Le lubrifiant essentiel de la finance n'est pas l'argent. C'est la confiance. Au minimum, une relation financière nécessite que chaque partie concernée croie que les autres tiendront leurs promesses. Les banques, par exemple, ne prêtent de l'argent aux emprunteurs que si elles pensent qu'ils les rembourseront. Les propriétaires de biens immobiliers recherchent des assureurs en mesure d'honorer leur réclamation en cas de catastrophe. Les sociétés qui vont être cotées en Bourse collaborent avec les banques d'affaires qui, d'après elles, réuniront le plus de capitaux. Dans ces relations, les clients s'attendent à ce que les institutions financières agissent de bonne foi, mais pas nécessairement dans leur meilleur intérêt.
Par Christopher Davis directeur de la recherche sur les gestionnaires à Morningstar Canada.
Les investisseurs dans les fonds, toutefois, s'attendent non seulement à ce que les sociétés de fonds surveillent prudemment leur capital, mais qu'elles mettent aussi une priorité sur leurs intérêts financiers. Pour répondre à ces attentes, les sociétés doivent arriver à un équilibre entre leurs propres intérêts financiers et ceux des détenteurs de fonds. Ces intérêts sont souvent conflictuels. Fermer par exemple un fonds de petite capitalisation à forte croissance serait dans le meilleur intérêt des porteurs de parts, mais limiterait le revenu que la société de fonds pourrait tirer des frais de gestion.
Morningstar pense que les sociétés de fonds qui alignent leurs intérêts sur ceux des porteurs de parts sont plus à même de bien servir les intérêts des porteurs de parts que celles qui ne le font pas. La Note de gérance de Morningstar pour les sociétés de fonds communs de placement, lancée aux États-Unis en 2004 et au Canada en 2010, mesure le degré d'alignement des intérêts d'une société de fonds communs sur ceux des porteurs de parts. La performance n'est pas le seul test de l'expérience d'un investisseur: la transparence, la qualité de la communication, la conformité, ainsi que d'autres facteurs peuvent aussi l'influencer, mais il est raisonnable de s'attendre à ce que les firmes qui privilégient les intérêts des porteurs de parts fournissent de meilleurs résultats à long terme.
Une mine de documents de recherche, provenant à la fois de Morningstar et de la communauté académique, suggère qu'il existe un lien positif entre la note de gérance et la performance aux États-Unis. Nous avons étudié cette relation au sein du marché canadien, en utilisant les chiffres des quatre années de rendement qui ont suivi le lancement de la note de gérance en juin 2010. Pour consulter dans son intégralité le Livre blanc de nos recherches et de nos résultats, cliquez ici.
Pour en savoir plus sur la méthodologie de la Note de gérance Morningstar, cliquez ici. Les membres du site Privilège peuvent consulter les notes de gérance ici.
La Note de gérance mise à l'épreuve
La Note de gérance mise à l'épreuve
En 2010, nous avons attribué des notes de gérance à 27 sociétés de fonds communs canadiennes représentant environ 75% des actifs de l'industrie et 1 500 fonds distincts. Nous couvrons les plus grosses sociétés de fonds communs au pays, ainsi que des firmes plus petites qui ont des approches originales en matière de gérance.
Afin de tester l'efficacité des notes de gérance au Canada, nous avons examiné le lien entre la note de gérance des firmes notées en 2010 et la performance subséquente de leurs fonds de juin 2010 à juin 2014. Nous avons ensuite étudié la relation entre les composantes sous-jacentes de la note de gérance: culture d'entreprise, mesures incitatives, frais et questions réglementaires, par rapport aux rendements qui ont suivi.
Pour mesurer la performance, nous avons utilisé le Taux de réussite Morningstar, fondé sur les rendements absolus, ainsi que le Taux de réussite ajusté selon le risque Morningstar, fondé sur le rendement ajusté selon le risque Morningstar. Les taux de réussite mesurent quel pourcentage des fonds d'une firme ont survécu à une période spécifique et ont surclassé le fonds médian au sein d'un groupe de pairs.
