourse procurait de solides rendements, mais les attentes étaient irréalistes, explique-t-il. Depuis la crise, les investisseurs sont plus pessimistes, mais les actions, en général, s’échangent à un multiple moins élevé. Autrement dit, on paie moins cher pour un potentiel de profit donné.Bourse stagnante
Jean-Paul Giacometti, gestionnaire de portefeuille et vice-président de Claret, ne croit que le contexte de stagnation boursière soit si exceptionnel. Depuis un siècle, le Dow Jones a connu plus d’une période de stagnation. Il énumère : « entre 1905 et 1923, entre 1929 et 1954, et entre 1964 et 1981». L’absence de croissance des marchés boursiers américains depuis le début des années 2000 n’est donc pas « anormal », selon lui.
Depuis le début de l’an 2000, le Dow Jones a progressé de 10,8%. Un rendement minime quand on l’étale sur plus de 11 ans.
Le S&P/TSX à Toronto fait un peu mieux sur la même période avec un rendement de 38%. L’indice vedette se trouve tout de même près de 22% sous son sommet d’avant la crise de 2008. Pour plusieurs stratèges, la Bourse de Toronto est cependant moins alléchante alors qu’on croit qu’elle ne pourra plus autant carburer à l’appréciation des ressources naturelles. Le retour de balancier pourrait donc se faire attendre.
Pour M. Giacometti, la gestion active est encore plus indiquée lors des périodes de stagnation. «Ces périodes-là donnent de mauvais rendements dans l’ensemble, mais ça ne veut pas dire que tous les titres vont mal, nuance-t-il. Quand le vent souffle assez fort, c’est plus facile de faire un bon rendement en étant un peu partout. Quand on entre dans une période de nettoyage, il faut être plus sélectif.»
Pour bien choisir, il faut passer par trois étapes. D’abord, voir si le titre est abordable, autrement dit son multiple. Ensuite, regarder le poids de l’endettement de la société. Enfin, se demander si l’escompte s’explique par des évènements temporaires ou par des obstacles plus importants.
Carl Simard, président de Medici, s’explique mal, quant à lui, comment un bon gestionnaire de portefeuille pourrait en venir à la conclusion qu’il serait mieux de laisser les clients à eux-mêmes. «Nous ne donnons pas seulement une valeur ajoutée en choisissant les titres, plaide-t-il. Nous devons aussi choisir l’allocation et la diversification appropriée. Il y a tout un volet planification qui doit être fait également. Nous sommes aussi là pour réduire l’émotivité des clients. »
« Quand la Bourse monte, c’est difficile de reconnaître les bons gestionnaires, ajoute M. Simard. C’est plus facile dans les temps plus difficiles qu’on peut les distinguer.