EXPERT INVITÉ. «Hard landing», «soft landing» ou encore «no landing»… Les termes concernant le cycle économique américain n’ont pas cessé d’évoluer en fonction de la persistance de la vigueur économique et de l’inflation de la première économie mondiale. Cependant, préparez-vous à entendre parler d’un nouveau terme: le «takeoff».
Les faits
Le président de la Réserve fédérale américaine (Fed), Jerome Powell, a déclaré lors d’une table ronde au Wilson Center à Washington mardi que les données récentes sur l’inflation indiquent que la banque centrale pourrait avoir besoin de plus de temps pour se sentir à l’aise dans l’abaissement des taux d’intérêt.
Selon lui, compte tenu de la solidité du marché du travail et des progrès réalisés jusqu’à présent en matière d’inflation, il convient d’accorder plus de temps à la politique restrictive et de laisser les données et l’évolution des perspectives guider la Fed.
Le fameux «higher for longer»…
Si le «soft landing» dominait nettement le consensus depuis près d’une année, c’est maintenant au tour du «no landing» de prendre de l’ampleur (selon le sondage de la BofA) suite à la résilience de l’économie américaine. Le «hard landing» étant remis aux calendes grecques.
Cependant, on a constaté dernièrement que l’inflation reprenait son ascension et que les tensions géopolitiques pourraient bouleverser les scénarios des banques centrales.
Dans le cas d’un emballement des prix, la Fed pourrait devoir tenter une nouvelle fois de relever ses taux pour arriver à son objectif de 2% d’inflation. C’est ce que l’on appelle le «takeoff» (qui n’est rappelons-le pas notre scénario aujourd’hui)…
Rappel des définitions
Le terme «atterrissage» («landing»), qui trouve son origine dans l’aviation et qui est couramment utilisé pour décrire l’atterrissage d’un avion, est également devenu un concept courant en économie.
Dans les cas où l’inflation devient grave en raison d’une croissance économique rapide, les pays peuvent choisir de mettre en œuvre des politiques monétaires restrictives pour limiter l’inflation.
Il en résulte une diminution de la demande et une réduction potentielle, voire un retournement négatif, de la croissance économique, ce qui est similaire à l'acte d'«atterrissage».
Qu’est-ce qu’un «hard landing», un «soft landing» et un «no landing»?
- Un atterrissage brutal («hard landing») peut se produire lorsque la banque centrale augmente les taux d’intérêt trop fortement ou trop rapidement pour maîtriser une inflation croissante, mais oriente finalement l’économie vers une récession. Un atterrissage brutal se caractérise par un déclin rapide de l’économie, des taux de chômage plus élevés et une activité économique réduite.
- Un atterrissage en douceur («soft landing») peut être obtenu lorsque la banque centrale augmente progressivement les taux d’intérêt, ce qui permet de stabiliser l’économie et d’éviter une récession ou un taux de chômage élevé.
- La possibilité d’un scénario de «non-atterrissage» («no landing») pour l’économie américaine est un sujet très débattu, alors que la Réserve fédérale s’efforce de réduire l’inflation en procédant à plusieurs séries de hausses des taux d’intérêt. Le no landing se traduirait par une croissance économique américaine qui reste solide. L’inflation de base resterait stable, à un ou deux points de pourcentage au-dessus des objectifs de la banque centrale, ce qui encouragerait les décideurs à maintenir les taux d’intérêt à leurs niveaux actuels.
Qu’est-ce que le «takeoff»?
Le «takeoff» («décollage») est le début d’un vol, lorsqu’un avion quitte le sol. Cela peut donc aussi s’appliquer à l’économie. Le «takeoff» signifierait que face à une inflation qui repart à la hausse (notamment à cause des tensions géopolitiques), la Fed est contrainte d’augmenter ses taux afin de (tenter de) précipiter l’économie américaine en récession (et ainsi faire baisser la demande).
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Pourquoi relever les taux?
En un mot, l’objectif premier de la Fed est de maîtriser l’inflation. Si les signes d’une hausse de l’inflation persistent, il est probable que la Fed continuera à relever les taux d’intérêt afin de précipiter l’économie américaine dans une récession.
Une croissance inattendue de l’emploi, des salaires et des dépenses de consommation est une bonne chose pour la plupart des Américains, mais une mauvaise chose pour l’inflation. Une économie en plein essor peut alimenter l’inflation si les dépenses sont si importantes que les consommateurs sont prêts à payer des prix toujours plus élevés pour les biens et les services.