Notre étude s'est heurtée à certaines limitations notoires. La première est le critère de sélection. Les grands intervenants qui dominent notre liste de couverture ne seraient certainement pas devenus si importants si leur note de gérance avait été mauvaise. Ainsi, notre étude cible les firmes qui, dès le départ, avaient toutes les chances de pratiquer une bonne gérance.
Deuxièmement, bien que notre période d'étude de 2010 à 2014 ne soit pas déraisonnablement courte, elle a tout de même coïncidé avec une hausse des marchés boursier et obligataire, quoique avec quelques déboires au passage. De plus, l'évaluation faite par Morningstar de la culture d'entreprise s'articule en partie autour des méthodes de gestion du risque des firmes, tandis que notre évaluation des mesures incitatives pour les gestionnaires se fonde principalement sur le degré auquel un gestionnaire de portefeuille investit dans les fonds de sa firme. Il va sans dire que les gestionnaires tendront plus à faire preuve de prudence quand leur propre coussin financier est en jeu.
Enfin, nous ne nous attendons pas à ce que les pratiques de gérance soient les seules à déterminer la performance. La note de gérance fait un bilan général des pratiques de gérance d'une société et ne s'applique pas nécessairement à chacun de ses fonds. La note ne vous indiquera pas si un gestionnaire donné est qualifié, si son processus est cohérent et reproductible, sa performance solide et ses frais raisonnables.
Cela dit, nous avons observé une relation positive entre nos notes de gérance de 2010 et la performance qui s'est ensuivie. Dans l'ensemble, les firmes qui ont reçu une note de A ou B avaient des fonds plus performants que ceux qui ont obtenu un C, comme l'indique le Tableau 1.
Une culture d'entreprise plus solide signifie-t-elle des rendements plus solides?
Une culture d'entreprise plus solide signifie-t-elle des rendements plus solides?
La méthodologie de la note de gérance de Morningstar présume que les cultures d'entreprise axées sur les porteurs de parts sont plus susceptibles de fournir de bons résultats que celles qui s'attachent principalement à rassembler des actifs. Morningstar évalue la culture d'une entreprise en rencontrant ses hauts dirigeants, ce qui l'aide à comprendre ses priorités, sa stratégie de rétention du personnel, son expertise en matière de placement, sa stratégie de distribution, son approche en matière de gestion du risque et son barème de rémunération, ainsi que des facteurs moins nets comme de savoir si sa culture d'entreprise est collaborative, compétitive ou entre les deux. Nous puisons aussi dans des conversations que nous avons eues avec les gestionnaires de portefeuille pendant l'année pour comprendre comment la culture d'entreprise se manifeste sur le terrain. Les gestionnaires offrent des informations précieuses sur l'ampleur des ressources à leur disposition et leur utilisation.
Bien entendu, chaque société de fonds nous dit qu'elle fait passer les intérêts de porteurs de parts en premier. Heureusement, nous n'avons généralement pas à le croire sur parole. Nous pouvons mesurer la capacité de la firme à retenir son personnel en étudiant la rotation des gestionnaires et des analystes. Nous pouvons évaluer sa capacité à bien servir ses porteurs de parts en évaluant la performance de sa gamme de produits à long terme. Si les firmes interviennent en dehors de leur sphère de compétences ou ont coutume de lancer des produits qui sacrifient au goût du jour, nous pouvons présumer qu'elles donnent la priorité à la croissance des actifs plutôt qu'aux intérêts des porteurs de parts. Si elles laissent les fonds croître trop rapidement ou se gonfler démesurément avant de les clore, nous pouvons en arriver à la même conclusion.
Si le score octroyé par Morningstar pour la culture d'entreprise reflète le degré auquel une société de fonds privilégie l'excellence dans les placements par rapport à la croissance des actifs, il est légitime de s'attendre à un lien positif entre la culture et la performance. C'était le cas durant notre période d'étude, comme l'indique le Tableau 2. Les sociétés de fonds qui ont la culture d'entreprise la plus forte ont été bien plus performantes que celles dont la culture est plus faible.
À faibles coûts, meilleurs rendements?
