Les obligations émises par les sociétés sont plus populaires que jamais pour suppléer aux rendements dérisoires des obligations gouvernementales et des placements les plus sûrs. Toutefois, après une forte progression de leur cours, ces obligations sont moins attrayantes qu'avant. Elles peuvent néanmoins encore jouer leur rôle en portefeuille, soit donner un peu plus de rendement et protéger en partie le portefeuille de l'effet d'une hausse des taux, à condition que l'investisseur fasse bien ses devoirs.
L'engouement mondial pour les obligations de sociétés ne se dément pas, ce qui a fait grimper leur valeur marchande depuis mars 2009.
Pas une journée ne passe sans qu'une entreprise se targue d'avoir pu se financer à si bon marché en émettant des obligations, tellement les investisseurs ont faim de rendement.
Certains craignent même la formation d'une éventuelle «bulle» dans les obligations à haut risque ou de pacotille (junk bonds).
L'amélioration des perspectives économiques réduit le risque que les sociétés puissent s'acquitter de leurs obligations financières, ce qui gonfle l'attrait de leurs obligations. Le taux de défaillance est actuellement très faible.
Si bien que les obligations de sociétés américaines de 7 à 10 ans, cotées BBB, ont rarement été aussi chères depuis 25 ans, à part en 2007, note John Higgins, économiste en chef des marchés chez Capital Economics.
«Les rendements des obligations de sociétés ont beaucoup baissé, mais je dirais qu'elles sont justement évaluées puisque les sociétés sont en bonne santé financière», fait valoir Achilleas Taxildaris, analyste chez Morningstar Canada.
Ces titres procurent encore une bonne source de revenu, mais il ne faut plus s'attendre à de forts gains en capital, dit Hélène Gagné, gestionnaire de portefeuille chez Gestion privée Peak.
Ces obligations servent aussi de rempart à une éventuelle remontée des taux.
Puisque les sociétés versent des intérêts plus élevés que les gouvernements pour se financer, leurs obligations sont relativement moins sensibles à une hausse des taux. La valeur marchande des obligations baisse lorsque les taux d'intérêt montent afin que leur rendement s'ajuste aux nouveaux taux en vigueur.
Plus leur échéance est longue, plus les obligations réagissent aux fluctuations des taux.
Soyez sélectif
C'est dans ce contexte exigeant que les investisseurs doivent planifier leurs placements dans cette catégorie d'actif.
«Le rendement que procurent les intérêts des obligations de sociétés de première qualité est modeste, mais certains types d'obligations restent intéressants par rapport aux obligations gouvernementales», dit Gregory Kocik, gestionnaire du Fonds de revenu TD à rendement élevé.
Cet expert est beaucoup plus tatillon qu'avant en ce qui concerne le bilan des sociétés et les clauses de protection des obligations à haut rendement qu'il se procure.
«Les obligations cotées B à BBB sont encore attrayantes, parce que leur rendement est nettement supérieur à celui des obligations de sociétés de première qualité et des obligations gouvernementales. Si l'économie continue sa remontée, cela améliorera la capacité des entreprises à s'acquitter de leurs obligations financières, ce qui pourrait leur valoir une meilleure cote de crédit», précise M. Kocik.
Le portefeuilliste prêche évidemment pour sa paroisse en affirmant qu'un gestionnaire actif réussira mieux à jongler avec l'équation risque-rendement de ces obligations que ne pourra le faire un fonds négocié en Bourse (FNB) qui calque les indices, après plusieurs années haussières. L'analyste indépendant Dan Hallett de HighView Financial Group, lui donne raison, car il craint que les investisseurs ne connaissent pas le risque auquel les exposent les FNB d'obligations à haut rendement (high-yield bonds).
«Certains FNB affichent des rendements très alléchants depuis cinq ans, mais cette période a été exceptionnelle pour les obligations de sociétés. Elles ont eu des rendements annuels fréquents de plus de 10 %», dit-il.
Le rendement moyen pondéré à l'échéance de l'indice américain Bank of America Merrill Lynch d'obligations de sociétés de première qualité est de 2,81 %, tandis que celui des obligations de sociétés de pacotille est de 5,5 %.
Ces rendements repères sont supérieurs à ceux des obligations gouvernementales, mais l'écart est amplifié par le fait que les banques centrales maintiennent leur taux directeur artificiellement bas, précise M. Hallett.
Chez ceux qui utilisent les FNB, le même dilemme se présente pour obtenir un rendement supplémentaire, sans trop de risque.
Le FNB iShares Corporate Bond (Tor., XCB), dont 70 % des obligations de sociétés sont cotées A, offre un rendement de 2,8 %, à peine supérieur à celui de 2,4 % du FNB d'obligations gouvernementales iShares Canadian Government Bond (Tor., XGB). Cependant, l'échéance moyenne plus courte de 5,7 ans du XCB rend ce fonds un peu moins sensible aux fluctuations de taux que le XGB, qui a une échéance de 7,3 ans, explique Pat Chiefalo, analyste principal des fonds à la Financière Banque Nationale.
Pour aller chercher un peu plus de rendement, il faut faire appel aux obligations à haut rendement.
Au Canada, l'iShares HYBrid Bond (Tor., XHB) procure un rendement de 4,26 %. Quelque 73 % de ce FNB est constitué d'obligations cotées BBB, soit la meilleure cote parmi les obligations de pacotille, précise M. Chiefalo. Sa durée moyenne pondérée est similaire à celle du FNB d'obligations de sociétés de première qualité.
Le FNB d'obligations de sociétés américaines à haut rendement iShares U.S. High Yield Bond Index (Tor., XHY) offre un rendement de près de 4,75 % et une durée de 3,9 ans.