Si les prix de l’énergie devaient reprendre l’ascendant (notamment à cause des tensions géopolitiques et d’une demande plus forte qu’anticipée — en Chine par exemple), le PCI américain pourrait même atteindre 4,8% avant la fin de l’année aux États-Unis. C’est en tout cas ce que pense la Bank of America dans son dernier rapport (scénario extrême).
La Fed serait ainsi forcée d’agir. À travers l’évolution de son bilan, de ses taux d’intérêt ou… des deux!
L’exemple des années 1970 et 1980
Sous la direction d’Arthur Burns, la Fed a relâché ses taux au début des années 1970, alors que l’inflation américaine était déjà élevée (environ 5%). Si cela a clairement été une erreur, il existe plusieurs théories sur les raisons qui ont poussé le président de l’institution monétaire américaine à agir de la sorte. L’une d’entre elles évoque les pressions politiques exercées par Nixon à l’époque. En 1974, l’inflation était à deux chiffres et l’économie était en profonde récession.
Ensuite, à la fin des années 1970, les prix augmentaient rapidement aux États-Unis. En d’autres termes, l’inflation était galopante, les dépenses publiques excessives et les salaires progressaient.
La Fed était résolue à stopper l’inflation. Le président Paul Volcker a donc continué à relever les taux en 1980 et 1981, ce qui a fini par paralyser l’économie et l’inflation.
La Fed a fait preuve d’un grand pragmatisme, même si le prix à payer pour tuer l’inflation a été une profonde récession.
Rappelons cependant que la cause réelle de l’inflation dans cette période était différente d’aujourd’hui. Dans les années 1970, il y a eu des chocs importants du côté de l’offre, comme l’embargo pétrolier arabe de 1973. Il n’était pas évident qu’une hausse des taux, qui affecterait principalement la demande, soit la bonne approche pour lutter contre ce type d’inflation.
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Quelles sont les conséquences?
Des taux d’intérêt plus élevés affectent théoriquement l’économie de plusieurs manières: ils freinent les dépenses de consommation et la croissance des entreprises, déterminent la valeur de la monnaie d’un pays et la performance des marchés financiers.
Les taux d’intérêt peuvent également affecter la valeur de la monnaie d’un pays. Lorsque le taux d’intérêt officiel d’un pays est relevé, sa monnaie s’apprécie. En effet, le taux d’intérêt plus élevé attire les investissements des épargnants étrangers, qui vivent dans des pays où le taux de rendement est plus faible.
Cette situation entraîne à son tour une augmentation de la demande et de la valeur de la devise en question.
Les marchés boursiers peuvent également réagir aux ajustements des taux d’intérêt, les investisseurs tenant compte des effets de la réduction des emprunts et des dépenses dans l’ensemble de l’économie.
Avec des taux d’intérêt élevés plus longtemps, les entreprises à fort effet de levier, celles qui n’ont pas de ratios de couverture, dont les flux de trésorerie sont faibles et qui ont des niveaux d’endettement élevés, sont plus vulnérables.
En cas de hausse des taux, la question se poserait aussi pour certaines banques régionales qui détiennent des biens immobiliers commerciaux qui ont été souscrits en partant du principe que les taux d’intérêt seraient toujours proches de zéro.
Enfin, rappelons que le taux d’intérêt joue un rôle important dans la détermination de l’offre et de la demande d’obligations. Tout dépend du «taux de coupon» de l’obligation: si le nouveau taux d’intérêt est supérieur au taux de coupon, la demande d’obligations diminue et s’il est inférieur au taux de coupon, la demande augmente.
Comment se comporte le S&P 500 lors des cycles de hausses de taux?
Contrairement à ce que l’on peut penser, la réaction à une hausse des taux n’est pas historiquement négative. Le graphique suivant montre que le S&P 500 a augmenté au cours de 11 des 12 dernières périodes pendant lesquelles la Fed a relevé ses taux. Le resserrement de la politique monétaire de la Fed ne signifie donc pas que les actions ne peuvent pas augmenter, mais simplement que le parcours sera probablement plus chaotique.
Synthèse
Répétons-le ici (si besoin était), le «takeoff» n’est pas (aujourd’hui) notre scénario. Cependant, face à une réaccélération potentielle de l’inflation (pour diverses raisons), les banques centrales pourraient être obligées de devoir relever leurs taux, comme cela a déjà été le cas par le passé. Le scénario économique serait alors totalement différent…
Ce texte est tiré de l’infolettre quotidienne de John Plassard, gracieuseté de Mirabaud
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