Morningstar prête depuis longtemps une attention particulière aux frais. La raison en est simple : plus les frais sont bas, plus il est facile pour un fonds de surclasser son indice de référence et ses concurrents, et plus le montant que conservent les investisseurs est important. Nous incluons les frais dans notre méthodologie de notation de gérance parce qu'ils indiquent clairement à quel point les compagnies de fonds équilibrent leurs propres intérêts commerciaux (des frais élevés occasionnent plus de revenus) et les intérêts des porteurs de parts (des frais inférieurs mènent à de meilleurs résultats dans les placements).
Notre évaluation des frais détermine si les compagnies de fonds rendent service en général aux porteurs de parts. Nous classons les ratios des frais de gestion des fonds (RFG) par rapport à ceux des pairs de leur catégorie, et les agrégeons au niveau de la compagnie de fonds. Nous mesurons le classement des dépenses relatives de la gamme de fonds à la fois sur une base équipondérée et pondérée selon les actifs. Le chiffre équipondéré décrit à quel point les compagnies de fonds traitent bien les porteurs de parts dans toute la gamme, alors que la mesure pondérée selon les actifs décrit mieux les résultats qu'ont obtenus les porteurs de parts.
Nous avons trouvé que les firmes avec des gammes relativement peu coûteuses obtenaient de meilleurs ratios de réussite que celles qui avaient des prix plus élevés, comme le montre le Tableau 3. Cela s'est particulièrement vérifié dans les deux extrêmes des dépenses: les firmes avec les fonds les moins chers ont extraordinairement bien réussi, et ceux avec les fonds les plus coûteux ont généralement obtenu de piètres résultats. Cette relation a été même plus forte sur une base ajustée selon le risque. Les familles de fonds aux coûts les plus faibles doivent prendre moins de risques pour surmonter l'obstacle des frais, ce qui peut expliquer pourquoi elles obtiennent de meilleurs résultats sur une base ajustée selon le risque. En revanche, les compagnies de fonds à coûts élevés doivent prendre plus de risques pour surmonter un obstacle plus élevé, ce qui peut mener à des taux de réussite ajustés selon le risque moins bons.
Mettre son propre argent en jeu mène-t-il à de meilleurs résultats?
Mettre son propre argent en jeu mène-t-il à de meilleurs résultats?
Les gestionnaires de portefeuille disent souvent aux analystes de Morningstar qu'ils favorisent les compagnies dont les dirigeants sont aussi d'importants actionnaires, présumant que les dirigeants y ayant investi d'importants capitaux alignent mieux leurs intérêts sur ceux des actionnaires que ceux qui y investissent de façon plus modérée. La méthodologie de notation de gérance de Morningstar applique la même logique aux gestionnaires de portefeuille eux-mêmes : les gestionnaires qui investissent de manière conséquente dans les fonds qu'ils gèrent et ceux de leur firme alignent leurs intérêts sur ceux des porteurs de parts.
Pour évaluer l'alignement financier des gestionnaires de portefeuille sur les porteurs de parts, nous examinons les niveaux de co-investissement des gestionnaires dans toutes les gammes de produits de la firme par rapport à leur salaire annuel. Nous regardons d'un oeil favorable les firmes qui exigent un co-investissement de leurs gestionnaires, bien que seuls six des 27 avaient investi dans les produits de leur firme en 2010. Bien que la méthodologie repose principalement sur le co-investissement des gestionnaires, nous examinons aussi les schémas de rémunération, principalement sur la base du rendement à plus long terme. (Morningstar définit les périodes « à plus long terme » comme des périodes de quatre ans ou plus.) Morningstar présume que les gestionnaires qui sont payés pour fournir des rendements à plus long terme sont plus aptes à le faire. Le salaire des gestionnaires basé sur des périodes plus courtes, par exemple un an, pourrait inciter ces gestionnaires à se livrer à des transactions plus fréquentes et à prendre plus de risques en espérant des gains plus importants à court terme.
