Au moment où l'économie canadienne bat de l'aile, la perspective d'investir dans les titres des transporteurs ferroviaires Canadien National ou Canadien Pacifique pourrait effrayer certains investisseurs. Pourtant, des analystes estiment que le paysage canadien pourrait s'éclaircir et expliquent pourquoi ils préfèrent le titre du CP à celui du CN.
Investir dans le Canadien National (Tor., CNR, 74,37 $) ou le Canadien Pacifique (Tor., CP, 188,16 $) ? Les deux transporteurs représentent de bons placements, disent généralement les analystes, mais une majorité voit un potentiel plus important du côté du CP.
Voici d'abord quelques chiffres en rafales pour mettre les choses en perspective.
Lors de l'année financière 2014, le CN a réalisé des revenus de 12,1 milliards de dollars, en hausse de 15 % par rapport à l'exercice précédent. Lors du même exercice, le CP a engrangé des revenus de 6,6 G$, en progression de 8 % par rapport à l'exercice 2013.
Toujours en 2014, le CN a réalisé un bénéfice par action de 3,76 $, une augmentation de 23 % comparativement à 2013, tandis que le CP a dégagé un bénéfice par action de 8,50 $, en progression de 32,4 % par rapport à 2013.
Leurs capitaux propres ont respectivement enregistré un rendement de 23,5 % et de 26,3 %.
Une préférence pour le CP
Selon Bloomberg, les deux tiers des 34 analystes qui suivent le Canadien Pacifique recommandent d'acheter le titre, tandis que le tiers seulement des 31 analystes qui suivent le Canadien National en préconisent l'achat. La préférence s'explique principalement par une question de ratio.
Le ratio cours/bénéfice du CP est inférieur à sa moyenne historique des cinq dernières années. Le titre se négocie à 18 fois le bénéfice prévu à la fin de 2015, alors que sa moyenne historique est de 19,7 fois, indique la Financière Banque Nationale (FBN).
Pour sa part, le titre du Canadien National se négocie à 17,6 fois les bénéfices comparativement à un ratio moyen de 17,1 depuis cinq ans.
Surtout, alors que les deux multiples sont rapprochés l'un de l'autre, les analystes prévoient que les bénéfices du CP devraient progresser nettement plus rapidement que ceux du CN au cours des prochaines années. Le consensus Thomson Reuters s'attend à ce que les bénéfices du CN bondissent de 12 % en 2015, de 10,2 % en 2016 et de 12 % en 2017, tandis que ceux du CP devraient s'accroître de 20,6 % cette année, de 18,4 % l'an prochain et de 14,8 % en 2017.
Un ratio quasi identique avec une progression des bénéfices plus importante signifie que l'investisseur paiera moins cher le titre du CP.
Pourquoi les bénéfices du CP devraient augmenter plus vite
Aux yeux des analystes, la rentabilité du CP devrait s'intensifier plus rapidement en raison des améliorations opérationnelles en cours.
«Nous continuons à recommander les actions du CP en raison de son dynamisme opérationnel, de son leadership dans l'industrie, en ce qui a trait à la croissance des bénéfices, et de sa superbe équipe de direction», expliquent dans une note les analystes de Raymond James.
Malgré les turbulences dans l'industrie ferroviaire, le ratio d'exploitation du transporteur (les coûts d'exploitation par rapport aux ventes nettes) a atteint un nouveau record de 60,9 %.
Ce ratio mesure la capacité de la direction à utiliser les actifs de l'entreprise de façon optimale afin de générer des revenus. Plus le ratio est bas, plus une société est en mesure de générer des bénéfices même si ses revenus diminuent.
Pour l'ensemble de 2016, les analystes de Raymond James prévoient que le ratio d'exploitation du Canadien Pacifique s'établira à 57,9 %.
Au deuxième trimestre de 2015, le CN a pour sa part réalisé un ratio de 56,4 %, ce qui est mieux que son rival. Toutefois, pour l'ensemble de 2016, il devrait s'établir à 60 %, selon les analystes de Valeurs mobilières Desjardins.
D'où viennent les gains d'efficacité du CP ?
De plusieurs sources, affirme Fadi Chamoun, analyste chez BMO Marchés des capitaux.
«La longueur des convois a augmenté de 3 %, la productivité des locomotives, de 13 %, un réseau amélioré permet de plus grandes vitesses et la durée des arrêts a diminué», écrit-il dans un récent rapport.
Fait à noter, le CP et le CN affichent généralement de meilleurs ratios de performance que les transporteurs américains.
Le ratio d'exploitation de CSX, qui a un terminal intermodal à Salaberry-de-Valleyfield, au sud-ouest de Montréal, est de 70,1 % ; ceux de Norfolk Southern et d'Union Pacific sont respectivement de 70,4 % et de 63,1 %.
