Au moment où la faiblesse de l'économie canadienne pèse sur les grandes banques du pays, les compagnies d'assurance vie attirent de plus en plus l'attention des investisseurs qui cherchent des actions alliant croissance et dividende. Si l'«inévitable hausse des taux d'intérêt» qui doit leur donner un élan se fait toujours attendre, leurs perspectives favorables ne se limitent pas qu'au rendement des obligations.
Stéphane Rochon, vice-président et chef de la recherche chez BMO Nesbitt Burns, préfère les assureurs aux grandes banques canadiennes. «Dans les prochaines années, les assureurs devraient être en mesure de livrer une croissance annuelle du bénéfice par action de 10 % à 12 %, explique le stratège. Pour les banques, ça devrait être la moitié de ce rythme.»
L'expansion à l'international est l'une des avenues de croissance qu'aiment les experts interrogés. À l'exception de l'Industrielle Alliance (Tor., IAG), qui est plus régionale, la Financière Manuvie (Tor., MFC), la Financière Sun Life (Tor., SLF) et la Great-West (Tor., GWO) tirent toutes plus de 50 % de leurs bénéfices à l'étranger, selon les données compilées par RBC Marchés des Capitaux. «L'expansion à l'étranger est bienvenue, tandis que la situation économique n'est pas très bonne au Canada», ajoute M. Rochon.
Au même titre que les grandes banques canadiennes, les assureurs ont diversifié leurs activités vers la gestion de patrimoine ces dernières années. Ces activités procurent des marges bénéficiaires plus élevées que l'assurance traditionnelle, commente Michael Sprung, président de Sprung Investment Management à Toronto. «Compte tenu de l'arrivée massive des baby-boomers à la retraite, la tendance démographique est très favorable aux produits liés à la retraite [services-conseils, rentes viagères]», explique-t-il en entrevue.
L'assurance traditionnelle reste cependant une industrie ingrate pour les investisseurs qui accordent une importance à la popularité d'une marque, prévient Vincent Lui, analyste chez Morningstar. «Les clients accordent peu d'importance à la réputation des assureurs lorsqu'ils magasinent leur police d'assurance, rappelle l'analyste. Pour cette raison, la concurrence est féroce, ce qui exerce une pression sur les prix. Puisque les polices d'assurance vie et les rentes s'étalent sur de longues périodes, les coûts futurs de ces produits sont hautement incertains.»
Les taux d'intérêt, un facteur moins décisif que par le passé
Impossible de parler des assureurs sans évoquer la question des taux d'intérêt. Néanmoins, les compagnies d'assurance vie ont fait de grands efforts pour limiter leur sensibilité aux mouvements des taux d'intérêt. «Depuis la crise financière, les assureurs ont recours aux produits dérivés afin de réduire les effets défavorables des taux d'intérêt, constate M. Sprung. De plus, ils ont diversifié leur offre dans la gestion de patrimoine. Les taux devraient monter à long terme et cela sera profitable, mais je crois que c'est un facteur moins décisif que par le passé.»
Le rendement des obligations à long terme revêt tout de même une importance particulière pour les assureurs. Une augmentation des taux d'intérêt aurait pour effet de réduire la valeur de leur passif, explique Stéphane Rochon, de BMO Nesbitt Burns. «Une bonne partie des liquidités tirées des primes d'assurance sont réinvesties dans le marché obligataire, ajoute-t-il. Avec des taux plus élevés, ils obtiennent davantage de revenus.»
La hausse des taux se fait toutefois attendre alors que l'économie canadienne traverse un passage à plat. Depuis janvier 2014, la distribution des obligations 10 ans du gouvernement du Canada a perdu un point de pourcentage, passant de 2,7 % à 1,5 %. À ce seuil, M. Rochon pense qu'une hausse est plus que probable, même s'il est impossible de dire à quel moment exact elle surviendra. «En attendant, les assureurs réussissent à présenter de bons résultats, même sans augmentation des taux», soutient le stratège.
Pour un investisseur, la sensibilité des assureurs aux taux d'intérêt apporte un élément de diversification supplémentaire à un portefeuille. «Ça protège les portefeuilles, précise M. Rochon. Généralement, les actions performent moins bien lorsque les taux d'intérêt montent, contrairement à celles des assureurs.»
Manuvie, la grande favorite des experts ; Sun Life, leur deuxième choix
Que ce soit en Asie, aux États-Unis ou au Canada, la Financière Manuvie (Tor., MFC) semble en bonne position sur tous les fronts. La plus importante compagnie d'assurance vie du Canada est la favorite des analystes et des gestionnaires de portefeuille que nous avons interrogés.
