Baisse des volumes de transactions, perte de popularité du secteur minier, arrivée d'un nouveau concurrent l'an prochain, le Groupe TMX doit naviguer en eaux peu favorables. Rencontré à Toronto quelques jours avant Noël, son président et chef de la direction, Thomas Kloet, expose sa stratégie pour tenir le cap en attendant que le vent tourne.
Quand Thomas Kloet arrive au bureau, l'une des premières choses qu'il fait est de regarder l'indice de volatilité VIX. Lorsque cet indicateur, qui mesure la volatilité des marchés boursiers, se trouve entre 20 et 25 points, la récolte est bonne pour les opérateurs de marchés financiers, selon le dirigeant du propriétaire de la Bourse de Toronto, la Bourse de Montréal et la Bourse de croissance TSX.
Or, l'indice VIX du S&P/TSX 60, qui compte les 60 plus importantes capitalisations canadiennes, n'est jamais monté au-delà de 18,49 en 2013. Pour le S&P 500 à New York, qui comprend les 500 plus importantes capitalisations américaines, le VIX n'a dépassé les 20 points qu'à trois très brèves reprises pour toucher un sommet de 20,49 points en 2013. «Une faible volatilité n'est pas l'amie de notre industrie, car les investisseurs rééquilibrent leur portefeuille moins souvent», dit-il en entrevue dans le centre de diffusion TMX. Ce studio sert de décor aux journalistes qui travaillent «en direct de la Bourse de Toronto», toutes les transactions se faisant désormais par voies électroniques.
Au cours des 11 premiers mois de 2013, le volume de transactions a reculé de 5,9 % à la Bourse de Toronto, et de 17,4 % à la Bourse de croissance TSX. La Bourse de Montréal a résisté avec un gain de 2,5 %. L'action du Groupe TMX (Tor., X, 51 $) en subit les contrecoups : elle a fait du surplace toute l'année 2013.
Le rendement du dividende de 3,1% permet aux investisseurs de patienter. Le conseil d'administration de la société veut offrir un dividende croissant et comparable à celui des grandes banques canadiennes.
Le contexte économique est la grande question qui taraude les analystes suivant le Groupe TMX. Ceux-ci s'entendent pour dire que la société a bien joué ses cartes dans l'attente de la reprise, mais ils divergent sur la pertinence de patienter. La très grande majorité préfère rester sur les lignes de côté ou encore vendre le titre.
Si les conditions s'améliorent, l'action du TMX fournit un potentiel de gain intéressant, croit Geoffrey Kwan, de RBC Marchés des Capitaux. Il émet tout de même une recommandation «sous-performance», l'équivalent d'une recommandation de vente. «Tant que nous ne verrons pas les premiers signes d'un meilleur contexte, nous croirons qu'il y a de meilleures occasions ailleurs», dit l'analyste.
Le secteur minier, un boulet ?
Outre la faible volatilité qui touche tous les exploitants de marchés boursiers, le Groupe TMX est plombé par sa forte pondération dans l'industrie minière. Le secteur des matériaux représente 11,8 % du S&P/TSX, par rapport à 2,9 % pour le S&P 500. Il a effacé le tiers de sa valeur en un an.
Thomas Kloet reconnaît que les difficultés du secteur minier représentent un défi pour son organisation, mais il voit son verre à moitié plein. La surreprésentation du secteur minier traduit aussi le fait que le TMX est «premier de classe» dans ce secteur, se défend le dirigeant.
Le secteur financier, qui représente le tiers du S&P/TSX, continue de croître, fait valoir le financier de 55 ans originaire du Midwest américain. Le Groupe TMX voit aussi beaucoup d'occasions dans les émissions des fonds de placement immobilier. «Voulons-nous être plus diversifiés ? Certainement, assure M. Kloet. Cependant, je crois que nous le sommes déjà.»
Andrey Omelchak, de Montrusco Bolton à Montréal, pense que la débâcle du secteur minier tire à sa fin. Le gestionnaire de portefeuille, dont la firme possède 0,07 % du TMX, prévoit un revirement de tendance pour l'industrie minière. «La direction de Groupe TMX a fait du très bon travail dans cet environnement difficile.»
Miser sur la diversification pour croître
(Suite à la page suivante)
Miser sur la diversification pour croître
Dans l'attente d'un contexte plus favorable, le Groupe TMX doit convaincre les investisseurs que les actionnaires ont fait le bon choix en ne donnant pas un appui suffisant à la proposition d'acquisition de la Bourse de Londres. C'est le regroupement de 13 investisseurs institutionnels Maple, dont fait partie la Banque Nationale, le Mouvement Desjardins, la Caisse de dépôt et le Fonds de solidarité, qui a remporté la mise. La transaction a permis au TMX de mettre dans son giron le concurrent Alpha ainsi que les Services de dépôt et compensation CDS. Le TMX s'est réintroduit en Bourse immédiatement après la transaction de septembre 2012.