Évaluez bien les risques
Les investisseurs doivent bien comprendre que les obligations de sociétés comportent des risques, même si ce sont des titres à revenu fixe, avertit Dan Hallett. Il rappelle que certains fonds d'obligations de sociétés ont chuté jusqu'à 45 % de février 2007 à novembre 2008.
Le spécialiste recommande d'ailleurs que les investisseurs examinent le rendement qu'ont obtenu les fonds qui les intéressent, pendant la crise. C'est un indicateur plus concret de risque que l'écart-type publié par les fonds, qui mesure la variabilité du rendement mensuel sur trois ans, une période trop courte pour juger du risque d'un fonds, selon lui.
L'investisseur devrait aussi consulter les rapports semestriels des fonds communs pour connaître quels types d'obligations ils détiennent en portefeuille. Les obligations cotées BBB et moins sont des obligations de pacotille, plus risquées.
Des fonds communs à considérer
Dan Hallett, vice-président de Highview Financial Group, préfère les fonds communs bénéficiant des mandats les plus flexibles.
Le meilleur fonds commun de la catégorie n'étant plus offert aux nouveaux investisseurs (Fonds d'obligations à rendement élevé PH&N), M. Hallett suggère le fonds Lysander Corporate Value Bond Fund.
Créé en 2011, le fonds est géré par le gestionnaire institutionnel de titres de crédit de sociétés Canso Investment Counsel.
Sa spécialité : analyser et acheter des obligations boudées par les autres investisseurs.
Actuellement, plus de la moitié du fonds se compose d'obligations de qualité institutionnelle.
La série A de ce fonds prélève des frais de 1,54 %, inférieurs à la moyenne de sa catégorie.
Le Fonds d'obligations de sociétés Manuvie est aussi un bon choix, avec des frais de 1,67 %. Les obligations de pacotille composent moins de la moitié du portefeuille, actuellement.
Le Fonds d'obligations mondiales à rendement élevé RBC convient aux investisseurs dont le reste du portefeuille contient peu de placements dans les ressources naturelles et les marchés émergents. Actuellement, 59 % du fonds est investi dans les obligations souveraines ou de sociétés de pays émergents.
Trois données essentielles pour comparer les fonds
Le ratio des frais de gestion. Plus ce ratio est faible, moins les frais grugent le capital investi et le rendement, année après année. (Morningstar Canada)
Le rendement courant moyen pondéré à l'échéance. C'est le rendement que procurera le fonds à son cours actuel. Même si les obligations à l'intérieur du FNB iShares DEX All Corporate Index (Tor., XCB) versent des intérêts moyens pondérés de 4,32 %, son rendement moyen pondéré à l'échéance n'est que de 2,82 %, au cours actuel du FNB. À l'extérieur d'un REER, le contribuable paie des impôts sur les intérêts versés et non sur le rendement à l'échéance. (Placements Idema)
La durée moyenne pondérée. Exprimée en années, cette mesure reflète la moyenne pondérée des intérêts versés et du remboursement de capital de toutes les obligations. La durée reflète le degré de sensibilité du fonds aux taux d'intérêt. Elle est essentielle pour comparer les fonds entre eux, et les insérer au bon endroit dans un portefeuille. Plus l'échéance est longue, plus le rendement du fonds réagira à la variation des taux d'intérêt.
Quelle part accorder aux obligations de sociétés ?
Chez Gestion privée Peak, Hélène Gagné sépare les titres à revenu fixe selon leur fonction en portefeuille.
Par exemple, dans un portefeuille dont la moitié est consacrée aux titres à revenu fixe, 40 % iront aux obligations gouvernementales et de sociétés de qualité, ainsi qu'aux actions privilégiées de qualité.
Cette section est divisée environ à parts égales entre les obligations gouvernementales, les obligations de sociétés et les actions privilégiées de qualité.
La gestionnaire choisit des obligations de sociétés individuelles et investit aussi dans le fonds négocié en Bourse (FNB) Vanguard Canadian Short-Term Corporate Bond Index (Tor., VSC) pour combler la section d'obligations de sociétés de qualité.
L'autre part de 10 % des revenus fixes est consacrée aux titres à revenus élevés, dont le FNB américain SPDR Barclays High Yield Bond (NY, JNK) à raison de 4 %, des fonds immobiliers à capital fermé (FPI) à raison de 3 % et des fournisseurs canadiens d'électricité à dividende élevé à raison de 3 %.
«Le risque de cette deuxième catégorie s'apparente davantage aux actions. On leur fait donc une place à part des obligations de plus grande qualité», explique la gestionnaire de portefeuille.
Mme Gagné préfère le FNB américain en raison de la plus grande diversité des émetteurs aux États-Unis.
Chez HighView Financial Group, Dan Hallett consacre encore une part de 60 % des revenus fixes aux obligations de sociétés, pour que le capital du portefeuille souffre moins d'une hausse des taux, à long terme.
Sa préférence va toutefois aux fonds communs plus généralistes, car leurs gestionnaires peuvent se déplacer d'un type d'obligation à l'autre et modifier l'échéance moyenne du portefeuille, selon le comportement des obligations et des taux (voir texte «Des fonds communs à considérer», ci-contre).
Toutefois, si le bond des obligations de sociétés depuis 2009 a fait grimper la proportion qu'elles occupent en portefeuille au-delà de la répartition choisie par l'investisseur, il serait sage de redonner au portefeuille son équilibre, en vendant une partie des parts de ces fonds, dit-il.
Les rendements des fonds d'obligations de sociétés seront moins élevés à l'avenir, mais ils peuvent encore jouer un rôle pour atténuer l'effet néfaste d'une hausse des taux sur les obligations.