L'économie canadienne vacillante et la chute du huard donnent du fil à retordre aux entreprises déjà au coeur de plans de relance. Rona, Transat A.T., TransForce, Reitmans et Pages Jaunes ont-elles ce qu'il faut pour se redresser véritablement ? Les doutes persistent encore à l'égard de ces sociétés, ce qui leur confère un bon potentiel en soi si leurs résultats surprennent.
Rona (Tor., RON, 14,10 $)
Rona en quête de son deuxième souffle
Le Canada est en récession, une situation qui joue des tours au quincaillier Rona (Tor., RON), dont l'action avait pourtant grimpé jusqu'à 17,36 $ en avril.
Le détaillant de Boucherville, piloté par le redresseur Robert Chevrier et l'épicier de carrière Robert Sawyer, avait alors prouvé aux investisseurs qu'il pouvait faire mieux que l'offre de 14,50 $ du rival américain Lowe's, que le conseil d'administration avait rejetée du revers de la main en 2012.
Quatre trimestres consécutifs de croissance des ventes comparables, le rachat de 10 % de ses actions et une augmentation toute fraîche de 14 % du dividende ont de quoi plaire aux actionnaires.
Toutefois, comme c'est souvent le cas dans les relances, il devient plus ardu de trouver son deuxième souffle une fois les fruits les plus mûrs déjà récoltés.
À partir du troisième trimestre, en effet, l'amélioration de ses ventes comparables s'atténuera parce que celles enregistrées l'an dernier avaient déjà amorcé une remontée, prévoient les analystes.
«Rona a nettement amélioré sa position concurrentielle en repositionnant les magasins Réno-Dépôt et Totem, en ajoutant des catégories de produits, en bonifiant ses marques maison et en raffinant ses programmes de loyauté aux entrepreneurs. Il lui faudra cependant redoubler d'efforts pour stimuler davantage ses ventes afin d'espérer un second élan en Bourse», croit Neil Forster, analyste chez Franklin Templeton, dont les fonds possèdent 2,1 % de Rona.
Maintenant que Rona a rétabli la croissance de ses ventes et amélioré ses marges, il lui faut s'attaquer à son rendement du capital investi.
Cette mesure de création de valeur pour les actionnaires est d'environ 6,2 %, un niveau qu'Irene Nattel, de RBC Marchés des Capitaux, juge encore inadéquat.
La société devra donc bien soupeser ses investissements dans les promotions, nécessaires pour raviver ses ventes, tout en maintenant un contrôle assidu de ses coûts, explique-t-elle.
Le détaillant profitera notamment du rachat de 225 millions de dollars de ses magasins franchisés de grande surface afin de remanier la gamme de produits offerts et de relever les marges de ses 60 grands magasins.
«Rona a aussi ouvert six nouveaux magasins en 2015, et les premiers résultats sont encourageants, mais ils sont inférieurs aux attentes», note Mme Nattel. Il faudra compter de 18 à 24 mois avant que ces magasins ne donnent leur plein potentiel, ajoute-t-elle.
Inculquer une culture de rigueur
Keith Howlett, analyste chez Marché des capitaux Desjardins, est persuadé que les différentes initiatives amélioreront davantage sa position concurrentielle et feront progresser ses bénéfices de 31 % en 2015 et de 11 % en 2016, malgré le ralentissement économique. Son cours cible de 18,50 $ est porteur d'un gain potentiel de 36 %.
Outre l'ouverture de 5 à 8 autres magasins de proximité, Rona accroît aussi la fréquence de ses circulaires, déplace ses promotions sur les réseaux sociaux, fusionne les magasins Marcil et Coupal au Québec et instaure un service d'achat en ligne et de collecte en magasin.
«Les dirigeants inculquent une culture de discipline et de rigueur. Celle-ci vise à équilibrer les investissements requis pour assurer sa compétitivité à long terme et le maintien de bons résultats à plus court terme», explique l'analyste de Desjardins.
Gain depuis trois ans : + 14,7 % Gain en 2015 : + 2,2 % Rendement du dividende : 1,1 % Ratio cours/bénéfice 2015 : 14,9 fois
Source : Bloomberg
Reitmans (Tor., RET.A, 5,30 $)
Reitmans tente de revitaliser sa marque, après des réductions de coûts
Le lent redressement du détaillant pour femmes Reitmans progresse, avec la fermeture de plus de 160 boutiques depuis 2009.