Toujours en poste après son bras de fer contre Maple, Thomas Kloet affirme que la stratégie du Groupe TMX reste la même malgré le changement d'actionnariat. La haute direction est demeurée inchangée et plusieurs administrateurs sont restés , dit Thomas Kloet dans le même studio où il a annoncé la fusion avec la Bourse de Londres, il y a trois ans.
Comme il le faisait avant la saga Maple, M. Kloet mise sur la diversification pour croître, assure-t-il. «J'ai toujours cru qu'il y avait des occasions significatives du côté des services après transactions. Nous regardons plusieurs autres occasions dans ce secteur, mais je ne peux pas entrer dans les détails pour des raisons concurrentielles.»
Thomas Caldwell, président du conseil de Caldwell Investment Management, croit qu'il y a peu d'occasions dans les marchés boursiers pour l'instant. «Nous sommes dans une période de consolidation, et la croissance sera tirée de l'information et des services.»
D'ailleurs, M. Kloet est «très heureux» d'avoir pu intégrer les Services de dépôt et de compensation CDS, une des modalités de l'acquisition de Maple. L'acquisition en février dernier d'Equity Financial Holdings, qui tient des registres de porteurs de titres, accroît aussi la force de frappe des services après transactions.
Le TMX pourrait faire d'autres acquisitions, mais la diversification pourrait aussi provenir du développement interne, ajoute le dirigeant, avare de détails sur le profil de la cible idéale. «Faire des acquisitions n'est pas une fin en soi.»
Le Groupe TMX veut également bonifier ses services de courtage obligataire et de courtage de ressources naturelles physiques, comme elle le fait déjà avec le gaz naturel. En février dernier, TMX a regroupé ses activités relatives aux indices obligataires avec la Bourse de Londres, son ancien prétendant.
Un autre concurrent s'amène
(Suite à la page suivante)
Un autre concurrent s'amène
Le spectre d'un nouveau concurrent canadien, Aequitas Innovations, a fait couler beaucoup d'encre l'été dernier. Et pour cause. La création de la Bourse est soutenue par d'importants acteurs financiers, notamment la Banque RBC, Barclay's, OMERS (la caisse de retraite des employés municipaux de l'Ontario) et BCE. C'est un peu le retour à la case départ puisque Jos Schmitt, anciennement à la tête d'Alpha (le concurrent acquis avec la transaction Maple), dirigera le nouveau rival du Groupe TMX.
Aequitas prépare la rédaction des documents qu'elle déposera auprès des autorités réglementaires. Son équipe, qui veut offrir une solution de rechange à la position dominante du TMX, prévoit le début des activités au début de l'année 2015, affirme Joanne Kearney, la porte-parole de l'entreprise.
Le Groupe TMX se prépare-t-il à une riposte ? «Je ne veux pas critiquer votre question, répond M. Kloet avec un sourire complice, mais elle laisse entendre que le marché canadien vit dans une bulle. Nous sommes déjà en concurrence avec les grandes Bourses internationales. Lorsque je tente d'obtenir une inscription chez nous, je sais que cinq ou six concurrents font les mêmes démarches.»
Andreas Park, professeur d'économie à l'Université de Toronto, pense lui aussi que la concurrence la plus sérieuse vient davantage des acteurs étrangers. «N'importe quel nouveau concurrent représentera un défi, nuance l'économiste spécialisé dans les marchés financiers. Le principal défi du TMX demeure d'attirer du volume et des investissements en provenance des États-Unis.»
De par leur taille, les marchés américains sont attrayants pour les émetteurs, car ils ouvrent la porte à un bassin plus grand d'investisseurs, note M. Park. L'un des exemples récents de cette concurrence est le retrait de Lululemon de la Bourse de Toronto l'été dernier. La société de Vancouver se négocie désormais uniquement au Nasdaq à New York. Le Groupe TMX doit aussi rivaliser avec les Bourses américaines pour accueillir les transactions des sociétés inscrites des deux côtés de la frontière, comme Gildan ou BlackBerry.
Reconnu pour son parcours international, Thomas Kloet visite les grandes villes afin de convaincre des sociétés étrangères de choisir d'inscrire leur société à la Bourse canadienne. L'homme d'affaires qui «voyage peut-être un peu trop à [son] goût» s'est déplacé à plus d'une reprise en Asie, en Amérique du Sud et en Europe en 2013.