Cela signifie non seulement que les transporteurs canadiens sont plus efficaces que leurs concurrents américains dans la conjoncture actuelle, mais qu'ils seront mieux positionnés pour profiter d'une éventuelle croissance de l'industrie ferroviaire en Amérique du Nord au cours des prochaines années.
Pas sans risque ; certains doutent
Bien qu'une majorité d'analystes soient optimistes à l'égard du titre du CP, certains ont des doutes. Y investir n'est pas sans risque. Depuis quelques mois, les données fondamentales de l'industrie ferroviaire battent de l'aile, ce qui nuit au transporteur de l'Ouest canadien tout comme, du reste, au CN.
Les volumes transportés par les deux sociétés diminuent. L'économie ralentit au Canada et en Chine. Le prix des ressources est en vrille, tel que l'illustre le recul de 15 % de l'indice du prix des commodités CRB depuis un an.
Ces facteurs font baisser la production de biens, de matières premières et de ressources naturelles au Canada et, dans une moindre mesure, aux États-Unis. Ce qui réduit du coup la demande pour les services des transporteurs ferroviaires.
Les pessimistes estiment qu'une stabilisation de l'industrie pourrait ne pas être en vue avant longtemps.
La Chine affronte trois problèmes majeurs, selon une étude publiée en 2014 par le Conference Board («The Long Soft Fall in Chinese Growth»). Sa population diminue, le rendement de l'investissement décline et la productivité chute.
L'organisme prévoit que la croissance du PIB chinois se stabilisera à environ 4 % par année, après 2020. Or, de 1989 à 2014, le PIB chinois a augmenté en moyenne de 9,1 % par année, d'après le National Bureau of Statistics of China.
Le charbon, que différentes législations et réglementations tentent d'éliminer graduellement, cause aussi problème. Il est l'une des ressources qui nuisent le plus aux données fondamentales. Cherilyn Radbourne, analyste chez Valeurs mobilières TD, souligne qu'il représentait respectivement 7 % et 10 % des activités du CN et du CP en 2014. De janvier à mars 2015, la production de charbon aux États-Unis a en outre encore reculé de 2 % par rapport à la même période en 2014, selon l'Energy Information Administration, une agence fédérale américaine.
Comme si les attaques réglementaires et les ralentissements des économies canadienne et chinoise ne suffisaient pas, l'OPEP cherche actuellement à mater les producteurs pétroliers nord-américains.
Depuis un an, le prix du baril de pétrole (le West Texas Intermediate) a dégringolé de 49 % et ne cote plus aujourd'hui qu'à 45 $ US.
La chute des cours de l'or noir commence à nuire à la production de pétrole brut au Canada.
Après avoir progressé de manière constante l'automne dernier, cette production a glissé de 4,1 à 3,4 millions de barils de pétrole par jour de février à mai 2015, soit un recul de 16 %, révèlent les dernières données de l'Office national de l'énergie. Ce recul a été ressenti dans les volumes du CP. Au deuxième trimestre, les revenus provenant du transport de pétrole ont chuté de 29 % par rapport au même trimestre de 2014, souligne la FBN.
D'autres croient
Bien qu'ils reconnaissent que la conjoncture économique s'est récemment assombrie, les optimistes font valoir que les astres sont sur le point de s'aligner en faveur d'une reprise dans l'industrie ferroviaire à moyen terme.
D'une part, l'économie américaine reprend de la vigueur. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB réel progressera de 2,5 % en 2015, puis de 3 % en 2016.
D'autre part, le CP et le CN profitent de plus en plus de l'accroissement de la conteneurisation des marchandises sur de longues distances en Amérique du Nord. Ce processus coûte moins cher le transport des marchandises par camions.
Actuellement, le transport ferroviaire compte pour 40 % de tout le fret transporté aux États-Unis, selon la Federal Railroad Administration, une agence gouvernementale américaine. Et cette proportion est en progression.
Les recommandations des analystes
CP - Canadien Pacifique (Tor., CP)
› Achat 22
› Conserver 11
› Vendre 1
› Cours cible moyen 226,23 $
› Variation sur 5 ans + 202,6 %
› Le cours sur 5 ans (de sept. 2010 à sept 2015) 188,16 $ au 25 sept. 2015
› Croissance du bénéfice par action 2011-2016 + 281,1 %
CN - Canadien National (Tor., CNR)
› Achat 12
› Conserver 19
› Cours cible moyen 84,44 $
› Variation sur 5 ans + 125,6 %
› Le cours sur 5 ans (de sept. 2010 à sept 2015) 74,37 $ au 18 sept. 2015
› Croissance du bénéfice par action 2011-2016 + 92,9 %