Après des années de déclin de ses ventes et d'érosion de ses marges, le détaillant montréalais a produit trois trimestres de résultats plus satisfaisants, note Mark Petrie, de Marchés mondiaux CIBC. Il repose maintenant sur des fondations plus solides, dit-il.
D'ici octobre 2015, Reitmans devrait avoir entièrement intégré 74 boutiques Smart Set à ses autres enseignes. Vingt autres ont été fermées.
Malgré un recentrage sur ses meilleures enseignes, une gestion serrée des coûts et l'achèvement, en 2017, de l'implantation d'un nouveau système de gestion de 40 millions de dollars amorcé en 2010, M. Petrie doute toujours que les six marques de Reitmans trouvent vraiment écho chez les consommatrices.
Reitmans en est bien consciente et vient justement de recruter l'actrice de la série télévisée Suits, Meghan Markle, en tant qu'ambassatrice de la marque Reitmans. À compter de septembre, Mme Markle sera la vedette de la nouvelle campagne nationale «Reitmans. Vraiment».
En mars, l'agence Marketel a aussi créé la campagne osée «Jeans mon amour» pour faire découvrir la nouvelle collection de 20 styles de denims de Reitmans.
«En dépit du rajeunissement de certaines boutiques et d'un nouvel effort de marketing, nous ne sommes pas convainvus que la reprise de ses ventes comparables et des marges brutes puisse durer», écrit M. Petrie.
L'analyste prévoit tout de même un bond de 37 % du bénéfice à 0,37 $ par action en 2016. Ce bénéfice est encore bien loin du bénéfice record de 1,60 $ réalisé en 2007.
Le plongeon de 20 % du huard depuis un an nuit aussi à son redressement en accroissant d'autant le prix d'achat de ses vêtements importés d'Asie.
La société a notamment réduit de 200 à 40 le nombre de ses fournisseurs afin de mieux contrôler ses coûts.
M. Petrie juge aussi que Reitmans n'offre pas assez d'accessoires et de vêtements d'extérieur en magasin. Ce sont les meilleurs vendeurs du pays dans la catégorie des vêtements pour femmes.
La patience s'impose
L'action de Reitmans est surtout attrayante pour les amateurs de titres sous-évalués prêts à patienter pour un éventuel rétablissement de sa productivité, grâce à un dividende de 3 % et à son encaisse de 121,7 M$ ou 1,86 $ par action.
François Parenteau, gestionnaire du Fonds Defiance, de la firme Olos Capital, est l'un de ces amateurs d'aubaines patients.
«Le détaillant n'est plus aussi prospère, mais il a réussi à stabiliser ses affaires. Or, son titre est évalué comme s'il était voué à disparaître», dit-il. Reitmans a racheté ses premières actions en juin, en vertu du programme annuel de rachat de 10 % des actions dévoilé en décembre. «Ça confirme que le président Jeremy Reitman a confiance de voir ses bénéfices rebondir davantage cette année», fait valoir le gestionnaire.
Gain depuis trois ans : - 56,4 % Recul en 2015 : - 31,3 % Rendement du dividende : 3,7 % Ratio cours/bénéfice 2015 : 15,4 fois
Source : Bloomberg
Transat A.T. (Tor., TRZ.B, 7,64 $)
Transat A.T. doit reprendre de l'altitude, sinon elle deviendra une cible d'achat
Avec huit recommandations d'achat et un gain espéré de 50 % en fonction du cours cible moyen de 11,42 $ des analystes, il n'y a pas de doute que le redressement du voyagiste Transat recèle un énorme potentiel.
Après tout, la compression des dépenses du voyagiste montréalais aura atteint un total de 155 millions de dollars, de 2012 à 2017, une fois ses deux plans de restructuration achevés.
Le nouveau recul de 21 % de son action depuis décembre 2014 en dit long toutefois concernant le scepticisme que suscite encore le revirement de la société.
La moins bonne conjoncture économique au pays et la dépréciation rapide du huard déjouent en partie les efforts que déploie Transat pour se redresser depuis 2012.
Outre ces facteurs qu'elle ne contrôle pas, Transat doit aussi composer avec la concurrence accrue que lui livrent les transporteurs Air Canada Rouge, WestJet et son traditionnel rival Sunwing.