Protéger les parts de marché
La forte concurrence survient au moment où le Groupe TMX voit ses parts de marchés décliner. En 2012, le TMX occupait 85 % des parts de marché de son industrie. Cette part a fondu à 77 % au troisième trimestre 2013. Malgré tout, Andreas Park croit que le Groupe TMX protège ses parts de marché de «manière impressionnante» si on la compare aux Bourses de Londres et de New York. Les deux places internationales ont vu leurs parts de marché s'effriter depuis une décennie aux mains des Bourses alternatives comme BATS ou Direct Edge, qui ont fusionné au cours de l'automne dernier. «La Bourse de New York détient des parts de marché d'environ 30 %, celle de Londres de 12 %, explique-t-il. En excluant Alpha, la Bourse de Toronto doit toujours dominer près de 60 % du marché.»
Thomas Kloet ne s'inquiète pas outre mesure de la perte de parts de marché. Il attribue celle-ci à deux choses. Il y a l'arrêt de transactions qui se faisaient entre le Groupe TMX et Alpha, qui appartenaient à deux propriétaires différents avant l'acquisition par Maple. La réglementation plus sévère sur les marchés opaques a aussi nui à Alpha. M. Kloet ne s'en formalise pas, puisque son groupe avait milité en faveur d'un resserrement des règles du jeu. «C'était la chose à faire, admet-il. Dans l'ensemble, je dirais que les parts de marchés sont désormais là où elles devraient être.»
«Changer la formation des courtiers serait bon pour Montréal» - Thomas Kloet
(Suite à la page suivante)
«Changer la formation des courtiers serait bon pour Montréal» - Thomas Kloet
Un assouplissement de la réglementation entourant les produits dérivés donnerait des ailes à la Bourse de Montréal, plaide Thomas Kloet, en entrevue à Toronto. Le dirigeant du Groupe TMX aimerait que les options sur actions soient utilisées plus couramment dans l'arsenal des conseillers canadiens.
«Nous sommes encore au début de notre plan de développement pour les options sur actions, raconte-t-il. Nous investissons beaucoup de temps et d'argent afin de promouvoir l'utilisation de ces produits auprès des investisseurs institutionnels et des particuliers fortunés partout au Canada.»
Achetée par la Bourse de Toronto en 2008 pour 1,3 G$, la Bourse de Montréal fait bonne figure parmi les divisions du Groupe TMX. Le parquet spécialisé dans les produits dérivés a doublé de taille depuis l'acquisition. Sa croissance a d'ailleurs compensé la diminution des échanges à Toronto.
Changer la formation
La place financière montréalaise performerait encore mieux en modifiant la formation des courtiers, plaide M. Kloet. Il éprouve de la «frustration» lorsqu'il compare les réglementations canadienne et américaine. Aux États-Unis, la formation de base permet aux courtiers de vendre des options sur actions. Au Canada, le courtier doit réussir d'autres formations pour faire de même. «Nous faisons des démarches pour changer cela, ajoute-t-il. Cela nous donnerait accès à une source de nouveaux revenus.»
En résumé, une option donne à son propriétaire la possibilité, mais pas l'obligation, de vendre ou d'acheter un produit financier à un prix déterminé. Le détenteur de ce contrat peut exercer son option, la laisser expirer ou la vendre avant son échéance.
Si les options peuvent être utilisées comme un instrument spéculatif, de nombreux gestionnaires de portefeuille les utilisent pour se protéger contre une baisse des marchés. Par exemple, un investisseur peut acheter une option de vente afin de pouvoir liquider une action à un certain prix, ce qui le protège d'une perte de valeur en dessous de ce prix.
«Je ne voudrais pas avoir un courtier qui n'a pas appris comment utiliser une option sur actions afin de protéger mon portefeuille, lance M. Kloet. Je prends des assurances pour ma maison ou pour ma santé. Pourquoi n'assurerais-je pas mon portefeuille ?»
Le marché du carbone sur la glace
Le marché du carbone, qui a déjà été prometteur, brille beaucoup moins dans le ciel boursier. Au point où le Groupe TMX ne mise plus sur son développement, indique M. Kloet. La Bourse de Montréal, qui avait lancé le Marché climatique de Montréal avec la Bourse de Chicago en 2005, s'est retirée de ce marché en juin 2011.
Un marché du carbone ne serait pas un projet rentable sans une taxation des émissions de carbone appliquée à l'ensemble des provinces, selon lui. Québec est la seule province à avoir mis en place un système de droit d'émission en partenariat avec la Californie.
«Ce n'est pas mon rôle de dire si une nouvelle politique est souhaitable ou non, nuance le dirigeant. En tant qu'homme d'affaires, je constate que, dans les conditions actuelles, il n'est pas pertinent d'offrir ce service», explique-t-il.