Depuis la crise financière de 2008-2009, les Bourses nord-américaines voguent presque de sommet en sommet. Le S&P 500 américain a terminé chaque année avec des gains, tandis qu'à Toronto, le S&P/TSX a progressé cinq années sur six. Les astres sont alignés pour une autre année de rendements positifs. La chute des prix du pétrole changera-t-elle la donne en 2015 ? Voici ce que prévoient quatre stratèges.À lire aussi:
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«Le thème qui dominera 2015, c'est celui de la désynchronisation.» - Clément Gignac, vice-président et économiste en chef, Industrielle Alliance
Cibles des principaux indices à la fin de 2015 :
S&P 500 : 2 200 points
S&P/TSX : 15 500 points
Répartition de l'actif :
Plus : les actions américaines, notamment de consommation
Moins : les titres pétroliers
Le thème qui dominera 2015, c'est celui de la désynchronisation, prévoit Clément Gignac. Désynchronisation de la croissance économique entre les diverses régions du monde, désynchronisation des politiques monétaires, et par ricochet, volatilité accrue des devises.
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L'économiste en chef d'Industrielle Alliance s'attend à ce que la croissance de l'économie s'accélère aux États-Unis, autour de 3,5 %. Par contre, le Japon est retombé en récession pour des raisons techniques (une hausse de la taxe à la consommation), l'Europe est anémique, tandis que les pays émergents comme la Chine sont en décélération. «Ces divergences risquent de créer pas mal d'action du côté des politiques monétaires et de générer de la volatilité dans les marchés en 2015», dit-il.
À cela s'ajoute la décision de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) de ne pas réduire la production, un geste qui a fait s'effondrer les prix et génère de l'incertitude. «Il est difficile de savoir où se trouve le nouveau prix d'équilibre. Est-ce 65, 55 ou 70 $ US [le baril de brut de référence] ?» demande-t-il. C'est un changement de stratégie sans précédent dans l'histoire de l'OPEP. «Ce ne sont plus les prix qui guideraient les décisions, mais les parts de marché.» M. Gignac se demande toutefois combien de temps l'OPEP pourra tenir le coup : l'Arabie saoudite veut protéger son marché contre la croissance du pétrole de schiste américain et les sables bitumineux. Elle a les réserves financières requises pour attendre. Cependant, d'autres producteurs de l'OPEP tels que le Venezuela et le Nigeria sont très touchés par la chute de prix, tout comme la Russie, qui n'est pas membre du cartel, mais qui en est un acteur majeur.
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Cela rend problématiques les prévisions pour le marché boursier canadien, qui compte plus de 20 % de titres énergétiques. M. Gignac attribue 66 % de chances au scénario de prix pétroliers faibles pendant deux ans et 33 % à celui qui prévoit que les tensions au sein de l'OPEP conduisent à des réductions de production en 2015. «Pour quelqu'un qui a un horizon de placement de trois ou quatre ans, la correction des titres pétroliers est une occasion d'achat. Mais si c'est pour quelques mois, c'est risqué.» Il s'attend néanmoins à un rendement positif du S&P/TSX en 2015, notamment parce que les bas taux d'intérêt et un huard faible soutiendront la profitabilité des entreprises.
Dans ce contexte, il privilégie le marché boursier américain. «Il offre un meilleur profil risque/rendement. Il est plus diversifié, et les bénéfices devraient continuer de croître grâce à la croissance économique.» Puisque la baisse des prix des carburants est bénéfique pour les ménages, il pense que les titres liés à la consommation devraient bien performer.
Il prévoit que la Réserve fédérale américaine commencera à hausser légèrement son taux directeur, tandis que la Banque du Canada pourrait rester au neutre si les prix du pétrole sont trop faibles. Rien de bien bon pour le marché obligataire.
En Europe, en raison d'une quasi stagnation, la Banque centrale européenne devrait accroître ses interventions en 2015 tandis que la baisse du prix du pétrole aidera les entreprises. M. Gignac croit que le marché boursier européen offre des perspectives intéressantes en 2015, mais que la croissance restera anémique pendant les deux prochaines années.
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«L'économie nord-américaine devrait connaître une bonne croissance en 2015, particulièrement celle des États-Unis.» - Luc Vallée, stratège en chef chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne
Cibles des principaux indices à la fin de 2015 :
S&P 500 : 2 200 points
S&P/TSX : 16 000 points
Répartition de l'actif :
Plus : les banques et pharmaceutiques américaines et les entreprises de consommation discrétionnaire.
Moins : les pétrolières et les minières
L'économie nord-américaine devrait connaître une bonne croissance en 2015, particulièrement celle des États-Unis. Luc Vallée s'attend à ce que nos voisins enregistrent une progression de 3,2 % de leur produit intérieur brut, alors qu'au Canada, l'avancée serait moindre, autour de 2,5 %, en raison du poids des ressources naturelles dans l'économie. Ici comme au sud, l'inflation demeurera sous contrôle, à environ 2 %, et la Réserve fédérale américaine augmenterait ses taux vers la fin du premier semestre pour les porter vers 0,75 % à 1 % à la fin de 2015. «L'économie américaine est prête à sortir de cette politique de taux d'intérêt à zéro», estime le stratège en chef de Valeurs mobilières Banque Laurentienne.
