La situation actuelle ressemble à s'y méprendre à celle de la période de 1997-1999 : une politique de stimulation monétaire très vigoureuse était alors appliquée et les marchés avaient décollé. Le dollar américain était en hausse, le budget américain était équilibré et une élection présidentielle se profilait à l'horizon. Tout cela s'est terminé par l'éclatement de la bulle techno, rappelle Richard Jenkins, cogestionnaire, avec Bill Kanko, du Fonds chefs de file mondiaux Black Creek. Il concède toutefois que les signaux sont à un degré moindre qu'alors. Le chanteur Prince dirait «we're gonna party like it's 1999»...
M. Jenkins souligne que les taux d'intérêt à long terme sont maintenus très bas par les politiques des banques centrales. Lorsque ces taux ne bougent plus pour refléter les conditions différentes d'un pays à l'autre, ce sont les devises et les matières premières qui deviennent très volatiles, comme on le voit actuellement : «Cela ne nous rend pas pessimistes à l'égard des actions, mais attendez-vous à des rendements beaucoup plus faibles qu'au cours des cinq dernières années. Vous devriez aussi vous attendre à une forme ou une autre de récession dans les cinq ou six prochaines années. Nous ne savons pas quand ni quelle en sera la cause, mais c'est hautement probable», prévient-il.
Si la chute du prix du pétrole doit être perçue comme une baisse massive d'impôt stimulant la croissance, les hauts niveaux d'endettement des gouvernements et les hausses d'impôt qui en résulteront nuiront à cette croissance.
Richard Jenkins remarque que les cours des titres américains continuent de grimper et leur valorisation augmente encore davantage, au point où les investisseurs en sont rendus à utiliser les évaluations relatives plutôt que les évaluations absolues pour justifier leurs achats.
ll note que les actions américaines représentent désormais près de 52 % des marchés boursiers mondiaux. La dernière fois que cela s'est produit, c'était en 1999 et les choses se sont envenimées durant la décennie subséquente. Il souligne aussi qu'il est rare de voir le marché boursier américain grimper en même temps que le billet vert. «Cela ne durera pas», prévoit-il.
Il n'a pas une mauvaise opinion de l'économie américaine, mais constate que les valorisations des titres américains sont à la limite supérieure à leurs moyennes historiques à long terme. Il calcule que la conversion en dollars américains des bénéfices réalisés à l'étranger par les multinationales américaines causera une baisse de 10 à 20 % de leurs bénéfices totaux. Leurs marges vont donc baisser. Il ne veut tout simplement pas payer une prime pour une société dont le rythme de croissance est appelé à ralentir.
«Nous avons beaucoup plus de difficulté à trouver des titres américains se négociant encore à des cours attrayants. C'est pourquoi nous avons graduellement réduit notre exposition à ce marché de 36,4 %, au 31 décembre 2013, à 30,7 % un an plus tard. Seulement 8 des 30 placements en portefeuille actuellement sont des sociétés américaines. Il s'agit d'un record de plusieurs décennies, mais ce n'est qu'une manifestation de notre conviction que d'autres marchés offrent une meilleure valeur», dit-il.
Asie, Mexique et Europe
Le rendement à court terme du fonds en a pâti, car le marché américain, tel que mesuré par l'indice S&P 500, a généré un rendement de 24 % (en dollars canadiens) en 2014. La classe D du fonds a dégagé un rendement de 3,6 % durant la même période, par rapport à 15 % pour l'indice MSCI Mondial (en dollars canadiens). Elle avait toutefois dégagé des rendements de 41,7 % et de 20,4 %, respectivement, en 2013 et en 2012.
«Il y a des périodes où des changements majeurs à la structure d'un portefeuille s'imposent. Durant ces périodes de transition, un portefeuille semblera déphasé par rapport à ce qui est populaire à court terme dans le marché, et son rendement en sera touché. Mais la préservation à long terme du capital exige de vendre ce qui est devenu cher pour acheter ce qui est bon marché. Outre nos ventes de titres américains, notre exposition aux marchés émergents, à l'énergie et aux devises a aussi contribué à diminuer le rendement du fonds», dit Richard Jenkins.
Pour continuer d'être exposés à la vigueur de l'économie américaine, les gestionnaires de Black Creek préfèrent investir dans des sociétés qui y font des affaires, mais qui sont cotées en Asie, au Mexique et en Europe, et dont les valorisations sont beaucoup plus attrayantes.
Parmi celles-ci, il cite la société japonaise Daikin Industries, spécialisée dans les systèmes de climatisation, et la société néerlandaise DSM, active notamment dans les secteurs de la nutrition, des produits pharmaceutiques et des produits chimiques. De nouvelles positions ont aussi été établies dans Intertek Group, une multinationale d'inspection, de test physique et de certification, de même que dans Capgemini, la première entreprise de services numériques dans le secteur des services informatiques en France.
Experian est une société irlandaise qui se spécialise dans les services de gestion du risque de crédit. Avec une pondération de 5,1 %, son titre se classe deuxième en portefeuille, tout juste derrière celui de Christian Dior.
Richard Jenkins souligne que les bénéfices des sociétés européennes croîtront de 10 à 12 % plus rapidement que ceux des sociétés américaines en 2015, et ce, seulement en raison de la chute rapide de l'euro depuis l'annonce de mesures d'assouplissement monétaire par la Banque centrale européenne. «C'est une différence importante qui devrait se refléter dans les marchés boursiers au cours de cette année. Les sociétés mondiales situées en Europe devraient afficher une meilleure performance que leurs concurrentes américaines», estime-t-il.
Le portefeuille Black Creek est concentré : les 15 plus importantes positions comptent pour 63,2 % du portefeuille. «Nous cherchons des entreprises de petite et de moyenne envergure qui deviendront des noms familiers dans l'avenir - pas des noms familiers aujourd'hui dont les meilleurs jours sont derrière», dit M. Jenkins.
Pour l'instant, le fonds ne couvre pas les risques de fluctuations du dollar canadien, mais cette situation pourrait changer.
Biographie
Fellow CSI, Yves Bourget a fait carrière dans l’industrie des valeurs mobilières pendant une vingtaine d’années, notamment à titre de vice-président pour le Québec de Placements Altamira, de 1990 à 1997. Il collabore depuis 2001 à la publication Finance et Investissement, notamment en matière de fonds communs.