Aux prises avec la volatilité des prix de la matière première et un jargon technique qui en rebute plusieurs, les investisseurs cogitent lorsque vient le moment d'investir dans le secteur de l'énergie. Trois titres boursiers qui ont récemment fait parler d'eux s'affrontent dans notre rendez-vous occasionnel : Suncor, MEG Energy et CNOOC.
SUNCOR - Une bonne droite avec Fort Hills
En août, les fonds de Berkshire Hathaway, conglomérat de Warren Buffett, ont confirmé un investissement majeur dans les sables bitumineux albertains de 534 millions de dollars américains pour mettre la main sur 17,8 millions d'actions de Suncor Energy à un prix unitaire d'environ 30 $. Le titre avoisine désormais les 37 $, un bond de plus de 23 %.
Est-il trop tard pour suivre les traces du légendaire investisseur ?
Non, si l'on se fit à David McColl, analyste de la firme Morningstar, qui estime la juste valeur marchande de l'action à 47 $ US, un gain potentiel supplémentaire de 27 % par rapport au cours actuel. Même enthousiasme du côté de l'analyste Randy Ollenberger, de BMO Marchés des capitaux, qui fixe son cours cible à 44 $ CA et sa recommandation à «surperformance de marché», en fonction d'un bénéfice par action de 3,46 $ CA en 2013 et de 3,06 $ CA en 2014.
Les analystes de Canaccord Genuity, de leur côté, disent notamment préférer Suncor à Imperial Oil, lui accordant un cours cible de 45 $. «Pendant que Suncor profite de forts flux de trésorerie et d'une discipline certaine en ce qui a trait à l'utilisation de son capital, Imperial Oil est sur le mode de l'"endettement élevé"», expliquent-ils.
Mario Zaccardelli, gestionnaire de portefeuille au sein de Lombard Odier & Cie, souligne que Suncor est efficace lorsque vient le moment de gérer son capital. «Les dirigeants y pensent deux fois avant de se lancer dans un nouveau projet.» Suncor a dévoilé la semaine dernière son programme d'investissements. L'entreprise prévoit investir 7,8 G$ en 2014, dont 220 M$ à Montréal.
M. Zaccardelli croit que le titre pourrait s'apprécier d'au moins 10 % d'ici 12 mois si la direction est en mesure d'augmenter progressivement le rendement du capital investi à 15 % au cours des prochaines années, en fonction d'un baril de pétrole supérieur à 85 $ US.
Marc Gagnon, gestionnaire de portefeuille - actions canadiennes, chez l'Industrielle Alliance, soulève lui aussi l'importance du prix du produit avant de dévoiler son cours cible de 45 $ CA. «En allant de l'avant avec le projet Fort Hills, Suncor se dote d'une avenue de croissance supplémentaire», ajoute-t-il. Un bémol subsiste, cependant. «Puisque la production de Suncor se situe à environ 50 % in situ et à 50 % mining [exploitation minière], la possibilité de réduire ses coûts de production est moindre que celle d'une entreprise comme MEG Energy, qui ne fait que de la production in situ, réputée pour faciliter la diminution du coût de revient» soulève-t-il.
MEG Energy - Un jeune candidat prometteur
MEG Energy - Un jeune candidat prometteur
À la suite d'un investissement supplémentaire de 400 millions de dollars en décembre 2012, la Caisse de dépôt et placement du Québec possède désormais 9 % des actions ordinaires de MEG Energy. La Caisse en détient une participation depuis 2004 et n'est pas la seule à déceler du potentiel chez cette société de Calgary. Même le géant CNOOC est un actionnaire d'importance de cette petite capitalisation. Le titre fait également l'unanimité chez les analystes consultés.
Pendant que Randy Ollenberger, de BMO Marchés des capitaux, accorde une recommandation de «surperformance de marché» au titre et un cours cible de 44 $, Kyle Preston, de la Financière Banque Nationale, l'ajoute sur sa liste d'achats prioritaires et lui alloue un prix cible similaire de 45 $. De leur côté, Jason Frew et Terence Chung, de Credit Suisse, voient le titre bondir à 51 $, laissant ainsi présager un rendement potentiel avoisinant les 60 % au cours actuel de 32 $.