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La Banque du Canada sera plus attentiste, compte tenu de la relative faiblesse de la croissance. De 1 % actuellement, le taux directeur n'augmenterait qu'à 1,25 % à la fin de l'an prochain.
En Europe, où l'économie stagne, M. Vallée s'attend à ce que la croissance reprenne modérément, à près de 1 %. La Banque centrale européenne se montrera plus agressive dans ses mesures de stimulation de la relance. «Je m'attends à un dénouement de la crise européenne en 2015», dit-il, en notant que la baisse de l'euro aidera également les entreprises à exporter.
Et les Bourses, alors ? «Tout ce qui monte redescend», lance Luc Vallée, notant que les marchés nord-américains ont encore progressé en 2014 et que les ratios sont élevés. Il s'attend à un marché plus volatil qui pourrait même conduire à une correction, qui serait toutefois aisément «digérée» en raison de la bonne tenue de l'économie. Tant aux États-Unis qu'au Canada, il s'attend à une progression des principaux indices, à laquelle il faut ajouter les rendements de dividende de 2 % à 3 %. «Ce seront des rendements décents, mais pas aussi élevés que ceux des dernières années.»
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Même si les deux marchés risquent de faire à peu près la même chose, M. Vallée penche toutefois davantage vers l'américain, plus diversifié que son pendant canadien.
Il suggère de sous-pondérer les matières premières, soit le pétrole et les métaux, compte tenu de la chute des prix en cours. Tout cela finira par toucher le fond, mais «il est trop tôt pour entrer dans le pétrole», dit-il, surtout du côté des entreprises purement productrices. Si on veut mettre de l'énergie dans son portefeuille, il suggère de regarder les sociétés intégrées, qui font le raffinage et la vente au détail.
En contrepartie, il a un faible pour les entreprises pharmaceutiques et les entreprises qui évoluent dans le secteur de la «consommation discrétionnaire», les Dollarama, McDonald's et chaînes hôtelières de ce monde. Il propose aussi le secteur bancaire, mais américain, pas canadien. «Les banques canadiennes sont chères. Les américaines se vendent deux fois moins cher par rapport à leur valeur aux livres», dit-il.
Enfin, les investisseurs qui achèteront des titres américains ne devraient pas se couvrir contre les risques de change. Comme d'autres stratèges, il s'attend à ce que le dollar américain continue de progresser et à ce que le huard faiblisse, ce qui accroîtra les rendements libellés en billets verts.
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«La tendance qui dominera 2015 sera le retour en force des pays émergents.» - Martin Roberge, stratège et analyste quantitatif chez Canaccord Genuity
Cibles des principaux indices à la fin de 2015 :
S&P 500 : 2 200 points
S&P/TSX : 16 000 points
Répartition de l'actif :
Plus : Les actions américaines de consommation et un indice composite des pays émergents et de la Chine
Moins : Les actions canadiennes de «faible volatilité» (consommation de base, télécoms, REITs) versant un important dividende, les titres pétroliers
Selon Martin Roberge, la tendance qui dominera 2015 sera la transition, des pays développés vers les pays émergents, des efforts de relance des économies par les banques centrales. «En Amérique du Nord, l'économie redémarre et l'assouplissement quantitatif est terminé ; en Europe, il reste encore fort à faire, mais on assistera à un retour en force des pays émergents.» À terme, croit-il, cela devrait conduire à une meilleure synchronisation des économies dans le monde.
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Toutefois, on ne se dirige pas vers un resserrement monétaire dans l'immédiat. «Aux États-Unis, les probabilités ont diminué considérablement. La Réserve fédérale se montre davantage préoccupée par les données globales - et pas seulement les données américaines. La hausse du dollar américain ralentit les exportations, tandis que les attentes inflationnistes ont chuté dramatiquement.» Il ne s'attend donc pas à une hausse des taux d'intérêt aux États-Unis, pas plus qu'au Canada d'ailleurs. «La Banque du Canada est coincée : imaginez ce qui arriverait au dollar canadien si elle haussait son taux directeur au moment où la Chine et l'Inde baissent les leurs. Le huard grimperait et le Canada ne serait plus concurrentiel. La Chine et l'Inde iraient acheter leur minerai au Chili.»
Dans un contexte de croissance ralentie des économies émergentes et d'augmentation de la production de pétrole aux États-Unis, le stratège de Canaccord Genuity s'attend à ce que la Bourse canadienne sous-performe par rapport à sa contrepartie américaine, en raison du poids de l'énergie et des métaux. «Au Canada, le secteur des ressources représente 35 % du marché, alors qu'aux États-Unis, c'est 15 %.» À son avis, le prix du pétrole restera faible tant que l'OPEP ne réduira pas sa production.