En moins d'un an, l'entreprise dirigée par Donald A. Guloien a conclu plusieurs transactions majeures, ce qui plaît à Christine Poole, pdg et gestionnaire de portefeuille chez GlobeInvest Capital Management à Toronto. Manuvie s'est emparée des activités canadiennes de Standard Life pour quatre milliards de dollars et des activités de retraite de New York Life, pour un montant non dévoilé. Elle a aussi signé une entente de 15 ans en vue de vendre ses produits d'assurance au sein des succursales de la banque DBS, de Singapour. La semaine précédente, elle a également annoncé l'acquisition des activités de régime de retraite à Hong Kong de la banque britannique Standard Chartered. Le montant de la transaction est tenu confidentiel, mais il avoisinerait les 400 millions de dollars.
«La crise financière a fait mal à tous les assureurs canadiens, rappelle en entrevue la gestionnaire de portefeuille de Toronto. Mais les choses se sont améliorées pour Manuvie, qui réussit à accroître son rendement du capital et sa valeur comptable. Ces transactions démontrent que la direction est prête à poursuivre sur la voie de la croissance. Cela lui permettra d'augmenter régulièrement son dividende.»
Christine Poole n'est pas la seule à préférer Manuvie aux autres titres du secteur. L'assureur torontois est de loin le préféré des analystes. Ils sont 85 % à en recommander l'achat. Manuvie distance ainsi la Sun Life, qui obtient une cote d'amour de 58 %. Elle performe également mieux que la Banque TD (Tor., TD), la favorite du secteur bancaire canadien. Les recommandations d'achat représentent 62 % des verdicts pour la deuxième institution financière du pays.
Avantage Manuvie, grâce aux États-Unis
La bonne tenue des activités américaines de Manuvie aide l'assureur torontois à se démarquer de ses pairs. La Sun Life (Tor., SLF), pour sa part, éprouve encore des difficultés avec ses fonds communs gérés pour les investisseurs institutionnels aux États-Unis. La gestion indicielle gagne en popularité auprès de cette clientèle. La Great-West, quant à elle, est aux prises avec les pertes enregistrées par sa division américaine Putnam.
D'ailleurs, les difficultés de MFS, le gestionnaire américain d'actifs de la Sun Life, font en sorte que la société devient le deuxième choix des financiers sondés. Mario Mendoca, de Valeurs mobilières TD, résume bien l'humeur de la majorité des analystes. Il recommande l'achat de Manuvie et de Sun Life, mais précise que, sans l'apport d'une forte croissance des activités de MFS, «la Sun Life continuera à afficher une croissance inférieure à celle de Manuvie».
La semaine dernière, la Sun Life a fait part de son intention d'acheter Assurant, le spécialiste des régimes d'avantages sociaux, pour 975 M$ US. Une fois la transaction conclue (ce qui est prévu au début de 2016), la Sun Life arrivera sixième parmi les plus importants fournisseurs de régimes d'assurance en entreprise (elle arrivait neuvième), note Robert Sedran, de Marchés mondiaux CIBC. La transaction est une bonne nouvelle, car elle permettra à la société de faire des économies d'échelle, selon lui. L'analyste émet une recommandation «performance de secteur» et une cible de 47 $.
La croissance en Asie, un autre atout pour Manuvie
Manuvie est l'assureur canadien le plus présent en Asie. Près de 30 % de ses revenus proviennent de cette région, par rapport à 12 % pour la Sun Life. L'essor de la classe moyenne dans les pays asiatiques, à l'exception du Japon, est un vecteur de croissance considérable, estime Peter Routledge, de la Financière Banque Nationale. «Si ce segment continue sur cette voie au cours des prochains trimestres, cela sera très positif pour la valeur du titre», écrit-il.
Le ralentissement de l'économie chinoise risque cependant d'être le grain de sable dans l'engrenage. La direction a d'ailleurs reconnu que la tendance haussière devrait «prendre une pause» au cours du trimestre actuel, dont les résultats seront dévoilés le 13 novembre.
Pour Michael Sprung, président de Sprung Investment Management, cette faiblesse sera passagère. «J'imagine que les résultats seront un peu moins éclatants, répond en riant le portefeuilliste. Mais à long terme, les ententes de distribution [comme celle signée avec DBS] permettront à la société de faire très bien.»
Industrielle Alliance : la régionale abordable
«L'Industrielle Alliance n'est pas exposée à nos vecteurs de croissance préférés : les États-Unis et l'Asie.» Le commentaire de Mario Mendonca, de Valeurs mobilières TD, traduit l'humeur de la plupart des analystes, qui préfèrent miser sur les assureurs qui prennent de l'expansion à l'international, à l'instar de Manuvie et de la Sun Life. L'analyste suggère de conserver le titre de l'assureur de Québec et lui accorde une cible de 47 $.