«La société se retrouve dans la position peu enviable d'avoir à défendre sa part de marché contre Air Canada et WestJet, en même temps qu'elle mène une nouvelle rationalisation», déplore Kevin Chiang, de Marchés mondiaux CIBC.
L'analyste doute encore que ses restructurations successives soient suffisantes pour rétablir une trajectoire de rentabilité durable et pour regagner ses avantages concurrentiels.
«Transat agit sur ce qu'elle peut, ses coûts internes, mais elle ne peut pas compenser entièrement les autres facteurs. Malgré tout, son titre reste une aubaine», explique Neil Forster, analyste de Franklin Templeton.
Son action se négocie en effet à un multiple déprimé de trois fois son bénéfice d'exploitation, par rapport à une moyenne historique de cinq fois.
Un titre qui pourrait tripler à long terme
Benoit Poirier, de Desjardins Marché des capitaux, est nettement plus convaincu que le voyagiste montréalais saura déjouer les turbulences, grâce à la plus grande flexibilité que lui procurent la nouvelle convention collective d'Air Transat, l'utilisation des plus petits Boeing 737 et son nouveau système de gestion.
Ses coûts diminuent plus rapidement que ses tarifs et ses revenus, avance M. Poirier. À court terme, l'appréciation de l'euro et de la livre sterling aide ses revenus et ses marges sur les vols transatlantiques de la saison estivale.
Le recul de 24 % du prix du carburant depuis le 30 avril est aussi un baume pour le transporteur.
Ces deux facteurs, auxquels s'ajoutent les réductions de dépenses de 20 M$ prévues en 2015, feront bondir son bénéfice de 68 % à 1,87 $ par action, de 2015 à 2016, estime-t-il.
Dans la mesure où Transat continue à relever ses marges, ses flux de trésorerie pourraient atteindre 100 M$ en 2017, pour un rendement de 30 %. Son bénéfice pourrait aussi s'envoler jusqu'à 2 $ par action.
À son avis, le titre a donc le potentiel de tripler à long terme. Et si son évaluation reste au niveau déprimé actuel, le voyagiste pourrait devenir une cible de choix pour des acquéreurs stratégiques ou des fonds d'investissement.
«Sa valeur boursière équivaut presque à la seule valeur de son encaisse et de sa coentreprise hôtelière, ce qui n'a aucun sens», avance l'analyste de Desjardins.
M. Poirier table aussi sur une concurrence moins intense que prévu de la part de ses rivaux, malgré la hausse du nombre de vols et de sièges. Ses concurrents veulent aussi protéger leurs marges dans la conjoncture.
Son cours cible de 13 $ ne tient pas compte de la possibilité que Transat redevienne rentable pendant l'hiver. Si c'était le cas, M. Poirier ajouterait 3,70 $ de plus à son cours cible.
La société dispose aussi d'un coussin de liquidités excédentaires de plus de 100 M$ qu'elle peut partager avec ses actionnaires, notamment en rachetant activement ses actions.
Gain depuis trois ans : + 72,1 % Recul en 2015 : - 13,0 % Rendement du dividende : s. o. Ratio cours/bénéfice 2015 : 8,8 fois
Source : Bloomberg
Pages Jaunes (Tor., Y, 17,15 $)
Pages Jaunes solidifie son redressement
Trois ans après avoir presque sombré sous le poids d'une dette de 1,7 milliard de dollars, Pages Jaunes se redresse suffisamment pour que la société aspire à rembourser toutes ses dettes d'ici quelques années.
À la barre depuis janvier 2014, le président Julien Billot s'est engagé à rétablir la rentabilité et la croissance de Pages Jaunes d'ici 2018.
Pour l'instant, le fournisseur de solutions marketing aux PME a réussi à freiner la chute des revenus que lui procurent ses bottins téléphoniques, tout en préservant ses marges d'exploitation. Et ce, malgré d'importantes dépenses en publicité, qui visent à stimuler la force «locale» de sa marque nationale, et en technologie, afin d'améliorer ses systèmes.
Cela lui permet de boucler des acquisitions afin de bonifier son offre de produits numériques et de multiplier ses points de contact avec les consommateurs, tel l'achat, en juillet, de ComFree/DuProprio, le quatrième réseau numérique immobilier le plus visité du Canada, pour 50 millions de dollars. Au Québec, DuProprio obtient 17 % des inscriptions.ComFree/DuProprio procure aussi de la croissance à Pages Jaunes, puisque ses revenus ont crû à un rythme annuel de 20 % au cours des trois dernières années.
