Les enchères très attendues de spectres de fréquences sans-fil ont récolté un record de 5,3 milliards de dollars, un montant plus de deux fois plus que prévu.
Malgré l’effet de surprise, les titres des participants ont bien peu réagi au lendemain des résultats, à l'exception de celui de Québecor (Tor., QBR.B 25,50 $), qui a gagné 8%.
Les fréquences dans la bande de 700 MHz étaient convoitées parce qu’elles voyagent sur de plus longues distances et traversent mieux les murs. Elles sont aussi compatibles avec les combinés et les équipements de réseau de quatrième génération déjà sur le marché.
Les licences vendues ont aussi une longue durée de vie de 20 ans.
Pour les amateurs de dividendes, les enchères n’entravent pas la capacité de BCE (Tor., BCE, 47,57 $) ni celle de Telus (Tor., T, 37,96 $) de relever leur dividende.
BCE s’est engagée à l’augmenter de 5% par année d’ici 2015, Telus de 10% par année, d’ici 2016.
C’est pourquoi ces deux titres restent les préférés de Maher Yaghi, de Desjardins Marché des capitaux, parmi les fournisseurs de services de télécommunications, bien qu’il ait légèrement réduit ses cours-cibles étant donné que les deux sociétés déboursent plus que prévu.
BCE dépense stratégiquement: 565,7 M$ ou 0,73$ par action
BCE dépense le moins de tous les fournisseurs, soit 565,7 M$ ou 0,73 $ par action pour ses blocs de fréquences couvrant une population de 33,5 millions.
«BCE dépense la moitié moins que Telus, mais bénéficiera des dépenses de son partenaire avec qui elle partage un réseau», note Tim Casey, de BMO Marchés des capitaux.
Les fréquences acquises sont compatibles avec les réseaux d’AT&T et de Verizon aux États-Unis, ce qui facilite la compatibilité des appareils et l’itinérance.
Avec le rendement de dividende le plus élevé de son industrie, de 5%, BCE reste un choix attrayant pour les investisseurs qui peuvent s’attendre à une croissance de 3 à 5% de ses flux de trésorerie excédentaires par année, dit M. Casey.
De plus, BCE ne prévoit pas avoir besoin du spectre acquis dans la bande de 700 MHz dans les zones urbaines à court terme, puisqu’elle a déjà investi dans son réseau après les enchères de 2008.
Elle compte toutefois les utiliser pour déployer son réseau dans les zones rurales où elle n’est pas présente actuellement, explique M. Yaghi.
BCE s’est aussi procuré d'autres fréquences de moins grande qualité qui pourront un jour servir à la transmission vidéo, une fois que la norme de transmission VoLTE sera au point, d'ici deux ou trois ans, explique Dvai Ghose, de Canaccord Genuity.
L’analyste hausse de 47$ à 48$ son cours-cible pour BCE pour son achat stratégique de spectre.
Telus comble ses besoins: 1,1 milliard ou 1,83$ par action
Telus comble ses besoins: 1,1 milliard ou 1,83$ par action
Le deuxième fournisseur sans-fil au pays sort des enchères avec le meilleur bilan de l’industrie et préserve ses avantages, soit une dette de 2,1 fois son bénéfice d’exploitation, fait valoir M. Yaghi.
Ses achats de fréquences comblent ses besoins avec une facture nettement moins salée que celle de sa rivale Rogers, dit aussi M. Rhamey.
La société, qui met l’accent sur le service à la clientèle, pourra étendre son réseau de quatrième génération à 97% de la population canadienne.
Si Telus et BCE élargissent leur entente de partage de réseau dans la bande de 700 MHz, les deux entreprises pourront reproduire en partie les avantages que vient d’obtenir Rogers avec l’achat de blocs de la première qualité, dans des zones adjacentes, explique M. Yaghi.
Jeff Fan, de Banque Scotia, s’attend à ce que BCE et Telus échangent éventuellement du spectre avec Québecor et Bragg pour mieux apparier leur réseau.
Telus et BCE auront aussi un meilleur bilan que Rogers pour participer aux prochaines enchères dans la bande de 2 500 MHz, prévues en avril 2015.
Rogers joue d’audace : 3,3 milliards ou 6,39$ par action
En perte de vitesse par rapport à Telus et BCE depuis 2009, Rogers (Tor., RCI.B, 42,90 $) a joué le tout pour le tout pour atteindre ses objectifs en payant le prix fort pour les blocs de fréquences nationales les plus convoitées.