L'Industrielle Alliance tire près de 90 % de ses revenus de primes souscrites au Canada, estime Vincent Lui, de Morningstar. À ses yeux, la concentration de ses activités au Canada est «à double tranchant». L'analyste admet qu'il y a un risque de concentration, mais il note que la société a tout de même réussi à profiter d'une économie «relativement stable».
Les activités de l'Industrielle dans les fonds communs suscitent également des interrogations. Depuis cinq trimestres, ses fonds subissent des sorties de capitaux. Peter Routledge, de la Financière Banque Nationale, croit que ce vent contraire ne changera pas de direction à court terme. Ce qui risque de plomber son évaluation en Bourse.
En contrepartie, l'action de l'Industrielle se négocie à un rabais de 14 % vis-à-vis de ses pairs, note M. Routledge. «C'est un écart beaucoup plus important que le rabais de 5 % au cours des deux dernières années. On peut se demander s'il s'agit d'une occasion d'achat.»
La réponse est non, poursuit l'analyste, qui maintient sa recommandation «performance de secteur» et réitère sa cible de 46 $. Une augmentation des taux aurait un effet fortement favorable sur le titre, estime-t-il. «Même si l'action profitait d'un élan substantiel à la suite d'une hausse des taux, cette perspective semble distante, précise M. Routledge. Dans l'attente, les difficultés des fonds communs vont continuer à se faire sentir sur la valeur de son action.»
Doug Young, de Desjardins Marché des capitaux, a une opinion différente. Même s'il est d'avis que les défis des fonds communs persisteront, il est l'un des rares analystes à considérer que l'évaluation «attrayante» du titre mérite une recommandation d'achat. Sa cible est de 48 $.
Fait à noter, les actionnaires de l'Industrielle Alliance devraient surveiller davantage les aléas de la Bourse que ceux des taux d'intérêt, pense Peter Routledge. Il estime qu'une correction de 25 % de la Bourse ferait en sorte que les ratios de solvabilité de l'Industrielle chuteraient sous les 200 %, ce qui forcerait l'assureur de Québec à recueillir des capitaux auprès des investisseurs.
Great-West : l'ancienne première de classe en difficulté
La Great-West (Tor., GWO) jouit d'une bonne réputation. Considéré comme prudent et bien géré, l'assureur de Winnipeg commande traditionnellement une évaluation plus généreuse en Bourse. Mais il peine à générer des bénéfices au sein de sa division Putnam Investments aux États-Unis.
La Great-West, un des principaux actifs de la Corporation Financière Power (Tor., PWF), est une société «très bien gérée» qui possède d'«excellentes divisions» et une «enviable» diversification régionale, salue Peter Routledge, de la Financière Banque Nationale. Ces bons commentaires surprennent de la part d'un analyste qui recommande de vendre. «Cela dit, un vent de face répété nuira à la croissance pour les quatre à six prochains trimestres», prédit-il.
Les difficultés de Putnam Investments, acquise en 2007, compromettent la croissance des bénéfices. Le gestionnaire de portefeuille de Boston a enregistré une perte avant impôt au deuxième trimestre malgré des restructurations, note l'analyste de la Nationale. Il estime ainsi que la division n'ajoutera rien de positif jusqu'à la fin de 2017, l'horizon sur lequel il émet des prévisions. De plus, il juge que la direction se montre «évasive» sur les fruits espérés de la restructuration de son service de retraite Empower Retirement, au coût de 150 M$.
Tom MacKinnon, de BMO Marché des capitaux, est l'un des rares analystes à émettre une recommandation «surperformance». Il croit que le marché ne reconnaît pas le mérite du «solide» rendement des capitaux de 18 % enregistré en Europe. Même si la croissance des bénéfices s'est tempérée, il pense qu'elle reviendra au-delà des 10 % en 2016.
Michael Sprung, président de Sprung Investment Management, voit d'un bon oeil les activités de l'assureur au Royaume-Uni et en Irlande, notamment les actifs de l'Irish Life Group achetés pour 1,75 milliard de dollars en 2013. Il considère toutefois que les perspectives de croissance ne seront pas aussi bonnes que par le passé. «Traditionnellement, la Great-West a réussi à générer un rendement des capitaux supérieur à celui de ses pairs, mais les autres assureurs sont en train de combler cet écart.»
Le coin des analystes
Les recommandations pour le titre de Manuvie
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Cours cible : 26,43 $
Les recommandations pour le titre de Sun Life
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Cours cible : 47,92 $
Les recommandations pour le titre de l'Industrielle Alliance
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Cours cible : 47,10 $
Les recommandations pour le titre de la Great-West
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Cours cible : 38,00 $
Source : Bloomberg