Maintenant que Rona (Tor., RON, 12,91 $) a charcuté ses coûts, a freiné le déclin de ses ventes et a amélioré ses marges, les prochains gains en Bourse risquent d'être plus difficiles à arracher.
L'action du détaillant de Boucherville se rapproche du sommet annuel de 13,54 $ atteint en décembre 2013, après qu'il eut dévoilé, le 12 août, de meilleures ventes et marges que prévu à son deuxième trimestre.
Son titre dépasse aussi le cours cible moyen de 12,88 $ de huit analystes, qui le jugent déjà bien évalué. Les deux cibles les plus optimistes, de 14 $ et 14,50 $, laissent au mieux entrevoir un gain potentiel d'encore 11 %.
La trajectoire boursière de Rona dépend de deux facteurs. Premièrement, à quel point son cours intègre déjà la possibilité que les ventes des magasins ouverts depuis plus d'un an recommencent à croître cette année, pour la première fois en quatre ans. Et est-ce que le cours intègre aussi une hausse potentielle de 34 % du bénéfice en 2015, qu'un seul analyste prévoit pour l'instant.
Aussi chère que ses rivales américaines
L'action s'échange à un multiple de 15,3 fois le bénéfice de 0,85 $ par action prévu en 2015, une évaluation semblable à celles de ses rivales Home Depot (NY, HD, 83,64 $ US) et Lowe's (NY, LOW, 49,93 $ US), qui croissent plus vite et qui réalisent de meilleurs rendements.
Ce multiple est aussi supérieur à sa moyenne de 12,9 fois des cinq dernières années, note Vishal Shreedhar, de la Financière Banque Nationale.
Pourtant, Rona générera un rendement de 4 % de son actif en 2015, une fraction des rendements prévus pour Home Depot (17 %) et pour Lowe's (9 %) l'an prochain, fait valoir Mark Petrie, de Marchés mondiaux CIBC. L'analyste, qui recommande de vendre le titre de Rona, assorti d'un cours cible de 11 $, salue les progrès du détaillant sur le plan de l'exploitation. Toutefois, il doute que la société puisse soutenir cet élan à moyen terme, en raison de la concurrence et de la conjoncture canadienne.
«Si l'action de Rona s'échangeait à fort rabais par rapport à celles de Home Depot et de Lowe's, on pourrait miser sur un rattrapage, mais justement, son évaluation n'est pas particulièrement attrayante», évoque M. Petrie.
La phase risquée du redressement de Rona est passée, et les dirigeants se consacrent désormais à la croissance, indique Keith Howlett, de Desjardins Marché des capitaux. Or, ils n'ont aucun contrôle sur les «conditions difficiles de l'industrie», rappelle l'analyste.
Derek Dley, de Canaccord Genuity, craint pour sa part que les investissements requis en 2015 pour convertir certains de ses magasins à grande surface hors du Québec, sur le modèle rafraîchi des magasins à escompte Réno-Dépôt, ne nuisent à ses marges.
Un actionnaire redevenu satisfait
Richard Fortin, gestionnaire chez Franklin Bissett Management, un important actionnaire de Rona, avec 2,3 millions d'actions, voit les choses autrement, deux ans après avoir vertement critiqué la société pour son refus catégorique de considérer l'offre de 14,50 $ par action de Lowe's.
«Il y a plusieurs façons de créer de la valeur. Le redressement opérationnel nous impressionne. Le changement de la culture, plus axée sur le rendement aux actionnaires que sur les parts de marché, nous plaît aussi», explique-t-il en entrevue aux Affaires.
Rona a déjà racheté 7 % de ses actions à un cours inférieur à sa valeur intrinsèque, ce qui est rentable pour les actionnaires, ajoute le gestionnaire de Calgary. Il reste encore 59 millions de dollars au programme de rachat actuel.
Tant que les dirigeants de Rona continueront d'améliorer l'exploitation, les marges, et de bien répartir le capital, M. Fortin entend conserver ses actions. «Gonfler le chiffre d'affaires ou gagner des parts de marché n'est pas ce qui importe aux actionnaires. L'essentiel, c'est que sa valeur intrinsèque croisse avec l'amélioration de son exploitation et de ses rendements financiers», explique-t-il.
Le repositionnement des 16 magasins Réno-Dépôt au Québec rapporte déjà des dividendes : les ventes comparables pour ces magasins ont recommencé à croître.
«Pour un investissement de 1,5 M$ par magasin, c'est une bonne utilisation du capital. S'ils réussissent à reproduire ça avec les magasins ontariens, l'effet sur les rendements futurs sera appréciable», prévoit M. Fortin.
Rona élabore des plans pour convertir un certain nombre des 11 magasins à grande surface ontariens fermés au concept Réno-Dépôt.
Rona continue d'exercer un contrôle serré de ses dépenses générales et administratives, et améliore sa gestion des stocks et de son fonds de roulement.
Encore loin de la valeur «juste» de 15 $ à 19 $ d'il y a deux ans
La pression sur le trio composé de Robert Chevrier, président exécutif du conseil, de Robert Sawyer, président, et de Dominique Boies, chef de la direction financière, est forte depuis qu'ils ont été choisis pour mener le redressement de Rona par la Caisse de dépôt et placement du Québec et Invesco Trimark, ses deux plus importants actionnaires. M. Sawyer se donne encore trois ou quatre ans pour compléter la relance de Rona.
Ces dirigeants doivent prouver qu'ils peuvent faire beaucoup mieux que l'offre de 14,50 $ de Lowe's en 2012 que tous jugeaient alors bien insuffisante. À cette époque, les financiers évoquaient que la valeur «juste» de Rona était de 15 à 19 $.
«Si Rona peut retrouver une marge d'exploitation de 8 % (comme celle de 2005 à 2007), son bénéfice pourrait doubler à 1,51 $ par action et son titre pourrait atteindre de 19 à 21 $», évalue M. Shreedhar, dans un scénario optimiste.