Il pense toutefois que les titres pétroliers ont trop chuté, en raison d'une sur-réaction des investisseurs. «Il y a au Canada beaucoup de sociétés de qualité comme Suncor ou Canadian Natural Resources, dont les titres ont beaucoup trop plongé.» Il s'attend à un redressement, mais plus lent que celui du reste du marché boursier.
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Que faire alors ? «Il faut favoriser le secteur intérieur des États-Unis.» Autrement dit, les titres de consommation de base et discrétionnaire ou encore les financières.
Ce qu'il faut éviter : ce qu'il appelle «le nouveau mantra» des gestionnaires, le low volatility trade, un style qui privilégie les titres canadiens de faible volatilité versant d'importants dividendes. Dans ce groupe, on retrouve les titres de consommation de base (les magasins d'alimentation par exemple), de consommation discrétionnaire ou encore les fiducies immobilières, les sociétés de télécoms et les pipelines. «C'est la prochaine bulle», affirme-t-il, signalant qu'un grand nombre d'investisseurs sont rués sur ces titres en cette période de faibles taux d'intérêt.
Enfin, il favorise les pays émergents. «Ils se vendent à 11 fois les bénéfices alors que c'est 12-13 fois en Europe et 15 fois aux États-Unis.» Sa stratégie privilégiée : acheter un indice de la Chine et un autre plus vaste des pays émergents, afin de réduire les risques.
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«Pour la première fois en 20 ans, le dollar américain est dans un cycle haussier.» - Stéfane Marion, économiste et stratège en chef de la Banque Nationale
Cibles des principaux indices à la fin de 2015 :
S&P 500 : 2 200 points S&P/TSX : 16 200 points
Répartition de l'actif :
Plus : les actions américaines, les financières et certaines industrielles canadiennes
Moins : les pays de ressources comme la Russie et le Brésil
Si la chute des prix du pétrole génère de l'incertitude au Canada, son impact, conjugué aux injections de liquidités par les banques centrales un peu partout dans le monde sont de bonnes nouvelles pour l'économie mondiale. «On a un peu plus de potentiel de croissance en poche (pour 2015)», dit Stéfane Marion, l'économiste et stratège en chef de la Banque Nationale.
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Aux États-Unis, l'économie s'accélère, grâce aux consommateurs qui ont davantage accès au crédit. «C'est porteur», croit-il. Le billet vert américain est dans un cycle haussier pour la première fois depuis 20 ans, exception faite de la crise de 2008, au cours de laquelle il a agi comme refuge.
Au Canada, la situation est plus mitigée. La chute des prix pétroliers aura un effet décélérant sur l'économie des provinces de l'Ouest. Mais stimulant pour celle des provinces manufacturières, l'Ontario et le Québec. Non seulement une énergie moins chère réduit les coûts de production des fabricants, mais la baisse de valeur du huard leur permettra de réaliser davantage de bénéfices à l'exportation.
M. Marion serait toutefois étonné que le prix du baril reste déprimé bien longtemps. «À 63 $ US, l'Arabie saoudite enregistre un déficit de son compte courant, une situation intolérable pour elle». Il s'attend à ce qu'elle réduise sa production ou réclame une réunion de l'OPEP. En 2015, il prévoit que le prix oscillera entre 70 et 90 $ US, soutenu par une demande mondiale accrue. «L'économie chinoise ne décélérera pas beaucoup plus et celle de l'Inde, dont le pétrole constitue le tiers des importations, pourrait surprendre.»
Quant aux taux d'intérêt, il ne voit pas beaucoup de hausses du côté de la Réserve fédérale américaine, compte tenu de la faiblesse de l'inflation. Ni au Canada d'ailleurs.
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Il privilégie le marché boursier américain, même s'il convient qu'il «n'est pas une aubaine». On pourrait assister à une expansion des multiples cours/bénéfices, ce qui ferait grimper le S&P 500 aux environs de 2 220 points dans un an.
Au Canada, la Bourse est plombée par les titres pétroliers. «Si le baril se stabilise autour de 80 $ US et que le huard se maintient dans les 85 cents américains, les choses se passeront bien. Les investisseurs pourraient revenir vers le secteur énergétique.» M. Marion a un penchant pour les sociétés industrielles canadiennes qui exportent ou qui profitent des investissements dans les infrastructures au sud de la frontière. Par contre, en raison d'un billet vert en hausse, les titres des minières souffriront.
Les pays émergents ne sont pas tous égaux, note-t-il par ailleurs. Le Brésil et la Russie, gros producteurs de matières premières, connaîtront des difficultés, alors que la Chine et l'Inde, des consommateurs de ressources, vont mieux s'en tirer.
Une mise en garde : il y aura plus de volatilité du côté des monnaies. Le Japon a une stratégie de dépréciation de sa devise et l'euro est sur une pente descendante. «Les investisseurs doivent prendre garde à la composante du taux de change. Cela pourrait annuler les hausses [de certaines Bourses à l'étranger].»
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