Même si Pages Jaunes affronte des géants du Web tels que Google ou Facebook, les analystes ont bon espoir que le plan de relance de M. Billot fonctionnera et revalorisera la société en Bourse.
Haran Posner, de RBC Marchés des Capitaux, se dit encouragé par le recrutement de 24 800 nouveaux clients depuis 12 mois, l'augmentation de 5,6 % du nombre de visites sur ses différents sites Web et l'amélioration de la pénétration de sa solution YP 360 auprès de ses clients, qui dépensent aussi un peu plus dans les différents produits de Pages Jaunes.
Un nouveau plan de compression des dépenses de 25 M$, qui s'étendra jusqu'en 2016, devrait aussi compenser les marges plus faibles de ComFree/DuProprio, selon M. Posner.
«Bien que la réalisation du "plan de retour à la croissance" comporte des risques et que la rentabilité restera sous pression à court terme, son évaluation boursière modeste offre une bonne compensation», écrit-il.
M. Posner établit son cours cible à 25 $.
Aravinda Galappatthige, de Canaccord Genuity, est persuadé que l'offensive de Pages Jaunes accélérera le taux de croissance de ses revenus numériques de 5 à 7 %. Il fixe son cours cible à 28 $.
Gain depuis trois ans : + 183,9 % Recul en 2015 : - 12,4 % Rendement du dividende : s. o. Ratio cours/bénéfice 2015 : 6,1 fois
Source : Bloomberg
TransForce (Tor., TFI, 22,12 $)
TransForce doit déjouer la conjoncture
Dans une industrie déjà impitoyable, une conjoncture moins bonne que prévu empêche encore une fois le camionneur montréalais TransForce de profiter de la stratégie de consolidation de son grand patron, Alain Bédard. Résultat : son action a perdu 27 % de sa valeur depuis son sommet annuel en mars.
Pour faire patienter ses actionnaires et leur donner du rendement, TransForce rachète activement ses actions, verse un dividende de 3 % et rembourse sa dette, gonflée par ses nombreuses acquisitions.
Une majorité d'analystes croient toujours à l'éventuel revirement du chef de file du transport et de la logistique, mais ceux-ci tempèrent leurs attentes.
«Le recul du pétrole fait souffrir sa division de camionnage de l'Ouest canadien et celle du transport d'appareils de forage aux États-Unis. Or, TransForce se retire du forage et devrait éventuellement bénéficier de la meilleure tenue de l'économie américaine et de l'effet de la chute du huard sur les exportations canadiennes», dit l'analyste Cameron Doersken, de la Financière Banque Nationale, qui a réduit son cours cible de 32 à 30 $ en juillet.
Il faut dire que la société multiplie les tactiques pour relever ses marges et son rendement du capital investi dans l'espoir d'être revalorisée en Bourse.
TransForce se diversifie, élimine des concurrents, vend des activités moins rentables et réduit sans cesse ses coûts.
La société poursuit aussi ses acquisitions en série avec l'achat en juin du fournisseur américain de services de livraison du dernier kilomètre, Hazen Final Mile, qu'elle intégrera à sa division Dynamex.
Cameron Doersken s'attend aussi à ce que la société vende sa division de gestion de déchets d'ici la fin de l'année et à ce qu'elle essaime celle du transport par camion de lots partiels, en 2016, afin de mettre leur valeur en relief.
«Ses flux de trésorerie fournissent un bon point d'appui au titre, en attendant que les conditions économiques s'améliorent et que ses activités pétrolières perdent de leur influence sur ses résultats. En prime, la vente de la division des déchets et de celle du transport de lots partiels offre un potentiel supplémentaire», croit Maxim Sytchev, de Marchés des capitaux Dundee.
Fadi Chamoun, de BMO Marchés des capitaux, est moins indulgent que ses collègues en émettant un cours cible de 26 $. Il doute que son action soit revalorisée étant donné la conjoncture et son endettement élevé.
Gain depuis trois ans : + 28,5 % Recul en 2015 : - 25,1 % Rendement du dividende : 3,0 % Ratio cours/bénéfice 2015 : 11,8 fois
Source : Bloomberg