Le livre Poor Charlie's Almanack comporte la transcription de 11 présentations orales qu'a livrées Charlie Munger, partenaire de longue date de Warren Buffett, la plupart devant un parterre d'étudiants universitaires. Chacune d'entre elles est fascinante et contient de nombreuses perles de sagesse. Mais je crois que c'est la dernière du livre, la onzième et la plus longue, qui remporte la palme : «The Psychology of Human Misjudgment» (La psychologie du jugement erroné).
Dans cette présentation, Munger énumère 25 biais psychologiques qui amènent souvent les gens à commettre des erreurs de jugement. Bien que chacun de ces travers soit important, voici ceux qui, à mon avis, concernent particulièrement les investisseurs :
> La tendance à mésestimer la puissance des récompenses et des punitions. Pour Charlie Munger, les mesures incitatives et «désincitatives» (généralement financières) sont particulièrement puissantes pour changer ou orienter le comportement d'un individu. C'est pourquoi le mode de rémunération des dirigeants et les objectifs financiers en fonction desquels la rémunération est calculée sont importants pour l'actionnaire qui investit à long terme dans une entreprise. Pour ma part, j'estime que ce biais est pour l'essentiel éliminé lorsque les dirigeants sont aussi d'importants actionnaires de la société qu'ils dirigent.
> La tendance à aimer. M. Munger est convaincu que l'être humain est génétiquement programmé pour aimer son prochain ; il cherche aussi à être apprécié de ses semblables. Selon lui, «une conséquence tangible de cette tendance est qu'elle nous conditionne : 1) à fermer les yeux sur les défauts de l'objet de cette affection et à répondre à ses souhaits ; 2) à favoriser les gens, les produits et les actions qui sont associés à l'objet de cette affection». Dans le monde de l'investissement, je crois que les biais affectifs expliquent en grande partie pourquoi les investisseurs ont tendance à «tomber amoureux d'un titre». Or, comme le dit l'adage, «l'amour est aveugle».
> La tendance à éviter le doute. Selon M. Munger, le cerveau humain est ainsi programmé qu'il cherche à éliminer les doutes en empruntant des raccourcis et en prenant des décisions rapides. Le patron qui tranche rapidement peut paraître très efficace, mais il aurait avantage à prendre un peu plus de temps pour réfléchir. L'expression «la nuit porte conseil» prend ici toute sa valeur. Face à une décision de placement, acheter ou vendre un titre, la leçon à retenir pour l'investisseur est de prendre son temps.
> La tendance à éviter les incohérences. Le cerveau humain est réticent aux changements. Les investisseurs ont tendance à prendre des décisions rapides et conformes à celles qu'ils ont déjà prises. D'où l'importance de : 1) reconnaître et comprendre ses erreurs passées ; 2) prendre des mesures pour s'assurer de ne pas les répéter. On a tous tendance à faire une croix sur les mauvais placements que l'on a faits autrefois et à les placer dans un classeur «à oublier», mais c'est une erreur. Non seulement il est déplaisant de revenir sur ses échecs, mais il est encore plus pénible d'admettre que son raisonnement initial était déficient. Une bonne manière de déjouer cette tendance pourrait être de discuter d'un placement avec un tiers indépendant et objectif, appelé à jouer le rôle d'avocat du diable. Pour ma part, j'aime bien me demander qu'est-ce qui pourrait mal aller, quels sont les risques qui menacent une entreprise.
> La tendance à éviter ce qui nous est désagréable. Parfois, la réalité est trop difficile à accepter : notre cerveau a alors tendance à déformer les faits pour les rendre plus acceptables. Voilà certainement une autre raison pour laquelle bien des investisseurs gardent leurs titres perdants trop longtemps.
> La tendance à surestimer ses capacités. Les sondages démontrent régulièrement que la plupart des automobilistes estiment leur conduite sur la route largement supérieure à celle de la moyenne des conducteurs. De même, la majorité des investisseurs surestiment leur perspicacité en investissant dans les actions qui ne valent que des cents (penny-stocks) ou dans des titres d'entreprises dont le modèle d'opération est complexe ou risqué.
> La tendance à être trop optimiste. J'apprécie les gens qui font preuve d'optimisme dans la vie de tous les jours, mais cette tendance peut coûter cher en placement. Elle permet d'expliquer pourquoi beaucoup d'investisseurs payent souvent trop cher leurs titres, après avoir surévalué les perspectives des sociétés à fort potentiel de croissance. Le remède selon M. Munger : appliquer les principes de base des probabilités à nos évaluations de titres.
> La tendance à réagir trop fortement face aux pertes. La peur de perdre quelque chose nous a probablement bien servis lorsque nous étions des chasseurs-cueilleurs, mais elle a moins sa place dans notre société moderne. Cette tendance explique pourquoi une perte de 10 $ nous cause plus de déplaisir qu'un gain de 100 $ nous procure de plaisir. Et pourquoi beaucoup d'investisseurs sont incapables d'accepter qu'un titre perde de la valeur après qu'ils l'ont acheté.
> La tendance à se conformer. Cette tendance à vouloir faire comme les autres est à mon avis très néfaste pour les investisseurs. Quand on y réfléchit, la seule façon de battre les marchés sur une très longue période est de se démarquer, de sortir des sentiers battus. Sinon, mieux vaut acheter des fonds indiciels.
Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100. Plusieurs comptes sous la gestion de COTE 100 possèdent des actions de Berkshire Hathaway.