Le peu de transparence en 2010 rend difficile l'évaluation de la relation entre les mesures incitatives des gestionnaires et le rendement. Sur les 27 firmes sondées, 10 n'ont pas fourni de données de co-investissement, tandis que d'autres ont offert des informations limitées. Les firmes qui ont offert le moins de mesures incitatives aux gestionnaires ont obtenu une mauvaise note, principalement en raison du manque de divulgation, et pas nécessairement en raison de mauvaises pratiques. Cela peut expliquer le manque de corrélation entre la note attribuée aux mesures incitatives des gestionnaires et le rendement subséquent montré dans le Tableau 4.
Il n'est pas surprenant qu'on ne puisse pas discerner un schéma de rendement sur la base des scores attribués aux mesures incitatives des gestionnaires. La société qui avait le meilleur score n'a eu que peu d'ascendant sur celle qui a eu le score le plus bas.
Il convient de noter que Morningstar a trouvé un lien plus fort entre le score des mesures incitatives offertes aux gestionnaires et le rendement aux États-Unis, où les autorités de réglementation exigent des compagnies de fonds qu'elles divulguent le montant investi par les gestionnaires de portefeuille dans leurs propres fonds et les informations sur la manière dont est structurée leur rémunération. Ces exigences ont rendu plus simple l'étude de la relation entre les mesures incitatives et le rendement. Les firmes canadiennes divulguant plus d'informations à Morningstar ces dernières années, il deviendra plus facile d'observer si une relation comparable existe au Canada.
Est-il payant d'éviter la colère des autorités?
Est-il payant d'éviter la colère des autorités?
Morningstar étudie les dossiers réglementaires des fournisseurs de fonds pour la même raison que les assureurs automobiles se penchent sur les antécédents de conduite. À l'instar des compagnies d'assurance qui croient que les conducteurs qui accumulent les amendes pour excès de vitesse sont moins prudents que ceux qui ont un historique sans tache, nous présumons que les compagnies de fonds qui enfreignent la réglementation régulièrement ont une culture d'observation des règlements moins stricte. Appliquer la loi devrait être une procédure opérationnelle normale pour tous les fournisseurs de fonds. Parce que la méthodologie Morningstar de notation de gérance récompense les pratiques exemplaires de l'industrie, Morningstar ne donne pas des points supplémentaires aux compagnies de fonds qui ont des dossiers immaculés. Contrairement aux autres composantes de la note, les enjeux réglementaires ne peuvent que faire perdre des points à la firme. Avec des dossiers réglementaires sans tache, aucune firme de la liste que nous couvrons n'a perdu de points en 2010. La composante réglementaire de la méthodologie de notation de gérance n'a présenté aucune valeur prévisionnelle, puisque chaque fournisseur de fonds a obtenu le même taux de réussite à ce test.
Conclusion
Jusqu'à présent, la note de gérance a été un outil utile pour les investisseurs dans les fonds canadiens. Depuis son lancement en 2010, les investisseurs qui ont fait affaire avec des compagnies de fonds bien notées du point de vue de la gérance ont généralement obtenu de meilleurs résultats que ceux s'associant aux compagnies à la gérance plus faible. Le rendement passé, c'est sûr, n'est pas toujours une garantie des résultats futurs, surtout lorsque les des données représentent une période courte, comme dans ce document. Cela dit, nos conclusions à ce sujet ressemblent à celles tirées de l'étude américaine des notes de gérance de Morningstar, qui utilise un historique sur 10 ans. Qu'il y ait eu de solides résultats dans des marchés différents et pour d'autres périodes offre un argument en faveur de son efficacité. Parce que l'équipe mondiale de recherche de Morningstar utilise une variance de la méthodologie pour évaluer les organisations mères des fonds dans le cadre de la Cote des analystes Morningstar, qui est une donnée qualitative, nos conclusions ici et ailleurs ont des implications positives sur la cote des analystes.
Note de la rédaction : L'article d'aujourd'hui est le premier d'une série en trois parties publiée cette semaine, basée sur le Livre blanc nouvellement rédigé par l'équipe de recherche sur la gérance des compagnies de fonds au Canada. Mercredi : Comment a évolué la culture d'entreprise des compagnies de fonds - pour le meilleur et pour le pire. Vendredi : Les investisseurs partagent-ils le succès des compagnies de fonds?