«Rogers devance ses rivaux en mettant la main sur un spectre plus rapide et compatible avec celui d’AT&T qu’elle peut utiliser immédiatement, mais elle en paie le prix», indique M. Fan de Banque Scotia.
Si la facture et la dette accrue de Rogers inquiètent les analystes, plusieurs jugent tout de même que les licences acquises ont beaucoup de valeur particulièrement pour améliorer la fiabilité du téléchargement vidéo.
Cette perception se reflète dans le comportement de son action, qui a perdu 3 % jeudi matin. pour ensuite terminer la séance avec un mince gain de 0,32 %.
Rogers ayant misé gros sur le sport en direct, avec l’achat des droits multimédias de la Ligue national de hockey pour 12 ans, la qualité du signal vidéo est un enjeu pour attirer et fidéliser des abonnés.
«Le jumelage de blocs de fréquences dans des marchés contigus pourrait donner un avantage à Rogers à court terme pour la rapidité et la capacité de son réseau. Toutefois, Rogers ne pourra rentabiliser cet avantage qu’à très long terme», note M. Casey.
M. Yaghi, de Desjardins, réduit son cours-cible de 49 à 45$ pour le titre de Rogers parce que la société s’endette davantage et perd la flexibilité financière de racheter activement ses actions et d’augmenter rapidement son dividende.
Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, réduit son cours cible de 49 à 47$ parce que Rogers dépense trois fois plus que prévu pour les enchères et accroît sa dette.
«Le prix payé semble très élevé, mais Rogers a remporté les enchères contre un autre prétendant qui a offert autant, comme le prévoient les règles des enchères. Cela confirme à quel point ces fréquences ont de la valeur», dit-il.
Québecor se montre opportuniste : 173 M$ ou 1,05 $ par action pour les licences hors Québec
Québecor se montre opportuniste : 173 M$ ou 1,05 $ par action pour les licences hors Québec
Aux yeux de plusieurs analystes, Québecor est le gagnant des enchères parce que la société achète à prix d'aubaine sept licences du sceptre dans les quatre provinces les plus populeuses, au Québec, en Ontario,en Alberta et en Colombie-Britannique.
«Québecor paie 60% moins qu’elle avait payé lors d’enchères en 2008, dans des marchés moins intéressants», indique Tim Casey.
Les analystes augmentent surtout leurs cours-cibles pour donner une valeur au spectre acquis.
Peu croient que Québecor implantera son propre réseau national, car la société ne bénéficie pas des avantages que sa marque et ses forfaits de services lui procurent au Québec, même si elle achetait Mobilicity.
«Québecor a dépensé un milliard depuis 2007 dans son service sans-fil au Québec pour attirer 500 000 abonnés, la plupart déjà clients de son service de câble. Malgré cet avantage, le service couvre à peine ses frais», fait valoir M. Casey.
Le spectre leur apparaît donc surtout comme un actif ou une monnaie d’échange que Québecor pourrait offrir à d’autres fournisseurs, en temps et lieu.
La valeur commerciale des sept licences est probablement deux à trois fois ce que Québecor a payé, estime Vince Valentini, de Valeurs mobilières TD, qui augmente son cours-cible de 32 à 33$.
«Québecor pourrait par exemple échanger du spectre avec Telus pour obtenir un bloc dans la partie inférieure de la bande 700 MHz au Québec dont elle a besoin dans son entente de partage de réseau avec Rogers », prévoit Jeff Fan, de Banque Scotia. Il augmente son cours-cible de 1$, pour le porter à 33,50$.
«Pour que Québecor envisage sérieusement de devenir un quatrième fournisseur national, il faudrait que le gouvernement intervienne et impose aux autres fournisseurs de lui donner un accès à des tours de transmission et à des ententes d’itinérance à bas prix», croit M. Valentini.
Cette opinion rejoint "l'occasin à ne pas manquer» dont parle le Robert Dépatie, le président de Québecor.
Les scénarios évoqués par les analystes vont dans tous les sens incluant la vente éventuelle du spectre ou même un partenariat avec l’Américaine Verizon, qui a manifesté son intérêt pour le Canada.
Le bloc de spectre acquis est d’ailleurs contigu au réseau de Verizon aux États-Unis, note Greg MacDonald, de Macquarie Capital Markets Canada.