«Les coûts de production de MEG Energy se sont améliorés au cours des dernières années grâce au programme d'efficacité RISER. Il s'agit d'un excellent opérateur qui possède de bons réservoirs pétroliers. Si l'entreprise atteint ses objectifs de production, c'est un titre qui pourrait s'approcher des 50 $ d'ici deux à trois ans», estime Marc Gagnon, de l'Industrielle Alliance. La société vise une production quotidienne de 80 000 barils dès le début de 2015 et de plus de 200 000 barils par jour d'ici la fin de 2019.
MEG est reconnue pour la très grande qualité de son portefeuille de propriétés de sables bitumineux dans l'Ouest canadien. Mario Zaccardelli, de Lombard Odier & Cie, y décèle ainsi un certain potentiel à long terme. «Le marché accorde très peu de valeur aux actifs qui ne sont pas en développement à l'heure actuelle», estime-t-il. Selon lui, ce point positif pour MEG cache cependant un risque éventuel pour l'actionnaire. En effet, la nécessité pour l'entreprise d'investir beaucoup de capital dans ses opérations de développement pourrait peut-être entraîner l'émission d'actions supplémentaires et une dilution pour les actionnaires actuels, dans l'éventualité d'un resserrement des conditions de crédit, par exemple.
«L'entreprise prévoit utiliser les flux de trésorerie générés au site de Christina Lake pour financer le projet Surmont et les cash flows [flux nets de trésorerie] tirés de ce dernier pour financer ses projets ultérieurs, mais ça demeure le scénario espéré dans le meilleur des mondes», dit M. Zaccardelli, en soulignant les risques opérationnels propres à l'industrie.
Tandis que Suncor jouit d'une certaine maturité, MEG Energy doit remplir beaucoup de promesses pour récompenser ses actionnaires. Des risques encore plus importants affligent cependant le troisième prétendant : CNOOC.
Avantage, poids plume !
Contrairement à Suncor, MEG Energy n'est pas en mesure de rendre le bitume extrait du sol plus léger, faute de posséder une usine de préraffinage qui transforme le bitume en pétrole léger synthétique. Elle le vend donc sous sa forme lourde. «Le bitume lourd se vend avec un escompte qui oscille habituellement entre 15 % et 35 %, et qui se situe actuellement à plus de 40 %. Suncor réalise donc des prix de vente plus élevés que MEG Energy», explique Marc Gagnon.
China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) - Le poids lourd au tapis
China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) - Le poids lourd au tapis
La Chine est le deuxième consommateur de pétrole après les États-Unis. Pékin souhaite donc garantir ses approvisionnements énergétiques en encourageant les sociétés chinoises à créer des partenariats stratégiques avec des groupes étrangers, comme celui annoncé récemment pour exploiter Libra, le plus grand gisement pétrolier découvert au Brésil à ce jour.
«La durée de vie des réserves de pétrole de CNOOC était faible auparavant. La multiplication des acquisitions à l'international, dont celle de Nexen en 2012 pour 15 milliards de dollars, vient donc remédier au problème», commente Mario Zaccardelli, de Lombard Odier & Cie, qui souligne le bon bilan financier de l'entreprise inscrite à la Bourse de Toronto depuis septembre. Ceci, malgré le risque associé aux investissements réalisés à fort prix à l'étranger.
Les défis technologiques propres aux gisements éloignés et de plus en plus complexes rendent cependant l'analyse de la rentabilité des nouveaux projets moins précise. «Le rendement du capital investi obtenu par CNOOC sera désormais moindre que celui réalisé par le passé», avertit-il.
Même à une valorisation actuelle de moins de huit fois les bénéfices prévus, M. Zaccardelli demeure relativement prudent à l'égard de ce titre. «L'implication du gouvernement chinois soulève des questions sur les orientations futures de la société. Les intérêts des petits actionnaires sont-ils pris en considération ? Les dirigeants doivent-ils composer avec un objectif caché ? Le gouvernement exercera-t-il un contrôle continu sur le prix de la matière première ?» avance-t-il pour expliquer l'escompte que le marché accole au titre.
Robert Bellinski, analyste chez Morningstar, évalue la juste valeur marchande du titre américain (NY, CEO) à 228 $ US, une prime potentielle plutôt faible d'environ 14 % sur le cours actuel de 200 $ US. Le consensus se situe légèrement plus bas, à 225 $ US.
Le titre canadien (Tor., CNU) n'est que très peu liquide. Il enregistre quotidiennement un faible volume de transactions, et la différence monétaire qui subsiste entre l'offre et la demande est parfois très significative.